Les programmes de fidélité vers un crash ?

Vous êtes membres d’un programme de fidélité aérien (ou hôtelier d’ailleurs)et vous avez une carte de cédit qui vous permet de gagner des points/miles sur ce programme. A priori vous êtes heureux de cette manière de « booster » ainsi votre capacité à vous offrir des voyages gratuits. Et bien ce dispositif risque fort de diminuer votre capacité à vous offrir le voyage de vos rêves. Et même sans la carte de crédit en question par ailleurs.

Au départ on gagne des miles en volant pour s’offrir des vols gratuits

Si on remonte à l’origine du mécanisme tout est clair, limpide, et je dirai même sain. Le programme de fidélité récompense les clients en fonction des vols effectués et de l’argent dépensé auprès de la compagnie.

Plus on vole et dépense plus on gagne de miles, plus on peut utiliser ces miles pour s’offrir des vols.

Jusque là tout va bien. C’est ensuite que cela se complique.

Le cartes de crédit cobrandées dévaluent les programmes de fidélité

Ensuite sont apparues les cartes de crédit « co-brandées » comme par exemple l’Amex Air France, la Citi AAdvantage card chez American Airlines etc…

Que vous proposent-elles ? De gagner des miles non seulement en s’achetant des billets d’avion mais également en dépensant de l’argent chez des commerçants au quotidien, en faisant vos courses, en allant au restaurant etc.

Cela n’est pas gratuit : pour y arriver les organismes qui émettent ces cartes de crédit doivent acheter des miles auprès des compagnies aériennes pour les redistribuer à leurs clients. Le mile est une monnaie et la banque émettrice (la compagnie aérienne) fait tourner la planche à billet au maximum car cela lui rapporte beaucoup d’argent.

Par exemple pendant longtemps American Airlines n’a pas gagné d’argent en faisant voler des avions. Elle perdait de l’argent sur son coeur de métier mais devenait rentable en vendant des miles !

En 2017 elle a gagné $3,1 Mds de cette activité, du bénéfice net. Comme nous vous l’expliquions en détaillant la manière dont fonctionne le business des cartes de crédit co-brandées, au 2e semestre 2018 la compagnie a vendu pour $1,4 Mds de miles (12% de son CA) alors qu’à la même période le résultat d’Air France KLM n’était que de 345 millions d’euros !

Chez Southwest le business de la vente de miles aux organismes financiers représentait avant la crise plus de 15% du CA.

Inutile de vous faire une liste : les compagnies gagnent des sommes astronomiques en vendant des miles aux émetteurs de carte de crédit, lesquels récupèrent des clients qui paient des cotisations et des frais élevés (raison pour laquelle le système des cartes de crédit co-brandées fonctionne moins bien en Europe et en France surtout qu’ailleurs). Une formule magique où tout le monde gagne. Ou presque.

Plus il y a de miles moins le mile a de valeur

Le comparatif avec la monnaie est très pertinent. Plus on fait tourner la planche à billet plus il y a de miles en circulation. Le problème est que l’offre (le nombre de sièges en vente) est loin d’augmenter aussi vite que les miles en circulation.

Plus il y de miles et de gens qui ont des miles plus accéder à certains bons sièges ou à certains tarif devient difficile puisqu’il y a plus de monde en « compétition », avec « plus d’argent », par rapport à l’offre.

La conséquence ? D’abord une dévaluation constante de programmes de fidélité ! Plus le temps passe plus ce que qu’on peut s’acheter avec le même montant en miles diminue. C’est l’inflation : les prix des billets « prime » ne cessent donc d’augmenter.

Ensuite une insatisfaction croissante des « vrais » clients pour qui c’est la double peine. Non seulement ils voient leur pouvoir d’achat en miles baisser pour les raisons qu’on vient d’expliquer mais en plus ils ont l’impression d’être mal considérés car ils sont en compétition pour s’acheter des billets prime avec des gens qui ne volent pratiquement jamais, ou moins qu’eux. Mais des gens gagnent leurs miles en dépendant beaucoup ailleurs, dans les magasins… Ils trouvent donc que système ne récompense plus assez les « vrais » clients.

