Air France, un vrai-faux sauvetage ? Mythes et réalités

La nouvelle est donc tombée la semaine dernière : l’Etat a annoncé son dispositif de sauvetage d’Air France qui est donc une des premières compagnies à y voir clair sur sa traversée du COVID-19.

En effet, si elle n’aura lieu que dans quelques semaines la nationalisation d’Alitalia est déjà actée depuis un mois, South African va certainement déposer le bilan, Air Mauritius est en redressement judiciaire, les compagnies américaines, les compagnies américaines ont déjà reçu un chèque de 50 milliards de dollars (donc 25 remboursables), Norwegian a mis quatre de ses filiales en faillite et Flybe a fait faillite des les premiers jours de la crise.

Dans cet article :

Quelle était la situation d’Air France avant la crise ?

Au début de la crise Air France-KLM était plutôt sur dans une dynamique positive avec une rentabilité retrouvée et surtout une offre rationalisée et une stratégie lisible depuis l’arrivée de Ben Smith. La compagnie pouvait enfin regarder devant elle avec pour ambition d‘égaler le niveau de rentabilité de ses concurrentes européennes que sont IAG (British Airways, Iberia) et Lufthansa Group (Lufthansa, Swiss, Brussels Airlines, Austrian) à un horizon de 5 ans.

La crise du COVID-19 a ainsi heurté Air France-KLM comme l’ensemble de ses concurrentes. Pour être concret le groupe disposait d’une trésorerie de l’ordre de 6 milliards d’euros. Au niveau de la seule Air France on parle de 25 millions de pertes par jour (ce qui est comparable avec le 1 million par heure évoqué par Lufthansa qui a une flotte plus importante et donc devrait avoir des coûts fixes plus importants et annonce, elle, une trésorerie de 4,3 milliards) et de 69 jours de trésorerie à disposition . Une simple règle de trois nous donnerait une trésorerie de l’ordre de 1,7 milliards pour Air France ce qui est en phase avec les chiffres avancés par La Tribune.

Mais quoi qu’il en soit autant commencer par tordre le cou à une idée qu’on a trop vu se propager sur les réseaux sociaux : Air France était rentable et bien géré, chose que nous n’aurions pas dite il y a quelques années. Et autant chez TravelGuys on peut comprendre une intervention étatique quand des circonstances exceptionnelles touchent tout le marché et entrainent une réaction de tous les états autant on ne le trouverait pas acceptable si cela devait servir à éponger des fautes de gestion, comme chez Alitalia.

Non l’Etat n’apporte pas d’argent frais à Air France…ou pas tant que ça

Venons en donc au plan d’aide annoncé par le ministre des finances. Il se compose de deux parties :

  • Un Prêt Garanti par l’Etat français (« PGE ») d’un montant de 4 milliards d’euros octroyé par un syndicat de six banques à Air France-KLM et Air France. Ce prêt bénéficie d’une garantie de l’Etat français à hauteur de 90% et d’une maturité de 12 mois, avec deux options d’extension d’un an consécutives, exerçables par Air France-KLM.    
  • Un prêt d’actionnaire de l’Etat français à Air France-KLM d’un montant de 3 milliards d’euros et d’une maturité de quatre ans, avec deux options d’extension d’un an consécutives exerçables par Air France-KLM.

Notons ce que plan doit encore recevoir l’approbation de la commission européenne ce qui ne devrait pas poser de problème vu le contexte, on est loins des montages un peu « limite » de l’Etat italien pour sauver Alitalia à l’époque.

Donc contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, non l’Etat ne « donne » pas 7 milliards pour sauver Air France-KLM.

Dans un premier temps l’Etat garantit un prêt qui sera effectué par des banques à hauteur de 4 milliards. C’est donc l’argent des banques qui ira à la compagnie (comme il va à nombre d’entreprises selon le même mécanisme à l’heure actuelle), pas celui de l’Etat. L’Etat n’aura à payer que si Air France-KLM ne rembourse pas, ce qui sera un point qu’on évoquera plus loin dans cet article.

Dans un second temps, et là c’est vrai, l‘Etat apportera 3 milliards d’euros au groupe Franco-néerlandais. Mais là encore ça n’est pas un aller sans retour, ça n’est pas du renflouement strico sensu. Pourquoi ? Parce que c’est interdit (cf Alitalia). C’est en tant qu’actionnaire que l’Etat prête à Air France-KLM (comme le fera certainement l’Etat Néerlandais dans quelques jours). Ce prêt est donc à rembourser sous peine de sanctions de l’Union Européenne. On peut bien sur envisager qu’il soit converti en capital (comme cela a été fait pour Alitalia) et c’est également une hypothèse que nous évoquerons plus loin dans cet article.

