Qatar Airways a récemment annoncé adopter les « Avios« , la monnaie du programme de fidélité du groupe IAG (British Airways, Iberia etc…) pour son propre programme de fidélité. Si beaucoup de sites s’en sont félicités et on traité le sujet sous l’angle des bénéfices à en attendre pour les clients, nous allons également nous intéresser aux implications moins évidentes de ce changement.
L’annonce de Qatar Airways
L’annonce a été assez lapidaire. Qatar Airways a annoncé que son programme de fidélité Privilege Club allait désormais utiliser comme « monnaie » l’Avio, la monnaie utilisée par les compagnies du groupe IAG, à partir de ce mois de mars 2022.
Comme annoncé sur le site de la compagnie :
« Le passage des Qmiles aux Avios marque une nouvelle ère pour Privilege Club, permettant à nos fidèles membres de participer au réseau de fidélisation le plus attrayant et au plus grand portefeuille de partenaires du secteur.«
Akbar Al Baker, Président de Qatar Airways.
QPoints, QMiles et Avios
Il importe de préciser de quoi on parle afin d’évaluer l’ampleur du changement annoncé.
Dans un programme de fidélité il y a deux unités de comptes : celle qui permet de mesurer la progression vers un statut et celle que l’on échange contre des billets ou d’autres prestations.
Chez Qatar Airways la première se nomme QPoint : ils sont accumulés en volant, en fonction de la longueur du vol et de la classe de voyage pour faire progresser son statut dans le programme de fidélité. La seconde se nomme QMiles, on les gagne en volant selon des critères similaires aux QPoints mais également en étabt client de partenaires aériens ou non de Qatar Airways et c’est celle qui est concernée par ce changement.
Depuis mars 2022 les QMiles des membres de Privilege Club sont donc convertis en Avios, selon un ratio de 1:1.
Les Avios sont la monnaie, comme on l’a dit, des programmes de fidélité du groupe IAG. A titre de comparaison, les membres du British Airways Executive Clubs gagnent des points pour faire progresser leur statut et des Avios à échanger contre des prestations.
Dit autrement Qatar Airways a décidé de faire « monnaie unique » avec les compagnies du groupe IAG pour ce qui est des échanges de prestations, chaque compagnie restant maitresse de la manière dont elle gère au sein de son programme la progression de ses membres au sein des différents statuts.
Rappelons à toutes fins utiles que Qatar Airways et les compagnies du groupe IAG sont membres de l’alliance OneWorld et que Qatar Airways est également le plus gros actionnaires d’IAG, ce qui n’est pas sans poser problème dans le cadre du Brexit d’ailleurs.
Quels bénéfices pour les clients ?
Tout n’est pas encore clair sur ce qui va changer concrètement pour les clients mais on voit déjà quelques domaines dans lesquels les clients y gagneront.
Tout d’abord ils seront capables de dépenser leurs Avios chez les 200 marques partenaires ce qui accroit significativement leur périmètre d’utilisation par rapport aux Qmiles.
Cela devrait rendre plus facile l’achat de billets primes et surclassements pour les clients Qatar Airways chez British Airways et les compagnies membres d’IAG, et réciproquement avec un accroissement du volume de sièges éligibles à un achat en Avios qui accompagnera l’augmentation mécanique de la demande.
On peut s’attendre également à ce que le transfert de points entre les deux programmes soit largement simplifié. Par contre il semble acquis qu’on ne pourra payer un billet prime pour partie en Avios Qatar, pour partie en Avios British Airways. Mais est-ce vraiment un problème si le transfert d’Avios d’un compte à un autre est simplifié ?
Selon les clients il se dit que les Avios sont beaucoup plus faciles à gagner que les QMiles, ce qui devrait également bénéficier aux passagers mais nous sommes très sceptiques sur le sujet. Ca n’est pas en effet parce que deux programmes de fidélité se mettent d’accord sur une monnaie commune qu’ils comptent la distribuer de la même manière à leurs clients. Qatar restera maître de la manière dont elle distribue les Avios à ses membres en fonction d’un barème qui lui sera propre. S’il y a des chances qu’elle soit, comme beaucoup de compagnies, plus généreuse avec les vols effectués sur ses propres lignes que sur celles de ces partenaires et qu’elle ne veuille pas non plus que Privilege Club soit considéré comme un programme « radin », rien ne dit qu’elle adoptera strictement le barème de British Airways.
En effet une distribution d’Avios plus généreuse que ne l’était celle des QMiles fait peser sur la monnaie un risque non négligeable : celui de la dévaluation.
Que risquent de perdre les clients ?
Plus de personnes qui gagnent des Avios et des Avios distribués potentiellement plus généreusement que les QMiles ont un effet mécanique : la perte de valeur de la monnaie en question et l’augmentation du « prix » des échanges entre des Avios et un un billet, un surclassement ou quelque prestation que ce soit. Ce mécanisme appelé dévaluation est le corolaire systématique de l’augmentation de la monnaie en circulation pour tout programme de fidélité et on ne voit pas pourquoi cela ne serait pas le cas ici.
Autre risque pour les membres de Qatar Privilege Club : la perte de pouvoir de la compagnie qui aura du mal d’offrir une proposition de valeur différenciée au travers de son programme de fidélité. Elle est tributaire des partenaires choisis et gérés par IAG Loyalty (ce qui semble plutôt positif vu le nombre de partenaires) mais perd également une certaine marge de manœuvre pour se différencier. Un peu à la manière des pays européens qui, en adoptant une monnaie commune, ont perdu tout pouvoir sur leur politique monétaire au profil de la Banque Centrale Européenne.
