La date fatidique arrive et tout laisse à penser qu’on va se diriger vers un Brexit sans accord. Une situation qui, même si elle dure pas, ne sera pas sans impact sur l’industrie aérienne et les passagers.
Et comme ce qui va se passer autant que le pourquoi reste une énigme pour beaucoup de monde, essayons d’y voir plus clair.
Le passager finalement peu impacté par le Brexit
Les voyages entre le Royaume-Uni et le reste de l’Union Européenne donnaient lieu à un contrôle de police, faute d’appartenance du premier à l’espace Shenghen. Autrement dit la logique d’un contrôle existant déjà, la seule chose qui pouvait changer était les conditions d’admission. Autrement dit « visa ou pas visa ». Autant dire que la nécessité d’obtenir un visa avant de partir aurait été très problématique et que l’option du « visa on arrival » délivré à l’aéroport de débarquement aurait dramatiquement rallongé les files d’attentes.
Face à ce risque réel la Commission Européenne a décidé de faire un pas en avant en proposant de ne pas imposer de visa aux britanniques pour les séjours de moins de trois mois en cas d’absence d’accord, pour peu que la réciproque s’applique. Et elle suggère même, en cas d’accord, d’appliquer ce principe pendant la période transitoire.
On peut croire que le sujet fasse relativement consensus des deux côtés de la Manche et que ce sera le point le plus simple à débloquer. Pour autant rien n’est acté à ce jour et comme, sur le sujet, nos voisins ne sont plus à une reculade près, il faut continuer à croiser les doigts.
On attend donc encore la réponse britannique même si Theresa May y est favorable et que cette proposition doit encore être adoptée par le parlement Européen et le Conseil de l’Europe.
A quoi sert de pouvoir aller dans un pays sans moyen de transport pour s’y rendre ?
Donc a priori tout va bien. Enfin pour le passager, mais c’est l’industrie du voyage, et pas seulement aérienne, qui fait face aux plus gros problèmes. En d’autres termes, vu que je vois mal les gens aller en Angleterre à la nage, il faut continuer à faire voler les avions. Et c’est là que ça se complique.
Pour bien comprendre où le problème se situe c’est que les compagnies aériennes britanniques bénéficient d’un certain nombre de certificats et autorisations de par son appartenance à l’Union Européene.
Quand British Airways vole vers un pays non européen elle le fait en vertu d’un accord de ciel ouvert négocié entre l’Europe et le pays en question. Avec la sortie de l’Union les compagnies britanniques ne pourront plus se prévaloir des accords dont l’Europe est signataire et devra donc négocier de manière bilatérale avec chaque pays. Ce qu’elle a déjà fait avec les Etats-Unis par exemple. Mais restaurer une pleine capacité à voler partout dans le monde peut prendre du temps.
Quid des vols entre l’Europe et le Royaume-Uni ? Plus de peur de que mal. A priori il sera simple de mettre en place une approbation des vols sur les vols dits de connectivité (vols directs) entre la France et le Royaume-Uni, de par la volonté même des gouvernements. Autrement dit votre Nice-Londres n’est pas en danger. Voilà pour ce qui est de la France. Car, côté britannique il faudra trouver un modus operandi similaire avec chacun des 27 pays de l’union.
L’importance de la détention du capital dans les compagnies européennes
Par contre le Brexit signe la mort du cabotage, autrement dit le fait pour une compagnie britannique de proposer des vols entre deux pays de l’Union (autrement appelés vols de 5ème et 7ème libertés) comme par exemple Paris-Lisbonne. Bien sur on voit tout de suite l’impact que cela aurait pour EasyJet par exemple : cela lui porterait un coup mortel.
La solution ? Devenir des compagnies Européennes ! Autrement dit en opérant ces vols avec une filiale située dans l’Union Européenne ! Rien de plus simple ! Ainsi Easyjet a installé une filiale en Autriche et y a basé 130 appareils, qu’elle y a bien sur immatriculé. De quoi voir venir même si cela va geler la croissance de la compagnie pour quelques temps.
Schéma inverse pour Ryanair qui a avait une licence européenne (République d’Irlande) et vient d’obtenir une licence britannique pour sa nouvelle filiale Ryanair UK.
Alors tout le monde est sauvé ? Et bien non !
En plus d’avoir d’être localisée dans l’Union Européenne, la filiale doit appartenir majoritairement à des capitaux européens.
Ryanair se fait peur
Il semblerait que ça soit le cas d’EasyJet en Autriche. Mais pas de chance pour Ryanair : son capital est détenu à 40% par des actionnaires irlandais, 20% par des Britanniques et le reste par des fonds d’investissement américains. Ce qui n’en fait donc pas une compagnie européenne ! Pour résoudre le problème la compagnie envisage de restreindre les droits de vote de ses actionnaires non-européens (au moins ils traitent leurs actionnaires aussi mal que leurs clients) pour les forcer à revendre leurs actions à des européens.