Donc contrairement à ce qu’on peut lire, non l’Etat ne fait pas un chèque en blanc de 7 milliards. Le chèque n’est que de 3 milliards et il n’est pas en blanc parce qu’il devra être remboursé et s’accompagne d’engagements dont on parlera également plus loin.

Pourquoi aider Air France-KLM ?

Ca c’est une question légitime et on vous le dit franco : nous aurions trouvé scandaleux qu’il y a 3 ans l’Etat vienne à l’aide d’une entreprise malade de 10 ans d’une gestion erratique si ce n’est calamiteuse et de l’inconséquence d’une partie de ses salariés. En dehors du cas Air France-KLM c’est tout simplement la question de l’aide aux grandes entreprises qui est aujourd’hui en question alors que beaucoup pensent, souvent à tort, qu’elles peuvent s’en sortir elles-mêmes au contraire des plus petites qu’on estime plus fragiles.

De manière structurelle les plus grosses ont bien sur des trésoreries énormes comparées au plus petites et une capacité à résister qui semble bien supérieure. Et bien il n’en est rien : la trésorerie est à la hauteur de leur taille et de leurs coûts fixes et ne leur permet pas d’espérer durer tellement plus longtemps qu’une entreprise plus petite. J’ajouterai, justement, qu’une PME est beaucoup plus agile et adaptable qu’un gros paquebot qui met du temps à tourner et à s’adapter.

Ensuite il y a le contexte d’une crise globale et la nécessité de penser « global » à l’échelle de l’économie. Air France c’est, à ce que j’ai lu, 350 000 emplois directs et indirects. Air France-KLM est le plus gros client de l’aéroport de Roissy qui embauche 90 000 personnes et génère dans les 110 000 emplois indirects. L’effet domino est assez simple à comprendre. Une grande entreprise qui disparait (on prend ici le cas Air France-KLM mais cela s’applique à toutes) c’est des salariés qui perdent leur emploi, donc des salariés qui iront moins consommer, donc à la fin des petits commerçants qui seront également impactés, donc leurs salariés dont l’emploi sera en danger. Et ce d’autant plus lorsqu’une entreprise a un gros impact local comme Roissy : une baisse d’activité durable à Roissy et c’est tout le département qui souffre. C’est également des sous traitants qui souffrent et sont à leur tour en danger avec, une fois encore, un impact par ricochet sur le commerce local. Si les compagnies disparaissent c’est le carnet de commande d’Airbus qui fond et là on parle de centaines de PME sous traitantes qui disparaitront, avec un impact considérable sur le tissu local dans la région de Toulouse, entre autres. Sans vouloir faire dans le larmoyant, Air France qui disparait c’est le boulanger dans le Sud Ouest qui souffre.

De manière générale en cas de crise globale, le meilleur moyen d’aider les PME et les petits commerce c’est d’aider leurs donneurs d’ordres et les entreprises où travaillent leurs clients. Un des enjeux d’une entreprise comme Airbus par exemple aujourd’hui n’est pas tant de produire pour produire mais de faire travailler ses fournisseurs dont beaucoup sont ses PME pour leur éviter de disparaitre.

Ajoutons à cela que l’aéronautique rapporte 20 milliards par an à l’économie française, le tourisme 10 milliards et que dans un pays qui accueille plus de 90 millions de touristes par an, l’effondrement du secteur entrainera la fin pour beaucoup de petites entreprises, artisans et donc leurs salariés.

Quels engagements pour Air France-KLM ?

Comme on le disait plus haut, cette aide de l’Etat n’est pas un chèque en blanc. Des engagements ont été demandés à Air France par le Ministre de l’Economie et des Finances.

Bruno Le Maire a donc obligé la compagnie à s’engager sur plusieurs points :

  • Devenir plus rentable
  • Devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l’environnement.

Des exigences qui, de notre point de vue, ont surtout pour but de rassurer le grand public qui, en dehors de quelques idées reçues ne connait rien au secteur. Car franchement on a l’impression d’entendre Oui Oui parler aux Bisounours.

