Les compagnies aériennes valent elles moins que leurs programmes de fidélité ?

Les programmes de fidélité des compagnies aériennes ont paradoxalement joué un rôle clé pour leur survie alors que personne ou presque ne pouvait voler. La raison ? C’est un business tel que leur valeur estimée est supérieure à celle des compagnies aériennes qui les ont mis en place.

Dans cet article :

Les programmes de fidélité : une source de revenus importante pour les compagnies aériennes

Si vous vous dites que pour une compagnie aérienne un programme de fidélité est un poids et coûte de l’argent vous allez être surpris par ce qui suit.

Alors oui, d’une certaine manière, les programmes de fidélité sont un poids car ils constituent comptablement une dette à l’égard des passagers et cette dette peut peser beaucoup sur le bilan des compagnies. Ou plutôt au bilan du programme de fidélité puisqu’ils sont parfois en entreprises indépendantes des compagnies aériennes qui les opèrent. Ce qui, on va le voir, permet de faire preuve d’une certaine créativité financière.

En effet si à ce jour Flying Blue n’est pas une filiale d’Air France-KLM...

• Miles&More est une entreprise indépendante filiale à 100% de Lufthansa

• Skymiles est une filiale de Delta (localisée aux îles Caïman…) depuis 2020 (et la date n’est pas innocente) qui délègue à Delta l’opération du programme de fidélité…mais en garde les finances.

• MileagePlus est une filiale de United.

• Skywards est une filiale d’Emirates

• Eurobonus est une filiale de SAS

• British Airways Executive Plus et Iberia Plus appartiennent à Avios Group, une filiale d’IAG.

Mais un programme de fidélité c’est aussi une source de revenus ! Les miles que vous gagnez ont une valeur puisqu’ils permettent de s’acheter billets, surclassements et bien d’autres chose. Les miles et les points sont une monnaie que le programme émet et que d’autres achètent pour vous les offrir. Ces « autres » sont la compagnie aérienne même si cela revient à prendre de l’argent dans la poche droite pour le mettre dans la poche gauche mais également, et surtout, des organismes financiers comme Visa, American Express etc.

Quand le titulaire d’une carte de paiement émise en partenariat entre un tel organisme et une compagnie aérienne (ou carte de crédit « cobrandée ») fait ses achats quotidiens avec sa carte il gagne des miles. Lorsque l’organisme en question veut lui faire un cadeau ou une offre promotionnelle il lui offre des miles.

Mais ces miles ne tombent pas du ciel. L’organisme les achète au programme de fidélité. Si un client dépense 1000€ chaque mois avec par exemple son Amex Air France, Amex Delta ou sa Citi AAdvantage avec un barème de 1€=1 mile alors Amex et Citi vont acheter chaque mois pour 1000€ de miles auprès de Flying Blue, Skymiles ou AAdvantage. Sur la « durée de vie » du client, à l’échelle d’un programme de fidélité, cela fait des sommes colossales.

Sur les 9 premiers mois de 2020 si on regarde par exemple les revenues de Skymiles (2,9 milliards de dollars), 731 millions proviennent des passagers et 2,17 milliards viennent d' »autres sources », la principale de ses sources étant American Express !

Une béquille financière pendant la crise

Nous l’avons déjà expliqué par le passé donc on ne s’étendra pas davantage sur le sujet mais c’est la raison pour laquelle les programmes de fidélité ont servi de béquille aux compagnies aériennes pendant la crise.

Alors que la avions étaient cloué au sol les clients ont continué de dépenser avec leur carte donc le programme de fidélité à engrangé du cash. Les compagnies ont fait des promos pour que les clients achètent des miles à prix discount pour les utiliser après la reprise des vols. Cela leur a permis de rentrer des sommes conséquentes.

A terme cela leur crée une dette conséquente qu’il faudra écluser soit lorsque le passager va utiliser ses miles pour voyager soit en dévaluant le programme de fidélité mais c’est une autre histoire.

Mais pour le moment présent l’argent des programmes de fidélité a été une vraie bouée de sauvetage pour les compagnies.

Et cela leur a d’ailleurs donné l’envie d’aller plus loin…

Le programme de fidélité, meilleure garantie financière d’une compagnie

Avant de poursuivre il faut tout de même préciser une chose : il y a un décalage énorme entre la manière dont fonctionnent les programmes de fidélité en Europe (et notamment en France) et outre Atlantique. La manière même dont fonctionnent les cartes de crédit fait que ce business est moins rentable pour les programmes de fidélité et les organismes financiers, donc qu’ils ont moins à offrir au client, donc que le client n’est pas séduit par les cartes de crédit cobrandées, donc que l’offre est faible. Un système bien moins lucratif pour les programmes de fidélité, mois généreux pour les clients mais que nous trouvons également bien plus protecteur du consommateur client. On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre.

C’est pour cela qu’Air France KLM n’a pas aujourd’hui un intérêt vital à faire de Flying Blue une filiale même si du point de vue d’une certaine orthodoxie comptable cela nous semblerait plus sain mais c’est une autre histoire.

Revenons donc à nos compagnies dont les programmes de fidélité vivent d’un business juteux avec les organismes financiers, principalement américaines mais pas uniquement.

