Et s’il ne restait que 12 compagnies aériennes majeures ?

Nous avons vu dernièrement que dans l’optique d’une crise à venir du secteur aérien, Air France se devait de restaurer sa rentabilité si elle ne voulait pas en ressortir affaiblie et constituer, dans le meilleur des cas, une proie facile pour ses concurrents qui auraient mieux passé l’hiver.

Mais, justement, quels peuvent être les grands gagnants et les grands perdants de la crise ?

Va-t-on vers une crise du transport aérien ?

Prenons les choses dans le bon ordre. Avant de s’intéresser aux survivants demandons nous déjà si la probabilité d’une crise prochaine est si élevée, ce qui peut sembler paradoxal dans un secteur qui connait une croissance continue de son trafic et alors que les carnets de commande d’Airbus et Boeing sont pleins !

Pourtant ce risque est majeur et nous en avons déjà parlé ici. Ca n’est pas tant une question de demande que de demande rentable : si ça n’est pas la seule raison qui amène à s’inquiéter, il y a de réelles surcapacités qui trainent les prix vers le bas et entrainent les compagnies dans une spirale ou peu ont les moyens de jouer à ce petit jeu durablement en attendant de meilleurs auspices. Ajoutez à cela le besoin de financer de lourds investissements et l’augmentation des prix du pétrole et le tableau est complet.

Oui tout laisse donc supposer que les turbulences arrivent et qu’en suivra une période de consolidation, à plus forte raison en Europe où elle n’a pas eu lieu et où la concurrence fait rage comme nulle part.

Pour Lufthansa il restera 12 compagnies aériennes majeures

C’est dans ce contexte que, récemment, Carsten Spohr le PDG de Lufthansa a mis les pieds dans le plat en annonçant qu‘il ne resterait bientôt plus que 12 compagnies aériennes majeures.

Je cite :

« Le secteur évolue vers une douzaine de compagnies agissant mondialement et opérant les grandes liaisons internationales, en plus de plus petites compagnies nationales où régionales […] Trois aux Etats-Unis, trois en Chine, trois dans le Golfe et trois en Europe« .

Une déclaration qui n’a pas manqué de susciter des réactions telles que « manque de vision » ou « pour qui se prend il celui-là ».

Chez TravelGuys on aurait tendance à être d’accord avec lui. Pas forcément sur le nombre exact mais sur la tendance générale.

Il ne dit pas qu’il ne restera plus que 12 compagnies au monde, mais 12 qui opéreront les grandes liaisons internationales aux côtés d’autres au périmètre plus régional ou continental. Alors bien sûr personne ne veut voir « sa » compagnie nationale reléguée au rang de simple acteur régional mais si on y prête attention c’est déjà ce qui s’esquisse depuis longtemps.

Petit état des lieux

Aux Etats-Unis de la place pour tout le monde

Les Etats-Unis ont déjà connu leur consolidation. Aujourd’hui entre Delta, American Airlines et United il n’y a pas trop à s’inquiéter et d’autant plus que les compagnies américaines ont leur arme anti-crise : le Chapter 11 qui leur permet de se restructurer et investir à l’abris de leurs créanciers dès que le temps tourne à l’orage.

Par contre seule Delta a l’air aujourd’hui de vouloir activement participer à la consolidation hors de son marché domestique en multipliant les prises de participation dans ses partenaires. En attendant plus ?

L’Amérique du Sud et l’Afrique hors jeu

Peut on espérer voir un acteur sud-américain venir participer au jeu ? Aucun d’entre eux n’a la taille critique suffisante aujourd’hui pour y prétendre et il n’y pas trop de raison pour que cela change. La plupart des compagnies du sous-continent sont davantage orientées vers leur marché intérieur et continental et pèsent finalement peu dans le liaisons intercontinentales. L’exemple type de l’acteur à vocation régional.

