L’hôtellerie a payé comme tout le secteur du voyage un lourd tribut à la pandémie et a dû mettre en place des mesures sévères pour faire face aux conséquences économiques de la crise, le plus souvent en réduisant de manière conséquente les services offerts au clients.
Mais certains y ont pris gout et annonces d’ores et déjà que même après la crise les clients ne retrouveront pas le niveau de service d’avant.
La réduction des services : le bon sens économique et sanitaire
Lorsque la pandémie est arrivée on a vu les hôtels procéder à des coupes drastiques dans les services proposés aux clients, des décisions de pur bon sens, qu’ils soient décidés par l’hôtel ou imposés par les autorités.
Suppression des mini bars, du room service, des prestations de ménage, fermeture des lounges, spas, salles de sport, restaurants… tout n’était que logique et bon sens. Il s’agissait de limiter au maximum les interactions afin d’éviter la propagation du virus. Et lorsque ces mesures n’ont pas été dictées par les autorités locales les hôtels les ont mis en œuvre d’eux même pour deux bonnes raisons : éviter la propagation du virus et essayer de survivre économiquement. Quand le client se fait rare maintenir un staff complet pour faire fonctionner tous les services de l’hôtel est tout simplement impossible.
Dans certains cas cela a conduit à la fermeture pure et simple des établissements. Là encore parfois imposées par les autorités locales parfois du fait de l’hôtelier.
Rappelons à toutes fins utiles que tous les hôteliers à travers le monde n’ont pas eu la chance de profiter du même soutient des Etats qu’en France et que dans nombreux pays rester ouvert, même à minima, était la seule alternative au dépôt de bilan.
Le contexte local a en effet beaucoup pesé. L’hôtellerie nord-américaine, par exemple, a pu continuer à fonctionner dans un mode minimaliste car les restrictions de déplacement n’avaient rien à voir avec celles mises en œuvre en Europe.
Des fortunes diverses que l’on soit hôtelier ou groupe hôtelier
L’hôtellerie a souffert comme toute l’industrie du tourisme mais avec certaines particularités dues à l’organisation économique du secteur.
Les hôteliers indépendants ont énormément souffert et leur sort a largement dépendu d’Etats plus ou moins généreux.
Au niveau des chaines la chose a été différente. Les hôteliers, ceux qui exploitent les hôtels ont souffert comme les indépendants. Quant aux groupes dont ils exploitent les marques, selon les géographies, ils ont même réussi à gagner de l’argent. La raison en est simple : c’est l’hôtelier qui supporte les charges opérationnelles, le groupe n’étant, pour caricaturer, qu’un franchiseur le plus souvent. Ses revenus ont baissé avec celui ces hôteliers mais il n’a pas à supporter les charges opérationnelles des hôtels contrairement aux compagnies aériennes qui supportent personnel et avions.
Comme nous le disait le directeur marketing d’un hôtel de luxe flambant neuf qui attend depuis le début de la pandémie de pouvoir enfin ouvrir ses portes :
“Le dimensionnement des activités est bien plus facile en effet et on peut mieux contrôler les couts, mais le cout humain est tragique. On a soit supprimé des emplois, soit réduit tous les salaires. On estime a 6 millions d’emplois perdu dans l’hôtellerie juste aux US.
Et tout ca n’est en effet pas controlé par les grand groupes mais par les propriétaires et opérateurs.
Donc si les groupes, les marques, n’ont pas perdu tant que ca, les opérateurs on lourdement subit la crise et les emplois perdus se comptent par millions.J’ai perdu le mien 2 fois par exemple, sur un an! Mon dernier hotel avant celui-ci a été définitivement fermé (300 personnes sur le carreau) et le precedent a perdu 2/3 de ses 555 employés. Ouille quand meme.”
Quand l’hôtellerie devient addict aux traitements de chocs
Les traitements de choc mis en place par les hôtels n’ont pas eu que du mauvais. Moins de services, moins de personnel, cela s’est traduit parfois par plus de marge ! Et comme le malade qui devient accro à la morphine, l’hôtellerie devient accro aux suppressions de services !
Dès le printemps le CEO de Hilton annonçait la couleur : en disant à peu près « on a augmenté nos marges et finalement on aime ça. Ne vous attendez pas à un retour à la normale« .
Ses mots exacts sont : “Le travail que nous faisons actuellement dans chacune de nos marques consiste à en faire des activités à marge plus élevée et à créer plus d’efficacité en matière de travail, en particulier dans les domaines de l’entretien ménager, de la nourriture et des boissons, et dans d’autres domaines. Lorsque nous sortirons de la crise, ces activités auront une marge plus élevée et nécessiteront moins de main-d’œuvre qu’avant le Covid.“
Au début nous pensions que cela n’allait concerner que des marques d’entrée de gamme où les attentes des clients et les marges peuvent s’accommoder d’une approche plus ou moins « low cost ». D’ailleurs cela aurait permis de mécaniquement revaloriser les programmes de fidélité en continuant à offrir aux clients « elite » des prestations autrefois gratuites pour tous et désormais payantes ou supprimées pour le client lambda. Que nenni !
Bien sûr dans toutes les marques « non premium » de Hilton le ménage ne sera plus fait que sur demande, mais pas seulement. Dans sa nouvelle marque de luxe « Signa », l’accès au lounge ne sera plus offert à ses meilleurs clients, même aux titulaires du statut Diamond !
