Air France : le rebond est il possible après l’attrition ?

On parlait dernièrement de la possibilité d’attrition du réseau chez Air France pour revenir à une meilleur rentabilité. Mais la question est de savoir si après une cure d’amaigrissement et de detox la compagnie pourrait retrouver le chemin de l’expansion.

Alors prenons les choses dans l’ordre.

Pourquoi Air France doit elle améliorer sa rentabilité ?

Fin Juillet, dans une interview au Figaro, Ben Smith, le directeur général d’Air France-KLM disait ceci :

« La marge d’Air France en 2018 n’était que de 2 %, contre 9 % pour KLM, 10 % chez Lufthansa, 12 % chez British Airways et 18 % chez Ryanair. 2 % de marge chez Air France, ce n’est pas satisfaisant. Cinq points peuvent s’expliquer par les coûts en France. Mais deux points sont dus à la complexité et à l’inefficacité de la compagnie. À nous de nous y attaquer. « 

On le remercie au passage pour cette franchise trop rare chez ses prédécesseurs.

Cette inefficacité s’apprécie, à notre avis, sous de nombreux angles. Inefficacité et lourdeur organisationnelle, inefficacité énergétique avec une flotte globalement vieillissante et inefficacité coûts. Par ce dernier élément on entend qu’Air France a une structure de coûts qui est le fruit de sa nationalité fiscale, de son histoire et que cela ne lui permet pas de se battre sur toutes les lignes et tous les marchés : nombreux seront ceux où une compagnie avec des coûts autres pourra être rentable alors que c’est quasi mathématiquement impossible pour Air France.

L’enjeu de la rentabilité présente deux facettes.

La première est évidente : quand vos concurrents sont 6 ou 9 fois plus rentables que vous il n’y a pas besoin de sortir d’une des meilleures écoles de commerce pour savoir que vous êtes en train de vous faire largement distancer. Et quand votre « petite compagnie sœur » que vous avez par trop longtemps regardé avec condescendance l’est 4,5 fois plus que vous cela ne peut que poser des questions en interne.

La seconde est que tout laisse à penser que le secteur va vers une crise qui, et là nous sommes totalement d’accord avec Carsten Spohr, le PDG de Lufthansa, va amener à une consolidation d’où ressortiront à son avis 12 compagnies (on peut discuter le chiffre mais la tendance est lucide).

Un seul moyen d’être dans les 12 : d’abord survivre à la crise, ensuite être capable de croître à nouveau une fois la tempête passée, soit sur les cadavres de ses concurrents soit en les rachetant. Et pour cela il faut de l’argent, du cash. Et autant dire qu’avec 2% de marge après des années où se sont succédées les pertes, c’est le gros problème d’Air France.

Cadavre ? Proie ? Ou Prédateur ?

Pas de réflexion avancée sur le remplacement des A380 et des B777 ? Un renouvellement des cabines qui se fait à la vitesse d’un escargot anémique ? Le choix de l’A220 face à des A320Neo ? Un dénominateur commun : si Air France a de l’ambition elle n’en a pas aujourd’hui les moyens et doit se contenter de vivre et faire avec ses faibles moyens là où ses concurrents Lufthansa Group et IAG (British, Iberia…) ont le cash qui leur permet de voir venir la crise, d’investir et de participer à la consolidation du marché.

Une fois la tempête passée Air France aura-t-elle disparue ? Sera-t-elle une proie ? Sera-t-elle un prédateur ? La réponse à cette question tient en quatre lettres : C A S H.

Qu’est ce que l’attrition ? C’est une cure d’amaigrissement visant à repositionner une entreprise sur les produits / marchés sur lesquels elle gagne de l’argent en se désengageant de là où elle en perd de manière structurelle sans grand espoir que les choses changent.

Cela peut prendre différentes formes selon la gravité du mal ou le courage des dirigeants.

Dans sa version la plus « pure » ou intégriste on parle de sortir des avions de la flotte, supprimer des liaisons et licencier du personnel. Dans des approches plus lights on ferme un peu moins de routes, on ne licencie pas ou peu et on réduit par contre les capacités sur les routes qu’on garde.

Attention : l’attrition n’est pas une stratégie ou alors il n’y a qu’a tout fermer, vendre les avions et licencier tout le personnel et à défaut de gagner de l’argent on est sûrs de ne plus en perdre. C’est par contre la conséquence d’une stratégie de retour à la rentabilité lorsqu’on n’a pu y arriver autrement, notamment en jouant sur les coûts et l’organisation. On se souvient qu’à l’époque du dernier grand mouvement de grève des pilotes d’Air France l’attrition était présentée par la direction comme la seule porte de sortie en l’absence d’accord avec les pilotes. Et le temps qu’il a fallu pour sortir de la spirale des pertes et afficher un triste 2% de marge semble lui donner raison à posteriori.