Même chose en pire pour l’Afrique qui ne comprend aujourd’hui aucun acteur susceptible de participer à la consolidation si tant est qu’il survive à la crise. La longue histoire de la mainmise européenne sur les liaisons internationales et la proximité des compagnies du Golfe est une barrière quasi définitive à la croissances des compagnies du continent si tant est qu’elles arrivent à hausser leurs standards de qualité et assainir leur gestion.

Qui aux côtés d’Emirates dans le Golfe ?

Du côté des compagnies du Golfe il semble évident qu‘Emirates est là pour durer, quand bien même nous pensons qu’au même titre que des voisines Qatar et Etihad elle a fini au moins pour un temps de manger son pain blanc.

Et qui d’autre ?

Qatar nous semble être une candidate naturelle dont la bonne tenue continue de surprendre tant la compagnie semble nager dans un océan d’adversité.

Et puis ? Citer Etihad serait la solution de facilité et nous n’y succomberont pas. Etihad est en mauvaise santé, de nombreux signes montrent une dégradation de son service et quoi qu’en dise son président on attend le jour où Emirates va lui mettre la main dessus.

Alors qui ? La très sympathique et ambitieuse Oman Air ? On aimerait bien tant leur produit est de qualité mais elle va avoir un problème de taille critique pour s’affirmer comme un acteur de niveau mondial alors que son réseau est principalement soit régional soit tourné vers l’Asie. Saudia ? Même remarque avec en plus des questionnements géopolitiques qui sont de vrais freins à son déploiement quand bien même elle ferait les investissements nécessaires.

Donc on ne voit que deux acteurs majeurs à terme dans la région, peut être rejoints à terme par Oman Air mais pas tout de suite.

De la casse en Asie ?

C’est avec l’Europe le cas le plus intéressant vu la multiplicité des acteurs. Qui peut imaginer Japan Airlines, ANA, Cathay ou Thaï disparaitre demain ? Personne. Quoique.

Malgré son très bon service Malaysia ne s’est jamais remise de la période noire vécue il y a quelques années a fortement réduit et sa voilure et ses ambitions. Et son gouvernement ne semble pas enclin à trop la maintenir sous perfusion.

Thai ne va pas bien non plus mais son gouvernement laissera-t-il couler sa compagnie nationale ? Même question pour Catay dont les finances ne sont pas au beau fixe et qui souffre, en plus, des récentes tensions entre la Chine et Hong Kong. Là aussi on peut se dire que la nature symbolique de la compagnie peut pousser les pouvoirs publics à faire quelque chose mais pas sur que les dirigeants chinois et hongkongais aient la même vision de ce « quelque chose ». En attendant Cathay va aujourd’hui très mal.

Vietnam Airlines se développe bien mais pas assez pour aller jouer dans la cour des grands. Garuda Indonesia ne restera jamais qu’un acteur régional, a fortiori quand on voit leurs revirements de stratégie permanent sur la desserte de l’Europe sans que le succès ne soit au rendez vous (et c’est dommage vu la qualité du produit).

Thai, Asiana et Japan Airlines sont trop petites aujourd’hui. On a des doutes sur la santé à moyen terme de Korean.

On peut sans problème parier sur Singapore Airlines et ANA. Et à côté on miserait bien une petite pièce sur Japan Airlines et un joker sur Cathay Pacific.

Et l’Inde au fait ? Pays sinistré au niveau de l’aérien on ne le voit pas jouer un rôle majeur dans l’avenir.

Du suspense en Chine ?

A priori en Chine les jeux sont courrus d’avance : Air China, China Eastern et China Southern. Fermez le ban.

On aurait aimé disserter sur la capacité de la très bonne et prometteuse Hainan Airlines à faire bouger les lignes mais la Chine s’est la Chine et l’industrie aérienne s’organisera de toute manière de la manière que le gouvernement trouvera la plus pertinente pour jouer un rôle majeur à l’avenir sans que le marché n’ait un vrai rôle là dedans.

Et l’Océanie ?