Marriott joue l’hôtel contre le client
Il n’a pas fallu longtemps pour que le nouveau CEO de Marriott, Anthony Capuano, lui emboite le pas dans une interview donnée au blog The Points Guy.
Ce qu’il dit en résumé : « il y a des clients qui veulent un retour à la normale et des propriétaires d’hôtels qui ont perdu de l’argent et veulent des marges plus confortables ». »On va devoir trouver des équilibres et ça ne sera pas parfait [Pour le client] ».
Et il poursuit en donnant l’exemple du ménage optionnel. Il admet que cela peut ressembler à du cost-cutting mais nous promet que c’est pour faire plaisir aux clients « qui n’aiment pas avoir du personnel de ménage dans leur chambre ».
A ce point il ne peut pas ne pas parler de la fusion qui a eu lieu entre Marriott et Starwood et l’absorption du programme SPG (Starwood Favorite Guest) alors considéré comme le meilleur au monde (pour le client) dans le plus décevant Marriott Bonvoy.
Là encore son propos est de dire que Bonvoy ne sera jamais SPG et que c’est OK comme ça. Pourquoi ? Parce que les client Bonvoy auront moins d’attention et de bénéfices de la part des hôtels que n’en avaient les anciens membres SPG mais que vu Marriott leur donne accès à beaucoup plus d’hôtels à travers le monde c’est un très bon deal pour eux au final.
Nous sommes loin d’être certains que les clients adhéreront à ce propos surtout les « ex-SPG ». Si, de manière générale le programme Marriott Bonvoy qui reprend une partie des anciens avantages SPG est vu comme un progrès pour les anciens clients Marriott, les anciens clients Starwood le voient quand même comme un recul. Et ça ne va donc pas s’arranger.
Un éternel débat
Si tout le monde s’accorde qu’un bon programme de fidélité est essentiel car il permet de conserver les clients et les incite à réserver en direct plutôt que de passer par des OTA comme Booking, ce qui est meilleur à la fois pour le client et l’hôtelier.
Mais un bon programme de fidélité ça n’est pas qu’une liste d’avantages, c’est le fait qu’ils soient vraiment exécutés. Et pour cela il faut que les hôteliers jouent le jeu, contraints et forcés.
Prenons l’exemple d’Accor dont le programme de fidélité ne cesse de subir des transformations et des changements de noms depuis des années, à un rythme supérieur à celui de ses concurrents. On peut critiquer le fait que sur de nombreux aspects ce qui s’appelle aujourd’hui ALL (Accor Live Limiteless) soit un programme radin, et surtout pour ses meilleurs clients et pas du tout pensé pour le client comme on vient de le voir récemment avec les « Suit Night Upgrades » mais ça n’est pas le plus important.
De notre expérience et même si on espère que les choses changeront un jour, peu importe les bonnes intentions et la créativité qu’Accor mettra dans son programme, il sera toujours en dessous des meilleurs et ce pour une seule raison : Accor ne contrôle pas ses hôteliers qui n’en font qu’à leur tête lorsqu’il s’agit d’appliquer le programme et ses bénéfices. Hôteliers qui voient dans les bénéfices un coût là où le groupe voit un investissement à long terme sur l’attractivité de ses hôtels.
Cette tension entre client et hôtelier existe partout, pas que chez Accor. Mais ce qui diffférencie les leaders des autres est cette capacité à trouver le bon équilibre, à faire exister une culture qui met le client en avant et, surtout, à faire respecter ses règles.
Faut il s’attendre au pire ?
Après de telles déclarations on est en droit de se poser des questions sur l’avenir du service en hôtel et a fortiori de l’attention qui sera ou non portée aux meilleurs clients (mais pas qu’à eux).
On ne peut nier que le contexte est difficile, les demandes des hôteliers légitimes et que des récriminations qui auraient pu passer par pertes et profits il y a 3 ans sont aujourd’hui à considérer avec le plus grand sérieux.
Mais de l’autre côté il y a le client qui est quand même la raison d’être de tels établissements. Client qu’on a tout fait pour garder par le truchement des programmes de fidélité même s’il ne pouvait plus voyager d’ailleurs. Et rien ne prouve que le client soit devenu moins exigeant avec la crise. Bien au contraire.
Ce qui est inquiétant n’est pas tant le fait de vouloir aider des hôteliers, des partenaires économiques, à retrouver la santé. Dans ces business on gagne ensemble ou on perd ensemble. Non, ce qui est inquiétant c’est le message qui met clairement le client au second voire au troisième plan et toutes les conséquences qu’il peut avoir pour le futur.
En tout cas on peut
- Espérer que les marques premium ne tombent pas dans cette spirale, elles savent sur quoi elles ont construit leur réputation et comment elles ont acquis une clientèle fidèle
- Se dire que le plus gros des dégâts porte sur une hôtellerie urbaine ou péri-urbaine visant une clientèle de passage au budget contrôlé.
- Se résigner à aller voir ceux qui ne semblent pas se décider à suivre cette voie. Comme Hyatt qui tient à son standing ou Accor qui peut voir l’écart avec les autres se réduire sans effort de sa part.
Image : service à l’hôtel de Dmitry Kalinovsky via Shutterstock