Des exigences qui ne demanderont pas un engagement surhumain à la compagnie vu que ces sujets faisaient partie quoi qu’il en soit de la feuille de route de Ben Smith et ce que la crise soit arrivée ou pas.

Quelle route vers la rentabilité pour Air France ?

Cet été Ben Smith disait :

La marge d’Air France en 2018 n’était que de 2 %, contre 9 % pour KLM, 10 % chez Lufthansa, 12 % chez British Airways et 18 % chez Ryanair. 2 % de marge chez Air France, ce n’est pas satisfaisant. Cinq points peuvent s’expliquer par les coûts en France. Mais deux points sont dus à la complexité et à l’inefficacité de la compagnie. À nous de nous y attaquer. “

Inutile de vous expliquer que la rentabilité est le nerf de la guerre. Sans elle pas moyen d’investir dans une flotte plus moderne et moins gourmande énergétiquement, pas moyen de rajeunir ou renouveller les cabines au rythme de la concurrence, pas moyen d’investir dans la transition environnementale, pas moyen d’investir dans le service client etc. Les bonnes idées n’ont jamais manqué chez Air France (jusqu’à il y a peu les mauvaises non plus d’ailleurs), l’envie était là (enfin quand personne ne freinait) mais ce qui manquait vraiment c’était l’argent pour le faire.

On vous avait déjà détaillé le plan proposé aux investisseurs cet automne. Des avions plus modernes et économes, une flotte rationalisée, se concenter sur les segments les plus rentables, simplifier l’entreprise… Tout y est. Enfin dans un contexte de « non crise ». La crise remet-elle tout à plat ? Pas autant qu’on pourrait le croire.

La compagnie, pour faire face à la la baisse de la demande va sortir de sa flotte ses appareils les moins efficients d’un point de vue énergétique et les moins rentables (A340,A380, A318/A319…). Avec une demande forte il fallait bien les faire voler en attendant d’en recevoir des neufs, même s’ils étaient moins rentables et plus polluants. Là là question est réglée et Air France et KLM pourront se contenter de leurs avions les plus rentables à opérer et des moins impactants pour l’environnement. La grosse commande d’A220 tombe à pic pour cela (premières livraisons en septembre 2021 à moins que, comme Air Baltic, Air France demande des les avancer…). A l’époque on se demandait si ces A220 ne risquaient pas de remplacer également des A320/A321 en plus des A318/A319. Dans un contexte normal on pouvait se demander si c’était une décision pertinente de réduire les capacités en changeant les appareils, dans le contexte présent c’est une excellent nouvelle et la réponse à notre question ne fait que peu de doutes.

Plus intéressant est le sujet de la simplification. Air France est une machine compliquée qui pèse sous le poids d’un historique fort et de logiques corporatistes qui ne sont pas sans rappeler des castes par moment. A une époque une personne « proche du dossier » selon l’expression consacrée m’avait dit « c’est une entreprise ou trop de personnes ont le pouvoir de dire non ». Le problème d’Air France c’est son agilité, son « time to market ». On peut oser espérer que le contexte actuel permette de faire tomber certains murs, certaines rigidités afin de rendre la compagnie plus flexible et agile. Vu le contexte on peut penser que là où on parlait de concessions auparavant (et Ben Smith et son équipe ont démontré leur capacité à négocier de bons accords) il sera possible de faire table rases de beaucoup de choses.

Qu’on ne s’y trompe pas : on ne sauvera pas le soldat Air France en se contentant de le mettre sous perfusion. Là on parle d’amputations et de greffes ! De manière moins imagée c’est l’occasion où jamais de dynamiter l’organisation pour la reconstruire et idéalement avec un esprit « startup » indispensable lorsqu’il faudra repartir à conquête du marché, innover, tester des choses et vite apprendre pour changer de cap ou au contraire enfoncer le clou.

Si on veut voir le côté positif c’est le contexte idéal pour réinventer la compagnie et la faire entrer dans le 21e siècle car ça n’est pad avec son héritage encore trop pesant d’ancienne entreprise d’état qu’elle ira loin dans les temps qui viennent.

Mais plus que pour d’autres compagnies, si elle est bien gérée, cette crise est pour Air France une chance unique de se réinventer et refaire son retard dans d’autres domaines car elle pourra effacer en deux ans 30 ans d’hésitations et d’atermoiements. L’avantage d’avoir pris du retard dans une course c’est qu’on a tout à gagner quand la voiture de sécurité entre en piste.