Monsieur Spohr ne voit pas un acteur de la région jouer un rôle majeur à l’avenir et cela nous surprend. D’accord Air New Zealand est un peu trop « regional », mais Qantas ?

Mais finalement les deux compagnies sont dans le même cas : leur localisation les empêche de s’inscrire dans une logique de hub autre que regional. Elles continueront à faire leur business dans leur coin avec quelques vols très longs courriers mais ne peuvent prétendre à une croissance massive sur ce secteur.

Et l’Europe pour finir

Pas besoin d’être voyant pour dire qu’on connait deux « suspects » assez évidents. Mais en Europe plutôt que raisonner en compagnies il vaut mieux raisonner en groupes.

IAG (British Airways, Iberia, Aer Lingus, Vueling, Level, OpenSkies) pour commencer, qui affiche une santé insolente et Lufthansa Group (Lufthansa, Swiss,Austrian, Brussels Airlines, Eurowings) malgré ses récents résultats médiocres ont le profil pour continuer à jouer un rôle majeur sur les grandes liaisons internationales dans le futur.

Et ensuite ? Air France-KLM. Ce serait le plus logique à condition que la trop faible rentabilité du groupe ne le fasse sortir de la crise exsangue.

Ah non j’allais oublier Turkish Airlines qui vient de se doter d’un aéroport capable de supporter une croissance massive et qui est déjà la compagnie qui dessert le plus de destinations au monde avec, qui plus est, un positionnement idéal entre l’Europe et l’Asie. S’il ne doit rester que trois acteurs en Europe comme le dit Spohr alors Turkish fera partie des trois. Donc on va espérer pour notre compagnie nationale que sa prédiction est aussi fiable qu’un sondage en période électorale.

Pour le reste les acteurs européens sont déjà en train de devenir des acteurs majoritairement régionaux donc rien de nouveau à attendre à moins que sur fonds de consolidation un nouveau groupe ne se forme. Improbable mais il ne faut jamais dire jamais.

Au fait d’ici peu IAG risque de ne plus être un transporteur européen, ce qui n’est pas neutre non plus.

Et les low-cost dans tout ça ?

Elles brillent par leur absence et je suis certain que certains vont s’en offusquer. Mais aujourd’hui rien ne prouve que le modèle low cost long courrier est viable même si après avoir annoncé abandonner ses plans dans le domaine Lufthansa a finalement fait machine arrière…mais pour combien de temps.

J’aurais bien misé sur Norwegian dans ma liste mais malgré des récents signaux positifs (aide d’un fonds souverain, recentrage sur ses métiers de base) l’horizon semble encore un peu trop nuageux.

La vérité c’est que bien malin est celui qui saura prédire comment elles passeront la crise.

En sortiront-elles renforcées en raison de leur plus forte résilience ?

En sortiront elles affaiblies car leur modèle est un modèle qui nourrit la croissance par la croissance ? D’ailleurs on voit bien qu’elles semblent déjà être les premières à tirer la langue.

Subiront-elles toutes le même sort ? Il y a low cost et low cost et certaines sont peut être mieux armées que d’autres pour passer les temps difficiles.

Par contre dans cette logique de consolidation je reste justement convaincu que les low-cost (enfin celles qui survivront) on un rôle à jouer aux côtés des « legacy ». Si chacun se spécialise sur ce qu’il fait de mieux et le plus rentablement il faudra inévitablement se poser la question de savoir si la meilleure option pour les grands transporteurs long courrier n’est pas justement de confier l’alimentation de leurs hubs à des compagnies comme Easyjet….

Conclusion

Comme le disait Pierre Dac, « les prédictions sont difficiles surtout quand elles concernent l’avenir » et dans quelques années on se dira peut être qu’on était totalement à côté de la plaque. Mais réfléchir à quoi ressemblerait un paysage aérien post-consolidation n’est pas inintéressant.

Photo : Avions à l’aéroport de Kichigin via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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