Et là vous vous dites que les principaux sujets sont réglés. Et bien non : vous oubliez la victime la plus injuste du Brexit : Iberia et sa filiale Vueling qui pourraient se retrouver clouées au sol une fois un Brexit sans accord effectif. Pourquoi ?
Iberia est en fait la propriété à 100% d’IAG (International Airlines Group), comme British Airways, et IAG est une société de droit espagnol basée à Madrid et cotée à Madrid et Londres. Donc tout va bien ? Pas du tout.
Iberia interdite de vol en Europe en cas de Brexit.
Iberia et British ont fusionné pour donner naissance à IAG. Chacune a pris une part du capital de la holding, la dite holding devenant actionnaire à 100% des compagnies. Pour des raisons de souveraineté un montage a été imaginé, dissociant les droits de vote de la détention du capital. Bref la majorité des droits de vote d’Iberia est détenue par des espagnols et le capital par IAG.
Et qui possède IAG ? Quelques petits investisseurs et Qatar. Avec la sortie de British Airways de l’Union cela fait 80% du capital dans des mains non européennes.
S’en suit un dialogue de sourd avec Bruxelles : l’un parle en termes de droits de vote, l’autre en termes de capital. Mais pour l’Union Européenne les choses sont claires : filiale à 100% d’IAG, Iberia ne sera plus européenne le soir de Brexit. Elle ne pourra donc même plus opérer de vols intérieur en Espagne ! Idem donc pour ses filiales Air Nostrum et la low cost Vueling.
Bon c’est tout on en a fini ? Pas du tout !
Le passager a le droit de voyager, globalement on va s’en sortir sur les vols (même si les cas Ryanair, Iberia et Aer Lingus sont vraiment très chauds), donc tout va bien. Et bien non, il faut encore faire voler les avions et mettre des pilotes dedans.
Et les certificats de sécurité et les licences des pilotes, on en parle ?
Pour ce qui est des avions les autorisations de sécurité des appareils vont devenir caduques. Vu que le Royaume-Uni et les pays Européens vont devenir « pays tiers ». Il va donc falloir réémettre des autorisations au cas par cas. Cela ne devrait pas poser de problème technique mais peut prendre du temps. L’Europe travaille sur un pré-accord pour prolonger les autorisations le temps que tout soit clair mais pour l’instant rien n’est fait.
Autre conséquence du Brexit : le Royaume-Uni va logiquement sortir de l’Agence européenne de sécurité aérienne (EASA). Un avion ou à une licence de pilote certifiés n’importe où en zone EASA, est utilisables partout sur la planète. Conséquence : les licences des pilotes et appareils émis par l’aviation civile britannique (CAA) ne seront plus reconnus ailleurs. Le temps que cette dernière et ses procédures soient reconnues par les autres aviations civiles mondiales les compagnies britanniques ne pourront utiliser que des avions et pièces de rechange certifiés EASA et les pilotes britanniques ne pourront voler que sur des appareils immatriculés au Royaume-Uni.
Bonne nouvelle : le Royaume-Uni a déclaré vouloir continuer à reconnaitre les certifications EASA. Mauvaise nouvelle, les européens ne veulent aujourd’hui pas s’engager dans la voie de la réciprocité.
Eurocontrol préservé
Allez une bonne nouvelle pour finir : Eurocontrol, l’instance de contrôle du ciel aérien européen ne sera pas impacté car c’est une organisation indépendante de l’Europe. Le Royaume-Uni en restera donc membre.
Tout peut se solutionner, des deals provisoires peuvent être mis en place pour continuer à fonctionner, la bonne volonté et l’intelligence peuvent enfin se mettre à prévaloir dans ce dossier mais plus le temps passe plus on sera en mode urgence et l’hypothèse qu’on se retrouve devant un immense bazar à la fin du mois n’est pas à exclure. En tout cas ne nous attendons pas à ce que tout fonctionne comme avant ni du premier coup.
On comprend ainsi pourquoi, par exemple, Air France-KLM se réserve le droit de faire marche arrière dans sa prise de participation dans Virgin Atlantic.
Je parlais ici du transport aérien mais je doute que les Eurostars ne soient pas soumis à des questions de certification du matériel comme des conducteurs… Je trouve donc Guillaume Pepy très optimiste quand il dit que l’Eurostar roulera comme avant en cas de Brexit sans accord.
Et vous, vous le sentez comment ce Brexit ?
Photo : Brexit De kostasgr via Shutterstock