L’environnement : rien d’insurmontable pour Air France

Après le business parlons d’environnement. L’avantage dans l’aérien est que les deux vont ensemble. Des avions plus efficaces c’est une empreinte réduite. C’est la beauté de cette industrie où même celui qui n’a que faire de la préoccupation environnementale s’y attaque naturellement en investissant dans des avions plus économes.

On ne sait que penser quand Bruno Le Maire demande à Air France d' »être moins polluante et émettre moins de bruit » parce la formulation est à la limite du risible mais dans les faits il ne fait que rappeler ce qui était au cœur de la stratégie de toutes les compagnies dès avant la crise ne serait-ce parce que c’est à la fois une condition et une conséquence d’une meilleure rentabilité. La stratégie environnementale d’Air France existait avant la crise et sera même facilitée par ses conséquences.

Ca c’est pour les efforts réels. Pour le trompe l’oeil ce sera d’autant plus simple qu’avec une réduction de la flotte indispensable dans une contexte de demande en baisse voire d’inaccessibilité de certaines destinations la baisse de l’empreinte de la compagnie sera mécanique, nouveaux avions ou pas.

J’ai lu ici ou là que l’Etat allait subventionner les pollueurs. A ce sujet il est temps de préciser que si on voulait vraiment faire quelque chose pour l’environnement il vaudrait mieux laisser voler tout ce qui peut voler et contingenter les achats de vêtements, qui sont souvent des achats impulsifs pour des choses qu’on ne portera que peu avant de s’en débarrasser. Quand l’aérien compte pour 3% des émissions le textile compte pour 10% (et le digital 4 avec une prévision de 8 en 2025). A garder en tête quand il faudra sauver des entreprises dans ces secteurs et leur demander des engagements, histoire de ne pas toujours désigner le bouc-emmissaire facile à trouver.

Mais Air France-KLM ne remboursera pas ses prêts

Mais tout ne pouvait être aussi rose : on peut dès aujourd’hui vous annoncer qu’Air France ne remboursera pas ses prêts. Pourquoi ? Même en repoussant toutes les échéances au maximum cela fait 4 milliards à rembourser dans 3 ans et 3 dans 6 ans.

Commençons par le prêt de 4 milliards (échéance 3 ans maximum). Il a été consenti à Air France-KLM (la maison mère) et à Air France sans qu’on sache dans quelles proportion pour chacune.

En 2019 le résultat d’exploitation du groupe était de 1,1 milliard d’euros. Il se décompose comme suit : 280 millions d’euros pour Air France et 853 pour KLM.

Ces chiffres ont été obtenus sur un marché en croissance, avec une forte demande et en opérant à pleine capacité et ils rendent impossible un remboursement de 4 milliards même à 3 ans. Alors dans un contexte où on n’est même pas sur d’opérer à 60% des capacités d’ici la fin de l’année et où un retour à la situation d’avant crise n’est pas attendu avant 2022 le miracle sera impossible.

Même conclusion logique pour le prêt de 3 milliards consenti, lui, uniquement à la maison mère puisque c’est d’elle de l’Etat est actionnaire, pas d’ Air France. Il aurait été remboursable avec les résultats d' »avant » et à condition qu’il n’y ait pas le prêt de 4 milliards à rembourser à côté. Avec des capacités en baisse, une demande qu’on attend frileuse et un autre prêt « à coté » vous pouvez oublier.

Et à cela va aller s’ajouter le futur prêt de 3 milliards à Air France-KLM de l’Etat Néerlandais.

Pour que les choses soient plus claires : à la fin de l’exercice 2019 la dette nette d’Air France-KLM était de 6,1 milliards d’euros. On vient d’en rajouter 7 plus 3 à venir. Une dette qui passe de 6 à 16 milliards en un an avec un chiffre d’affaires qui ne peut que plonger

Donc soit l’Etat fait n’importe quoi, soit Air France-KLM l’a bien eu ? En fait pas du tout.

Une nationalisation ne sauvera pas Air France-KLM

Air France-KLM a besoin d’argent frais pour passer la crise et investir dans sa compétitivité. Ca n’est une surprise pour personne et on le sait depuis le début et ce sera le cas de quasiment toutes les compagnies. Par contre, selon leur état de santé certaines pourront se contenter d’un prêt alors que d’autres auront besoin d’être recapitalisées. Et si Air France-KLM allait mieux depuis que le Dr Smith était à son chevet elle n’en était pas moins une compagnie encore convalescente lorsque la crise est arrivée.