En 2020 les cartes de crédit ont sauvé les compagnies !

Risque-t-on un crash des programmes de fidélité du à la dévaluation de la valeur des miles ? Logiquement on y va tout droit dans la mesure où encore une fois les miles en circulation augmentent plus vite que l’offre de siège et la crise du COVID-19 ne va pas arranger les choses.

C’est pour cela que les compagnies font tout pour faire dépenser les miles au plus vite ou restreindre leur date de validité : diminuer la « masse monétaire » en circulation. Et pour moins mécontenter les « vrais » clients elles augmentent les avantages qui leurs sont propres. Souvenez vous qu’il fut un temps où on pouvait gagner son statut chez Air France simplement en utilisant son Amex car tous les miles gagnés (donc ceux gagnés en utilisant son Amex) étaient qualifiants. Heureusement cette époque ou un père de famille pouvait devenir gold en faisant ses courses chez Monoprix est révolue.

En 2020 et on peut penser qu’il en sera de même en 2021 les cartes de crédit ont sauvé les compagnies aériennes. Pourquoi ?

Les gens ont continué à dépenser, à acheter et donc les organismes financiers ont continué à acheter des milliards de dollars de miles auprès des compagnies aériennes. Entre 3 et 5 milliards de dollars pour les grosses compagnies US par exemple. Quand les avions ne volent plus c’est du cash qui fait du bien !

Les compagnies ont aussi proposé à leur membres d’acheter des miles par avance pour s’offrir des voyages plus tard, et souvent à des tarifs discountés ! « Achetez 100 000 miles pour le prix de 50 000 et offrez vous le voyage de vos rêves ». Là encore des milliards en cash sont tombés dans leurs caisses.

Si le business des miles n’a pas sauvé à lui seul les compagnies en 2020 il a rendu leur convalescence beaucoup moins dure et cela sera pareil en 2021. Mais ensuite ?

Une dette se paie et l’atterrissage sera douloureux pour les compagnies aériennes

Les compagnies ont émis beaucoup de miles que les clients n’ont pas pu dépenser faute de pouvoir voler ! Et il faudra longtemps avant que l’offre ne revienne à ce qu’elle était en 2020.

Deux conséquences sont donc à prévoir :

Tout d’abord des dévaluations violentes de la valeur des miles avec des billets « prime » qui seront de plus en en plus chers. Ca c’est pour le client.

Ensuite pour les compagnies une dette conséquente inscrite à leur bilan. Oui, le mile n’est qu’une dette à l’égard du client qu’il va bien falloir honorer un jour. Donc en plus de baisser la valeur de cette dette en dollars comme on l’a vu, elles vont devoir faire en sorte que cette dette disparaisse au plus vite. En réduisant la validité de la durée des miles ? Impossible d’un point vue commercial vu le contexte. En incitant les passagers à vite les dépenser ? Ce serait une bonne chose mais dans ce cas elles rentreront moins de cash vu que les passagers vont payer en miles, et dieu sait qu’elles ont besoin de cash ! Ou alors, autre option, en leur proposant d’acheter autre chose que des vols avec leurs miles, ce qui serait moins douloureux. C’est une piste que toutes explorent mais qui n’est pas extensible à l’infini non plus.

2022 : l’explosion d’une bulle ?

Le business des miles a aidé les compagnies pendant la crise mais a créé une bulle avec un décalage encore plus fort entre les miles en circulation et l’offre de sièges et ce vers quoi on allait tranquillement avant risque d’exploser d’une manière plus subite qu’attendue.

Une crise des programmes de fidélité ne tuera pas les compagnies. Mais elle risque de tuer la valeur perçue des programmes de fidélité ce qui, par ricochet, sera tout sauf bon pour leur business.

En attendant souvenez vous d’une chose : les programmes de fidélité profitent aux compagnies aériennes et aux organismes financiers en premier, rarement aux clients.

PS : cet article concerne aussi bien les programmes hôteliers qu’aérien même si la bulle y est beaucoup moin importante.

Image : carte de crédit de Suradech Prapairat via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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