Jusqu’à présent la course à la taille des programmes de fidélité était le principal moyen pour les compagnies aériennes d’affirmer leur puissance en la matière mais ça risque de ne pas durer. Emettre des miles leur suffira.
Dans cet article nous allons voir que le concept de programme de fidélité devient peu à peu trop étriqué pour les compagnie aériennes alors qu’il n’est que le marketing qui entoure un business d’avenir : l’émission de miles.
Dans cet article :
- Client ou compagnie aérienne : une vision différente du programme de fidélité
- Business model et marketing d’un programme de fidélité
- La course au nombres de membres : un combat perdu d’avance
- Programme de fidélité cherche compagnies membres en vain
- La monnaie unique, futur de la fidélité ?
- Une guerre géographique
- Conclusion
Si on pose la question de savoir quel est le meilleur programme de fidélité on aura des approches radicalement différentes selon qu’on se mette à la place du client ou de la compagnie aérienne.
Client ou compagnie aérienne : une vision différente du programme de fidélité
Même si en fonction de ses attentes propres chacun arbitrera d’une manière différente, les critères d’un bon programme de fidélité pour le client sont connus. Au moment de choisir un programme de fidélité aérien le client prendra deux choses en comptes : d’un côté les bénéfices accordés, d’un autre côté la possibilité de gagner et dépenser des miles.
Si on se met du côté de la compagnie aérienne on vous parlera le plus souvent du nombre de membres car il est évident que si un programme de fidélité est bon il a de nombreux membres. Ce qui est loin d’être vrai : tout est question de réseau, de zone de chalandise…parfois le passager ne choisit pas sa compagnie habituelle, le choix s’impose à lui. Et comme il choisit (parfois à tort) le programme de fidélité de cette compagnie au lieu d’un autre, le nombre de membres d’un programme ne reflète pas vraiment sa qualité mais plutôt le caractère incontournable de la compagnie qui le possède.
Par contre une chose est certaine, plus un programme a de membres et plus il peut rapporter d’argent et c’est cela qui intéresse les compagnies même si ça ne sont pas les chiffres dont elles parlent le plus volontiers.
Sans surprise, chacun voit ce que lui rapporte le programme et les intérêts des deux peuvent même sembler opposés si on oublie pour la compagnie que non seulement le programme est un investissement sur des revenus futurs et, de plus, qu’il génère ses propres revenus.
Business model et marketing d’un programme de fidélité
Vu de l’extérieur il peut sembler que le business model d’un programme de fidélité est des plus simple : distribuer bénéfices et avantages. Avec un peu de recul et de lucidité on peut avoir une vue un peu plus lucide : il s’agit de faire dépenser assez le client pour financer les avantages qu’on lui offre en contrepartie. C’est déjà plus proche de la réalité mais c’est inexact.
Le business model est la vente de miles, les bénéfices ne sont que le marketing qui va avec.
Nous l’avons déjà expliqué à de maintes reprises donc je vais faire court : lorsqu’un client reçoit des miles de la part d’une compagnie aérienne, d’un émetteur de carte de crédit ou d’un partenaire non aérien du programme en général ces miles ont été achetés par le partenaire auprès du programme afin de les offrir au client.
Et c’est vrai même si on peut penser que la compagnie et le programme sont la même chose. Dans la pratique la plupart des programmes sont des filiales, des entités économiquement indépendantes même si la compagnie en est l’actionnaire unique. Il y a une transaction financière entre les deux même si au final c’est consolidé. Et lorsque ça n’est pas le cas il y a des mécanismes internes qui arrivent au même résultat.
Et lorsque le client utilise ses miles auprès de la compagnie ou d’un partenaire pour s’acheter quelque chose il y a une transaction dans le sens inverse.
Le business model du programme est donc la vente de miles et son seul enjeu est de les vendre plus cher que cela ne lui coute de compenser lors de leur utilisation.
Le prix de vente est à la discrétion du programme pourvu que le partenaire y trouve son compte par rapport à ce que le client dépense chez lui pour obtenir ces miles. Pour ce qui est de la compensation il peut jouer sur la date de validité des miles (pour qu’ils « disparaissent » avant d’être utilisés) ou le barème de rachat lorsqu’on convertir les miles en billet d’achat ou autre chose.
Et pour dire les choses comme elles sont, le business des programmes de fidélité est très rentable. Tellement rentable que le programme de fidélité vaut souvent plus que la compagnie elle-même ! D’ailleurs dites vous que vous n’êtes jamais gagnants avec un programme de fidélité : vous avez plus que largement payé ce qu’on vous offre.
Encore faut il que les clients aient envie de dépenser leur argent chez les partenaires qui achèteront des miles avec lesquels le client s’offrira des vols ou autre chose. Là c’est le rôle des bénéfices : plus ils ont l’air importants plus le client est attiré.
Mais au final si on regarde les choses avec objectivité les bénéfices offerts ne sont que le marketing qui permet de faire tourner la machine à vendre des miles.
La course au nombres de membres : un combat perdu d’avance
Pour que la machine à vendre des miles en vende de plus en plus il faut de plus en plus de membres. Enfin, c’est ce qui semblait évident jusqu’ici.