L’exemple de British Airways

Une compagnie aérienne européenne a mené un plan d’attrition avec succès : British Airways.

Au début des années 2000 la compagnie anglaise tire déjà la langue et le 11 septembre sonne comme un coup de semonce : elle doit se transformer ou mourir.

13 000 postes seront supprimés en 3 ans. 47 appareils (sur 361) quitteront la flotte en 2 ans. Quasiment toutes les lignes déficitaires seront supprimées (36 en tout).

Pour parachever le tout les capacités sont réduites de 20% en réduisant l’offre en classe économique pour augmenter le nombre de sièges en business et introduire, une première à l’époque, des sièges lit totalement plats en business dans le cadre d’une stratégie de montée en gamme pour les passagers les plus « rentables ».

Résultat : la part de marché de British Airways en Europe fond de 25% à 17% en 3 ans. Mais la rentabilité est au rendez vous et aujourd’hui la compagnie affiche la santé insolente qu’on lui connait.

Chose remarquable : une fois revenue à une meilleure fortune financière toutes les routes précédemment fermées ont été réouvertes. Et la flotte a recommencé à croître , cela va sans dire.

Le même remède a été appliqué chez Iberia (propriété d’IAG comme British Airways) pour les mêmes résultats.

Un modèle pour Air France ?

Si les choses allaient dans le sens de l’attrition, peut on espérer pour Air France la même issue heureuse ? Rien ne permet de le dire.

D’abord parce que la voie que semble choisir Air France est une voie médiane. On devine des réductions évidentes de capacités sur le moyen courrier mais rien ne dit que des lignes seront fermées. Si la performance de l’A220 va peut être aider à rendre certaines lignes non rentables rentables la compagnie continuera à certainement à exploiter des lignes déficitaires.

Ensuite parce que la fermeture de lignes moyen-courrier aurait une conséquence directe sur le long courrier (même si une simple réduction de capacités en aura de toute manière). Beaucoup de ces lignes alimentent le hub de Roissy et par définition leur fermeture aurait des conséquences sur le remplissage des longs courriers.

Autre facteur à prendre en compte : les low cost qui à l’époque de la grande cure de British Airways n’avaient pas la puissance ni la taille qu’elles ont aujourd’hui. Si on ajoute l’excellente santé de British Airways et de Lufthansa on peut craindre que ce qui sera laissé à la concurrence ne sera plus récupérable dans le futur. Sauf à penser que le modèle économique des low cost ne survivra pas à la crise sectorielle qui se profile voire qu’il les rend beaucoup plus vulnérable que les compagnies historiques dans un tel contexte. Ce qui est loin d’être inimaginable.

Remarquez que si on assume le modèle jusqu’au bout et qu’on part du principe que là où Air France est bon et rentable c’est le long courrier, pourquoi ne pas ressortir l’idée parfois avancée par certaines low cost de spécialiser Air France sur ce créneau et faire un partenariat avec un EasyJet par exemple ou sous traiter le moyen-courrier et alimenter son hub ?

Dernier point : la perte des fameux slots à Roissy et Orly, chose qui fait certainement qu’on s’oriente davantage vers une réduction des capacités qu’une attrition « dure ». Pour autant vaut il mieux perdre des slots que d’ouvrir des liaisons « bizarres » comme le récent Orly-Genève pour le plaisir de les garder ?

Air France n’a pas le choix

On se dirige donc vers un modèle d’attrition « light » permettant d’espérer un retour à la rentabilité sans trop toucher au réseau et bien malin celui qui peut dire si ça sera suffisant. Mais rien ne dit non plus qu’aller plus loin et refaire le coup de British Airways fonctionnerait dans le monde d’aujourd’hui d’autant plus qu’un plan de licenciement massif ne ferait, dans le contexte d’Air France, qu’ajouter une crise à la crise.

Mais avec 2% de marge la compagnie française n’a pas le choix si elle veut passer l’hiver qui s’annonce au chaud et en sortir en bonne posture. Une attrition « light » ne résoudra pas tout et il faudra se pencher sur l’efficacité de l’organisation, mais elle fait sûrement un peu partie du remède.

Et l’enjeu n’est pas tant de savoir si cette approche est la bonne mais de savoir si après s’être éventuellement refait une santé, la compagnie aura les moyens et la place pour repasser à l’offensive

Photo : B777-200 Air France By Matheus Obst via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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