L’avantage de la recapitalisation c’est que c’est de l’argent qu’on apporte au capital de l’entreprise et qui n’est pas à rembourser. Au lieu de se faire rembourser comme c’est le cas pour un prêt, l’actionnaire récupère une partie du capital en espérant que la valeur des actions finisse par monter.

C’est notamment pour cela qu’on a parlé de nationalisation a une époque mais, dans les faits, une nationalisation peut ne rien changer du tout.

Pour nationaliser Air France il suffit que l’Etat rachète les actions des autres actionnaire. En fait dans le cas d’une nationalisation, contrairement à une OPA, l’Etat fait voter une loi et la nationalisation est automatique. Au lieu d’avoir à racheter les parts des autres actionnaires il doit les indemniser…à un prix qu’il fixe lui-même et est rarement avantageux pour ces derniers.

Mais une nationalisation stricto sensu ne changerait rien pour Air France-KLM. Le capital change de mains mais n’augmente pas, il n’y a pas d’argent frais. Ce qui a du sens pour Air France-KLM c’est une augmentation de son capital qui peut, in fine, aboutir à une nationalisation mais pas nécessairement.

Le groupe peut décider d’augmenter son capital, émettre de nouvelles actions qu’achètera l’Etat et le tour est joué. Mais c’est compter sans les autres actionnaires ! Delta et China Eastern détiennent chacune 8,8% du capital et l’Etat Néerlandais 14%. Si le capital augmente deux cas sont possibles :

  • Les actionnaires « suivent » et contribuent à l’augmentation. Dans ce cas l’augmentation prévue a lieu mais elle coûte moins cher à l’Etat vu que les autres actionnaires y contribuent également.
  • Les autres ne veulent ou ne peuvent suivre et l’Etat y contribue seul. Selon son montant cela peut l’amener à devenir mécaniquement majoritaire sans qu’il s’agisse d’une nationalisation au sens strict.

C’était la solution idéale pour Air France-KLM mais cela prend du temps et l’horloge tournait. Donc on a eu recours aux prêts.

Les prêts vont finir en augmentation de capital

Les prêts peuvent en effet constituer une étape intermédiaire pour se donner le temps de préparer une augmentation de capital et prendre un peu de recul en regardant comment le contexte évolue. Car un prêt ça peut se transformer en augmentation de capital.

On en a eu l’exemple parfait avec le mélodrame Alitalia qui a lieu depuis 3 ans. La compagnie ne pouvant rembourser les prêts consentis par l’Etat et ceux-ci ne pouvant être « abandonnés » sous peine de constituer une aide illégale, ils ont été convertis en capital. L’Etat a donc vu sa participation au capital d’Alitalia augmenter du montant non remboursé des prêts, et ça c’est légal car il y a une contrepartie à l’argent apporté à la compagnie. Ce qui est illégal c’est l’absence de contrepartie.

On peut donc s’attendre à que les prêts consentis au groupe Franco-néerlandais ne soient remboursés qu’en partie et le que le reste participe d’une augmentation de capital. Mais la manoeuvre si elle est aussi logique qu’habile ne va pas aller sans poser quelques problèmes d’ordre politique et c’est également, à notre avis, la raison pour laquelle l’Etat prend tout son temps pour avancer sur le sujet.

Vers une guerre des actionnaires ?

Si tous les autres actionnaires peuvent suivre tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. S’ils ne peuvent pas (on ne sait pas quel sera l’état de la trésorerie de Delta et de China Eastern quand l’opération se passera) alors les discussions risquent d’être chaudes.

Delta a l’habitude de peser dans les entreprises dont elle possède une partie du capital. Raison pour laquelle elle n’est pas venue au secours d’Alitalia d’ailleurs. Pas sûr qu’elle voit d’un bon oeil ses droits de votes diminuer.

Même chose pour China Eastern. A moins que l’Etat Chinois y voit une belle opportunité d’aider la compagnie à peser davantage dans le capital d’Air France-KLM et ce au grand dam de Delta.

Mais le pire reste à venir ! L‘Etat Néerlandais qui détient 14% du capital (contre 14,3% à l’Etat français) ne supportera pas d’être dilué. On se souvient comme il était rentré de force comme un cow-boy au capital du groupe car il se plaignait de décisions qui favorisaient systématiquement Air France. Et que dire en cas de nationalisation ? KLM deviendrait une compagnie nationale française ? Ca il ne faut même pas y penser !