Plus la crise durait plus elles ont dû faire face à des problèmes de liquidités, sachant d’autant plus que les aides aux Etats-Unis n’ont pas été aussi massives et rapides qu’en Europe. Il leur a donc fallu aller chercher de l’argent sur les marchés.

Il n’est jamais facile d’aller emprunter de l’argent quand on est dans un secteur sinistré, en pleine crise et sans aucune visibilité pour l’avenir. Si certaines compagnies ont pu se financer sur les marchés pendant la crise ça n’a pas été le cas de toutes. La plupart des compagnies ont une valorisation inférieure à la valeur de leurs appareils, même hors crise, et ça veut bien dire quelque chose.

Lorsqu’on emprunte de l’argent, d’une manière ou d’une autre, il faut donner des garanties qu’on pourra rembourser. Vu l’état de leur activité principale les compagnies n’avaient aucun actif susceptible de constituer une garantie acceptable pour les marchés.

Aucun ? Sauf leur programme de fidélité !

Les programmes de fidélité valent plus que les compagnies aériennes

Rappelons ce qu’on s’est dit plus haut ! Sur la durée de vie d’un client les sommes que paient les Amex, Visa, Citi et autres aux programmes de fidélité est considérable. D’autre part si on ne sait pas quand l’aérien repartira, les gens continuent à utiliser leurs cartes de crédit donc à gagner des miles que les émetteurs des cartes doivent alors acheter.

Dès lors le programme de fidélité et les milliards d’euros qu’ils doivent générer de manière quasi mathématique sur les années futures sont un actif beaucoup plus crédible que de donner des avions en hypothèque ! Ils ont des flux de trésorerie stables, prévisibles, peu sujets aux cycles des marchés, et génèrent un EBITDA (bénéfice avant impôt) élevé et stable. Tout l’inverse d’une compagnie aérienne !

Les compagnies se sont donc servies des programmes de fidélité comme garantie pour lever de l’argent sur les marchés. Mieux encore, dans certains cas c’est même le programme de fidélité qui a émis des titres sur les marchés !

AAdvantage, le programme de fidélité d’American Airlines est ainsi valorisé à 24 milliards de dollars alors qu’American Airlines en tant que compagnie aérienne, n’est valorisée qu’à 6,5 millards. Rappelez vous qu‘il est déjà arrivé qu’American Airlines perde de l’argent en faisant voler des avions mais finissent bénéficiaire uniquement grâce au business de son programme de fidélité ! MileagePlus, le programme d’United est lui valorisé à 22 milliards contre 10 milliards pour la compagnie.

Selon les experts les programmes de fidélité des 4 majors américaines représenteraient une valorisation cumulée de 77 milliard de dollars s’ils étaient des entreprises indépendantes.

Une compagnie a même été au bout de la logique : Air Canada ! La compagnie Canadienne a filialisé son programme Aeroplan en 2002 et a progressivement vendu ses parts. En 2008 Aeroplan était devenu une entreprise totalement indépendante d’Air Canada. Finalement elle fini par récemment racheter le dit programme.

Bref pour les investisseurs il est moins risqué de prêter à un programme de fidélité qu’à une compagnie aérienne.

La financiarisation des programmes de fidélité

Les programmes de fidélité sont donc devenus de vrais véhicules utilisés pour emprunter sur les marchés.

United a donc levé 6,8 milliards de dollars au travers de MileagePlus (voir ici également). Dans la foulée Delta Airlines a levé 9 milliards et American Airlines 10 milliards.

Maintenant vous comprenez pourquoi Delta a créé Skymiles PI Ltd aux Iles Caïman dans la précipitation en 2020 !

A titre de comparaison à la même époque le plan de sauvetage d’Air France était de 7 milliards d’euros.

Va-t-on vers une bulle et un crash ?

On a ici une utilisation très créative du programme de fidélité mais faut il s’en inquiéter. En anglais garantie se dit « Collateral » et peut être que le terme de « CDO » pour « Collateral Debt Obligation » vous dit quelque chose.. Non ? Vous vous souvenez des subprimes ? Voilà.

Donc la question est de savoir si les actifs sur lesquels s’appuie ces dettes est toxique ou pas. Dit autrement, ce qui est valorisé dans le programme de fidélité ce sont ses revenus futurs dont les marchés s’accordent pour dire qu’ils sont très prévisibles. Soit.

Et si les gens abandonnaient leur carte de crédit cobrandée ?

Et si Amex lachait un ou plusieurs programmes ? Il serait remplacé par un concurrent.

Et si les programmes de fidélité étaient interdits pour motifs environnementaux ?

Et si ?

On suppose que tout cela a été évalué et pris en compte. On verra bien.

Quand les programmes de fidélité opéreront des compagnies aériennes

On peut aussi envisager un jour que le monde se renverse. Et si demain c’était les programmes de fidélité qui détenaient une ou plusieurs compagnies aériennes ? Financièrement cela se tient.

Si Air Canada a racheté Aeroplan c’est parce que l’accord qui garantissait à Aeroplan un accès préférentiel aux sièges sur les vols Air Canada arrivait à expiration et que sans cet accord Aeroplan n’était pas viable. Mais pourrait on envisager qu’un jour ce soit le programme qui s’achète une compagnie ?

On n’est plus à ça près.

En tant que client on n’est jamais gagnant avec les programmes de fidélité. Et en tant qu’investisseur ?

Image : Plateresca/istockphoto

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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