Mais il y a un élément qui a peu été évoqué et est le plus important pour nous : ce que tout cela signifie d’un point de vue économique pour les deux compagnies car ce changement aura des conséquences profondes.
Les dessous financiers pour Qatar Airways et IAG
Disons les choses telles qu’elles sont, Qatar Airways va déléguer une partie de la gestion de son programme de fidélité à IAG Loyalty, ce qui va entrainer des besoins en personnel moindres et des économies de ce côté.
Mais il y a également une autre dimension largement passée sous silence et qui mériterait selon nous quelques explications. Lorsqu’on dit que les Avios sont la monnaie du programme de fidélité ça n’est pas qu’une image, c’est une réalité. On l’a vu avec les mécanismes de dévaluation : plus de monnaie pour une offre identique mène à une dévaluation de celle-ci.
Mais une monnaie est également émise par une banque centrale (IAG Loyalty) en l’occurence et elle n’est pas « gratuite ». Lorsqu’un client paie, par exemple, un billet en Avios ça n’est pas une transaction financièrement « blanche » pour la compagnie : en fait IAG Loyalty compense les Avios par de l’argent.
Cela fonctionne de la même manière dans l’hôtellerie et l’aérien : lorsqu’un client s’offre une nuit ou un vol « gratuit » grâce à ces points, l’hôtel ou la compagnie est indemnisé par le programme de fidélité. La chose était moins évidente lorsque les compagnies aériennes portaient elles-mêmes leurs programmes de fidélité mais maintenant que ceux-ci sont dans la plupart des cas opérés par des filiales, les flux financiers sont un peu plus clairs.
Filialiser les programmes de fidélité a plusieurs intérêts et le premier est de sortir la « dette » constituée par les points (un point est une créance du client) du bilan de la compagnie pour le mettre sur celui de la filiale, libre à elle d’équilibrer ses comptes comme elle l’entend. Et elle équilibre ses comptes en vendant les points.
Lorsqu’un client gagne des miles/points en utilisant une carte de crédit cobrandée d’une compagnie aérienne les points ne tombent pas du ciel : Amex, par exemple, achète des points au programme de fidélité pour qu’ils soient crédités sur le compte du client. C’est un business très lucratif qui a permis aux compagnies de gagner grâce à leurs programmes de fidélité plus d’argent qu’en faisant voler des avions et de lever de l’argent pendant la pandémie car ce business est vu comme plus sûr et pérenne par les investisseurs. Raison pour laquelle la filiale opérant le programme de fidélité vaut souvent plus cher que la compagnie elle-même.
Le même mécanisme s’applique lorsqu’on vole sur une compagnie et crédite les points sur le programme de fidélité d’une autre. Prenons l’exemple d’un vol sur Lufthansa et d’un crédit sur SAS Eurobonus. Vous ne pensez tout de même pas que Lufthansa prend l’argent du billet la SAS la dette qui va avec les points. Il y a un flux financier dans l’autre sens pour compenser. Et si vous vous demandez pourquoi tous les programmes de fidélité ne créditent pas de la même manière les points gagnés en volant sur des compagnies partenaires et pourquoi voler avec certaines « paie » mieux que voler avec d’autres, cela dépend tout bonnement de ce que la compagnie sur laquelle vous volez est prête à payer au programme de fidélité de la compagnie partenaire pour lui acheter des points. Raison pour laquelle, par exemple, certaines ne permettent pas de créditer chez un partenaire les vols effectués aux tarifs les moins chers…
Beaucoup de cash en vue pour IAG
Si ce mécanisme s’applique dans le cas de Qatar Airways et de IAG Loyalty pour que la compagnie du Golfe offre des Avios à ses clients, cela ne sera donc pas gratuit.
Qatar devrait donc selon toute logique acheter des Avios à IAG Loyalty, ce qui peut constituer une somme considérable chaque année. D’un côté son programme n’aura plus à assumer la « dette » constituée par les QMiles mais en contrepartie cela va lui coûter très cher en cash chaque année.
Quel est l’intérêt de l’opération pour Qatar Airways alors, autre, bien sûr, que donner à ses clients plus de moyens d’utiliser leurs points ?
Et bien sans dire que cela constituerait une opération blanche cela reviendrait à prendre de l’argent dans leur poche droite pour la mettre dans leur poche gauche. En effet Qatar est….le premier actionnaire d’IAG avec plus de 20% du capital. Tout ce qui va dans la poche d’IAG est donc d’une certaine manière bon pour Qatar également.
D’aucun y voient également la volonté pour la compagnie Qatari de prendre totalement le contrôle, à terme, d’IAG mais c’est à notre avis plus qu’improbable sauf à vouloir tuer les opérations intra-européennes d’Iberia, Air Lingus ou Vueling dans le contexte que nous connaissons.
Conclusion
Qatar Airways va désormais utiliser comme monnaie pour son programme de fidélité des Avios, rejoignant ainsi les compagnies du Groupe IAG comme British Airways ou Iberia. Si cela augmente la valeur de son programme pour le client cela lui enlève de l’autonomie et augmentera ses flux financiers vers IAG..dont il est le principal actionnaire.
Image : A350 Qatar Airways de Jaromir Chalabala via Shutterstock.