Mais comme on l’a vu un « bon programme » ne suffit pas à attirer des membres. La plupart des passagers choisiront le programme de la compagnie avec qui ils volent le plus et ne penseront même pas à choisir celui d’une compagnie partenaire au sein de la même alliance s’il est plus généreux (et c’est dommage). Alors choisir une compagnie de référence par rapport à son programme, n’y pensez pas.
Le nombre de membres est le plus souvent fonction de la taille de la compagnie c’est à dire de sa capacité à être incontournable pour une clientèle donnée.
Les programmes des majors américaines dépassent tous les 110 millions de membres, Miles&More (Lufthansa) en a 36, Flying Blue (Air France-KLM) en a 19, Eurobonus, (SAS Scandinavian Airlines) en a 5. Aucune surprise, tout est proportionnel à la taille de la compagnie et à la zone de chalandise naturelle de la compagnie.
Donc il est impossible pour un programme de lutter avec autre sur le nombre de membres car il y a un facteur structurel qu’il ne maitrise pas : la taille de la compagnie aérienne à laquelle il est adossé.
Un combat perdu d’avance où les premiers seront toujours les premiers et les derniers toujours les derniers ? Pas obligatoirement.
Programme de fidélité cherche compagnies membres en vain
S’il est difficile de faire croitre un programme de fidélité organiquement plus vite que la compagnie qui le possède, alors, une solution est que ce programme devienne multi-compagnie. Une compagnie majeure se doit d’avoir la main sur son programme, mais pour une compagnie secondaire créer et exploiter un programme qui offre à ses membres des bénéfices dignes de ce nom est difficile.
Partant du principe qu’il vaut mieux un grand et bel appartement partagé qu’un petit studio lugubre pour soi, certaines compagnies secondaires ont ainsi adopté le programme de fidélité d’une major, lui en laissant la gestion. Ainsi Flying Blue n’est pas que le programme d’Air France-KLM mais également celui de Aircalin et TAROM et était celui de Kenya Airways jusque juin 2023. Miles&More n’est pas que le programme de Lufthansa, c’est également celui de LOT, Croatia Airlines et Luxair.
Mais quand on voit les écarts en termes de nombres de membres convaincre des compagnies petites ou moyennes ne permet de croitre qu’à la marge, ainsi c’est grâce aux rachats que les programmes ont grossi le plus rapidement.
United Mileage Plus est le résultat de la fusion des programmes de United et Continental Airlines, Flying Blue celui de celle entre ceux d’Air France et KLM tandis que Miles&More grossissait au fur et à mesures des acquisitions de Lufthansa (Swiss, Austrian, Brussels Airlines et probablement ITA demain).
Mais là aussi il y a des limites. D’un côté même si le secteur est en consolidation on n’assiste qu’à deux ou trois rachats significatifs par an au maximum, de l’autre il est difficile de pousser une compagnie à abandonner son programme. Un programme a une identité et incarne une partie de la relation entre compagnie et ses clients, la manière dont elle le pense, les bénéfices qu’il offre sont une part de son identité, de sa marque, et sont différenciants. Quand une compagnie adopte le programme d’une autre elle perd une partie de son autonomie dans sa relation avec ses clients. Il ne faut pas croire que le passage de Flying Dutchman à Flying Blue a été bien vécu par les clients de KLM ou que devenir membres de Miles&More est aussi fort pour un client de Croatia Airlines que si la compagnie avait son propre programme. Et ajoutons que les compagnies y perdent l’occasion d’une communication différenciée et personnalisée avec leurs clients, un peu comme si elles sous traitaient une partie de leur marketing sans pouvoir le contrôler.
Et d’ailleurs lors de la constitution d’IAG, British Airways et Iberia n’ont pas fusionné leurs programmes de fidélité, se contentant de les faire fonctionner avec une monnaie unique : les avios.
Un peu comme le fameux « une salle, deux ambiances ».
Ainsi la machine économique était la même mais le marketing et l’identité de chacune était préservée.
La monnaie unique, futur de la fidélité ?
On a effectivement pu trouver bizarre que deux programmes de fidélité continuent à coexister alors que British Airways et Iberia fusionnaient au sein d’IAG mais à y regarder de plus près c’était certainement le système le plus intelligent.
Chacune des deux compagnies a son programme qui est un canal relationnel avec sa clientèle, clientèle qui n’est pas la même. Chaque programme a ses bénéfices, est résultat d’une histoire, d’une identité, d’arbitrages. Et, surtout, chaque programme gère ses status à sa manière avec son propre système de de « tier points » et ses propres seuils, correspondant à sa clientèle, ses habitudes de voyage, son profil de dépenses.
Peu importe, l’attribution des statuts ne correspond à aucune logique financière, contrairement aux miles prime (avios). Et là, par contre, si chaque compagnie décide de barème d’attribution il y a un seul émetteur d’avios, un prix d’émission unique et chaque compagnie détermine le meilleur barème possible pour que le système soit rentable sachant que de toute manière tout tombe dans la caisse d’une « société soeur », à savoir IAG Loyalty.