Air France-KLM vers l’explosion ?

En parlant de l’opération qui a mené à la création du groupe Air France-KLM certains ont parlé de mariage, de notre point de vue c’est surtout un mariage arrangé qui a été vécu comme un viol par les néerlandais. On peut le comprendre facilement, c’est une question de fierté nationale. Imaginez Air France rachetée par Lufthansa et on en reparle…

La vérité est que l’intégration entre les deux compagnies n’a jamais eu lieu. Les synergies réduites à leur plus simple expression. Les français reprochent aux néerlandais de faire cavalier seuls, les néerlandais reprochent aux français leur gestion laxiste et leurs déficits chroniques. Et ça fait 15 ans que ça dure avec comme derniers épisodes en date l’arrivée « sauvage » de l’Etat néerlandais au capital du groupe et le psychodrame sur la reconduction du président de KLM, Pieter Elbers. Il faut bien comprendre que l’Etat était sorti du capital de KLM en 1988 et que devoir y retourner sur fond de crise de gouvernance montre l’état d’exaspération qui a été atteint. Lors de la création du groupe en 2004 il était leader mondial en chiffre d’affaire. Depuis ça a été une lente descente et chacun se plait à voir l’autre comme principal responsable.

Beaucoup aiment à dire que si Air France ne l’avait pas sauvée en 2004 KLM ne serait plus là, ou plus sous sa forme actuelle et c’est vrai. Mais un mariage avec Lufthansa ou un autre aurait it été pire ?

On peut mettre en cause un fossé culturel impossible à combler comme l’explique admirablement bien cet article.

Mais le procès en laxisme fait aux français tient la route. Depuis des années c’est KLM qui tire vers le haut la rentabilité du groupe alors qu’elle est plus petite. Comme on l’a vu elle a dégagé en 2019 un résultat d’exploitation de 853 millions d’euros contre 280 à Air France. Des raisons légitimes de grincer des dents quand on est le bon élève et qu’on doit payer les factures du cancre.

Air France-KLM peut « facilement » économiser 1 milliard par an

A peine le dispositif de sauvetage connu que cela a commencé à bouger aux Pays-Bas. On accuse d’ores et déjà les français de vouloir se servir de cette manne tombée du ciel pour éviter, une fois de plus, de se réformer, pour laisser filer les coûts et certains y voient une bonne occasion pour appeler à une dissolution de la holding (donc du Groupe Air France-KLM) pour se contenter d’un simple accord de collaboration entre les deux compagnies. Honnêtement nous trouvons qu’on est là un peu dans le procès d’intention et que certains soufflent mal à propos sur des braises en espérant tirer les marrons du feu et on voit mal comment cela pourrait se passer dans un avenir proche. On voit mal KLM survivre seule aujourd’hui. Par contre on croit vraiment à la volonté de Ben Smith de faire ce qu’il faut pour qu’Air France atteigne un niveau de rentabilité conforme à son ambition. Mais il faudra du temps pour arriver à une relation apaisée au sein du groupe, si tant est que cela arrive un jour.

Par contre ce qui est vrai, et n’en déplaise aux esprits chagrins, c’est qu’il y a une manière pour Air France-KLM d’économiser entre 750 millions et 1 milliards par an ! Considérable quand on parle de rembourser 7 milliards en 6 ans ! Quel est il ? Tout simplement en installant la compagnie non plus en France mais aux Pays-Bas où les régimes fiscaux et sociaux sont plus avantageux. Peut être même qu’il aurait fallu des prêts beaucoup moins importants si cela était le cas.

Et alors ?

En conclusion ça n’est pas un simple prêt qu’a consenti l’Etat, c’est la première brique d’un dispositif de restructuration du capital de la compagnie. Pour quel résultat ? On croit franchement qu’Air France peut profiter de cette crise pour enfin totalement se réinventer et en ressortir en ayant gommé l’écart avec certains concurrents (et on vous expliquera bientôt pourquoi et comment). Mais dans le pire des cas Air France-KLM peut ne devenir qu’un groupe de taille moyenne à l’ambition quasi exclusivement régional voire exploser en vol.

Photo : B777-200 Air France à Sao Paulo (GRU) de Matheus Obst via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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