Dévaluation : pourquoi vos programmes de fidélité vous en donnent ils toujours moins ?

Qu’on parle aérien ou hôtellerie, les programmes de fidélité sont un bon moyen pour les acteurs du secteur de fidéliser leur clientèle. Mais, malgré tout, ils ne cessent de diminuer les avantages que ceux-ci offrent à leurs membres. Paradoxal ? Pas tant que ça.

La fidélité se consomme de différentes manières

C’est un sujet qui provoque de vives réactions chez certains clients et en laisse d’autres totalement indifférents. Pourquoi donc ? Tout le monde n’a pas le même rapport aux programmes de fidélité et c’est quasi culturel.

Vous avez des personnes qui, voyageant souvent, tentent d’optimiser les bénéfices de leurs programmes de fidélité autant que possible. On parle ici de voyageurs d’affaires ou de « gros » voyageurs loisir. Souvent ils sont un peu les deux.

Et il y a les personnes qui ont pris une carte de fidélité car on la leur a proposé mais ne voyagent pas assez pour tirer assez du programme donc n’en font pas un pilier de leur politique voyage, voire ne savent même pas ce qu’il peut leur apporter. Pour eux l’optimisation du programme de fidélité a plus de sens chez Monoprix que chez Air France et c’est logique. Donc que leur programme soit « dévalué » ou pas, peu importe finalement. Et ils ont bien raison.

On voit bien que le sujet est inexistant dans les forums « travel » en France par exemple alors qu’il est très chaud aux USA, au Royaume-Uni voire en Allemagne. Pays où le voyage d’affaires est plus développé en local comme vers l’international ? Ceci expliquerait cela en termes d’éducation du client sur le sujet.

La dévaluation d’un programme de fidélité dans les faits.

Un programme de fidélité, qu’il soit aérien ou hôtelier peut être dévalué de différentes manières sans que le client ne le perçoive forcément. Pire, on arrive même à lui vendre ça comme un avantage dans certains cas.

Les statuts

On peut par exemple rendre plus difficile l’accès à certains statuts qui procurent le plus d’avantages. Ou encore introduire des statuts nouveaux qui permettent de rendre plus long l’accès aux statuts les plus hauts. Ironiquement dans, ce cas, on peut même assister à un tour de magie : l’introduction d’un statut intermédiaire peut permettre à certains clients de progresser d’un rang car il sont dans la tranche supérieure du statut inférieur (vous suivez ?) alors qu’ils se retrouvent au final avec autant ou moins d’avantages.

Les billets et nuits « prime »

Un des principaux intérêts que voient les clients dans les programmes de fidélité est la possibilité de gagner des points/miles et de les convertir en nuits/billets totalement ou partiellement gratuits.

Régulièrement le nombre de points nécessaires pour un vol ou une nuit dans un hôtel donné évolue. Et devinez quoi ? Très rarement pour les rendre plus accessibles. C’est là où le terme dévaluation prend tout son sens car vos miles/points perdent de la valeur comme de l’argent qui dort dans un compte en banque alors que l’inflation est galopante ! On a eu un bel exemple chez Marriott récemment. Au niveau aérien les récentes évaluations du barème Flying Blue font que la meilleure utilisation possible de vos miles est de s’en servir pour voler…sur des compagnies partenaires.

Autre technique qui peut être présentée comme un bénéfice : le cash & points. Vous n’avez pas assez de miles pour vous acheter le billet de vos rêves, qu’à cela ne tienne ! Utilisez ce que vous avez et complétez en argent. Pour le programme ça aide a dépenser plus vite vos miles et c’est une bonne nouvelle (vous verrez plus loin pourquoi) mais entre le barème qui explose et des sommes parfois hallucinantes qu’on vous demande en complément il arrive que vous vous fassiez plumer des deux côtés.

Et puis bien sûr il y a la réduction de la durée de validité des miles/points.

Les « exemptions »

L’utilisation des miles/points peut être rendue plus difficile. On peut limiter par exemple le nombre de sièges par vol concernés, on peut empêcher l’achat de nuit avec des points à certaines dates (black out dates).

Cela se voit souvent quand un programme de fidélité décide de « baisser ses prix » sur quelques catégories de produit pour montrer qu’il ne fait pas qu’augmenter son barème…et dans la foulée il rend ces produits quasi inaccessibles.

On voit également des programmes hôteliers qui disent que tel ou tel bénéfice ne s’appliquent pas dans certaines chaines ou pays comme c’est le cas chez Accor à un point qui en est presque caricatural mais comme vu précédemment, Marriott n’est pas en reste non plus.

La suppression de bénéfices et les faux bénéfices

C’est la manière la moins subtile de dévaluer les bénéfices d’un programme : supprimer purement et simplement un bénéfice ou le faire remonter à un statut plus élevé, ce qui se passe quand on introduit un nouveau statut intermédiaire.

Plus subtile, faire passer une prestation « normale » en bénéfice. Quand une chaine « premium » offre à ses membres elite le « turndown service » autrement dit la préparation de la chambre pour la nuit (fermer les rideaux et ouvrir le lit) sachez qu’en théorie c’est une prestation offerte à tous.

Bon ça n’est qu’une liste non exhaustive de bonnes mauvaises pratiques en matière de dévaluation mais cela donne un aperçu assez large de ce qu’on peut constater.