Le financier est global, le maketing est local et tout le monde est content.
A titre de comparaison pensez aux clients de Croatia Airlines qui sont soumis aux règles d’attribution de statuts de Miles&More sans aucune prise en compte de leur spécificité, profil de voyages, de revenus et dépenses… Pas sûr qu’il y ait beaucoup de Senators là bas et on peut dire sans se tromper que beaucoup de clients d’ITA vont bientôt perdre leur statut après être rentré dans le programme de Lufthansa.
Mais là où les choses deviennent intéressantes c’est lorsque Qatar Airways décide elle aussi d’adopter les avios comme monnaie. La compagne qatarienne confie donc la gestion de la partie financière à IAG Loyalty tout en gardant le plein contrôle de la dimension statutaire et marketing. On aurait pas imaginé une compagnie si prestigieuse abandonner son programme Privilege Club pour donner l’impression qu’elle s’inféodait à une autre compagnie, par contre du point de vue du client, l’adoption d’une monnaie unique partagée avec d’autres partenaires est vu comme un avantage.
Tout au plus peut on se demander si Qatar Airways ne perd pas une occasion de générer du cas hen émettant sa propre monnaie ? Mais comme le Qatar est le 1er actionnaire d’IAG on se dit qu’on est pas loin de prendre dans la poche droite pour mettre l’argent dans la gauche.
Plus dernièrement c’est Finnair qui a annoncé adopter les avios comme monnaie de son programme de fidélité.
La logique est simple : il est plus simple de convaincre des compagnies d’utiliser une monnaie unique que vous gérez que d’abandonner leur programme de fidélité pour rejoindre le votre. Et ainsi vous faites grandir la base de clients pour qui des miles sont achetés, ce qui est finalement la seule chose qui compte.
La seule question que nous nous posons à ce stade est que vu que, ce faisant, elles perdent une source de revenu, on peut se demander si à terme il ne va pas être question qu’elles deviennent actionnaires minoritaires de IAG Loyalty.
L’initiative IAG Loyalty nous semblait assez visionnaire mais nous nous demandions si elle allait rester une initiative isolée. C’était jusqu’au jour ou Air France-KLM a annoncé travailler à filialiser Flying Blue.
IAG Loyalty se décrit en effet comme « le centre d’excellence d’IAG en matière de fidélisation, qui fournit des produits et des services de fidélisation innovants à nos compagnies aériennes et à nos partenaires commerciaux, au-delà de la simple gestion de la monnaie Avios pour laquelle nous sommes le plus connus. »
Emission de la monnaie, gestion des contrats avec les partenaires…exactement le rôle de la future entité en charge de Flying Blue.
De là à imaginer que demain Air France-KLM plutôt que peiner à accroitre le nombre de membres de Flying Blue essaie de se positionner en émetteur de monnaie pour d’autres compagnies, notamment au sein de Skyteam, il n’y a qu’un pas…que nous sommes plutôt tentés de franchir.
Cela permet d’accroitre mécaniquement le nombre de clients pour lesquels des miles seront vendus, donc le revenu, et ce d’autant plus que le groupe tissera des liens avec des compagnies dans des pays où le business des cartes de fidélité co-brandées est plus juteux qu’en France, et ce sans avoir à convaincre des compagnies d’abandonner leur programme ou miser sur sa propre croissance organique.
Et demain la même chose chez Lufthansa ? Et bien pourquoi pas !
Une guerre géographique
Cette nouvelle approche du programme de fidélité est indispensable pour deux raisons.
La première, on l’a vu pendant le COVID, est qu’un programme de fidélité économiquement solide est un outils fantastique pour lever des fonds. Pour cela il faut bien sûr qu’il soit une entité indépendante juridiquement et comptablement de la compagnie.
La seconde est que la rentabilité du programme est d’autant plus importante non pas que son nombre de membres est important mais qu’il émet de miles !
De manière naturelle les programmes de fidélité nord américains bénéficient de la taille du marché intérieur de leurs compagnies et dépassent facilement les 100 millions de membres. On a bien vu que les compagnies européennes en étaient loin.
Par contre en offrant à d’autres compagnies de gérer la monnaie de leur programme de fidélité elles peuvent espérer réduire l’écart avec leurs concurrentes en termes de revenus produits par le programme. Réduire seulement, en raison de l’ampleur de l’écart existant aujourd’hui, mais ça serait déjà un grand bon en avant.
Ca n’est pas pour rien que la première initiative allant dans ce sens vient d’IAG et qu’on subodore qu’Air France-KLM suivra rapidement. En attendant Lufthansa ?
Conclusion
Si ils ont du mal de faire croitre leur nombre de membres, les programmes de fidélité aérien peuvent simplement offrir à d’autres compagnies de se charger de l’émission de miles et de la gestion de la monnaie de leur programme ce qui est ni plus ni moins que le coeur du business model d’un programme.
En séparant la gestion des statuts et avantages de celles des miles l’opération est rendue moins sensible pour les compagnies concernées qui gardent la main sur la partie du programme visible du côté du client et ne dégradent pas leur marque et sa puissance perçue.
Image : miles programme de fidélité de NicoElNino via Shutterstock