Mais pourquoi dévaluer un programme de fidélité ?

Maintenant qu’on a vu ce qu’était une dévaluation, réfléchissons à ce qui fait qu’une compagnie aérienne ou une chaine d’hôtels se mettent ses clients a priori les plus fidèles à dos ?

Parce que les miles/points sont une dette

Vos miles/points sont une sorte de monnaie interne au programme de fidélité. Mais à la différence des billets de Monopoly ils ont aussi une valeur dans la « vraie vie ». Leur valeur est recalculée en euros ou dollars sonnants et trébuchants pour atterrir dans le bilan de la compagnie aérienne ou du groupe hôtelier…ou plutôt dans celui du programme qui est une activité filialisée le plus souvent avec son équilibre économique propre.

Les points et miles sont une dette à votre égard car du jour au lendemain vous êtes en droit de les échanger contre quelque chose. On parle là de montants qui se chiffrent en centaines de millions. Pas étonnant qu’il y ait intérêt à :

  • annuler cette dette au plus vite (en limitant la validité)
  • en aidant à les consommer (cash and point, en offrant la possibilité d’acheter autre chose que des nuits et des vols, comme des places de concert, des soins au spa etc)
  • en réduisant la contrepartie de ce que vous avez pour 1 point ou un mile (dévaluation du barème d’échange, votre Paris New York ne vaut plus 100 mais 120 par exemple).

Parce qu’il y a trop de membres à haut statut

Pour rendre un programme attractif on multiplie les bénéfices et/ou on rend les hauts statuts faciles à atteindre. C’est ce qu’on fait pour un programme neuf ou un programme qu’on veut relancer.

A un moment donné on se retrouve avec trop de monde dans les hauts statuts et certains bénéfices ont du mal à être délivrés : pas assez de chambres premium pour les surclassements, pas assez de place dans les salons aux aéroports pour accueillir tout le monde dans de bonnes conditions etc. Quand le bénéfice est intangible ça va, quand il comporte des limites physiques, trop de hauts statuts nuisent au hauts statuts qui eux-même se plaignent d’ailleurs.

Donc aussi cycliquement qu’on essaie de rendre le programme attractif on le purge ou en tout cas on « nettoie » le haut de la pyramide.

Parce que c’est un coût

Bien sûr la notion même de programme de fidélité suppose qu’on soit convaincu qu’il s’agit d’un investissement qui permet de faire revenir ses clients sans dépenser des sommes astronomiques pour en conquérir de nouveaux, il n’en reste pas moins qu’à court terme un programme de fidélité a un coût. Et ce sera un des plus simples à supprimer ou réduire en cas de crise, de période de vache maigres même si le bon sens dit que dans ces moments il faut justement consolider le noyaux de clients fidèles qui réservent dans une chaine ou une compagnie aérienne par réflexe sans même regarder la concurrence.

Parce qu’on a une culture financière et pas marketing

C’est une chose que m’a enseigné un ami qui travaille dans l’hôtellerie. Un groupe hôtelier ou une compagnie aérienne, comme toute entreprise d’ailleurs, peuvent avoir deux cultures, deux ADN, qui dictent leurs priorités.

Certains ont une culture de la finance, du revenu. Vendre le plus, dépenser le moins, remplir les hôtels à tout prix et même au détriment parfois du service et du client.

D’autres, plus rares, sont davantage drivés par le marketing qui leur apprend qu’aujourd’hui leur marque c’est l’expérience que vit leur client et qu’un client fidèle coûte infiniment moins cher à entretenir qu’un client nouveau à conquérir.

Parce qu’on ne sait pas gérer les hôteliers ou les compagnies membres

Le grand problème d’un programme de fidélité est qu’il est géré globalement pour être appliqué localement. Le programme pense groupe alors que l’hôtelier pense à sa propre exploitation. Pourquoi faire un cadeau ou surclasser quelqu’un qui vient pour la première et dernière fois chez moi ? Parce que s’il vient chez toi c’est que parce que d’autres ont bien fait leur boulot dans un autre hôtel de la marque et que si tu en fais de même d’autres en bénéficieront.

Ca c’est la théorie. Dans la pratique, et surtout lorsque les hôtels sont franchisés il n’est pas rare que les hôteliers rechignent à appliquer totalement le programme sauf si le client réclame (et encore…). Voire qu’ils fassent pression sur le groupe pour être exemptés de certaines obligations comme on l’a vu chez Accor ou chez Marriott. Qu’on se le dise : sauf incompétence notoire, il n’y a pas de mauvais programme de fidélité au départ, il n’y a que des gens qui refusent son application et détruisent méthodiquement les idées de ses concepteurs.

Mais on a aussi la même chose dans l’aérien. Quand United contrevient aux règles de l’alliance, celle-ci modifie certains bénéfices pour que United ne soit plus fautif. Encore une fois on adapte la loi pour que le contrevenant ne le soit plus…

Il y a donc pleins de raisons pour dévaluer un programme de fidélité, certaines étant meilleures que d’autres et plusieurs manières de le faire. Mais gardez bien en tête que lorsqu’un programme de fidélité évolue c’est rarement dans le sens du client.

Photo : carte de fidélité par Andrey_Popov via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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