Cela fait un peu plus d’un an que Ben Smith est arrivé aux commandes d’Air France-KLM et après avoir pris la température du terrain et placé ses pions (non sans avoir débloqué quelques situations et signé des accords majeurs), il commence à sortir de la gestion d’une situation dont il a hérité pour vraiment poser son empreinte sur la stratégie de la compagnie.
La rencontre annuelle avec les investisseurs qui a eu lieu la semaine dernière a été l’occasion de voir se dessiner en pointiller l’ambition qu’il a pour le groupe franco-néerlandais et la stratégie qu’il compte mettre en œuvre.
- Quels enjeux pour Air France-KLM
- Un portefeuille de marques rationalisé
- Une flotte presque rationalisée
- Simplification et synergies
- Recentrage sur les segments les plus rentables
- S’appuyer sur la puissance de ses hubs
- Participer à la consolidation du secteur
- Une stratégie financière avant tout
La feuille de route TravelGuys pour Ben Smith
Il y a un an nous étions partis de notre propre expérience et connaissance du sujet pour élaborer ce qu’étaient pour nous les priorités de la nouvelle équipe dirigeante d’Air France KLM. Un constat qui n’avait rien de neuf et me semble partagé par l’ensemble des observateurs du secteur mais devant lequel trop de personnes dans le groupe étaient voire sont dans le déni.
Pour reformuler tout cela et sans ordre de priorité :
- Rationaliser les marques, les produits, la flotte.
- Reprendre la montée en gamme du produit.
- Remettre le client au centre et regagner sa confiance.
- Décomplexifier l’organisation, mettre du sang neuf, changer de « mindset », aligner tout le monde.
- Faire d’Air France KLM un vrai groupe et pas l’adjonction de deux compagnies.
Plus facile à dire qu’à faire dans une entreprise que beaucoup dépeignent comme irréformable mais, l’air de rien, beaucoup de choses ont avancé en un an.
Un portefeuille de marques rationalisé
Aucune annonce surprise de ce côté car le travail a déjà été fait car c’était visiblement une priorité de Ben Smith : exit Hop! et bye bye Joon, désormais le groupe se concentrera sur trois marques lisibles : Air France, KLM et Transavia.
Une flotte rationalisée…ou presque
Ce travail a lui aussi été entamé pour réduire le type d’appareils utilisés par chaque compagnie et ainsi réduire les coûts associés à une flotte trop diversifiée. Désormais les A350 iront chez Air France et les B787 chez KLM. Reste le sort des B787 déjà livrés à Air France qui font tâche dans le paysage mais rien ne dit qu’ils ne changeront pas de livrée le jour où Air France aura reçu un nombre significatif d’A350.
Exit l’A380 qui quittera la flotte d’ici 2024 et qu’on ne regrettera pas, déjà pour des raisons de coût d’exploitation (mais ça le passager s’en moque quoique ça se ressente sur le prix du billet) et aussi pour ce qu’Air France en a fait, ou plutôt n’en a pas fait : un vrai flagship. Aujourd’hui c’est un appareil dont les frequent flyers préfèrent éviter la cabine donc un vrai problème pour la compagnie.
Restent un problème et des inconnues.
Un problème : si la flotte se rationalise ce n’est pas le cas des cabines, loin de là. Voler sur Air France en long courrier – et a fortiori en business – c’est jouer à la roulette russe. Comme le dirait l’ami Forrest Gump : « Air France c’est comme une boite de chocolats, tu ne sais jamais sur lequel tu vas tomber ». Du 1-2-1, du 2-2-2, du 2-3-2, du full flat, du « toboggan »….il y en a pour tous les goûts et s’il y a un domaine où le passager n’aime pas être surpris c’est bien celui là !
Les inconnues ? Que faire des options sur les A220 ? Vu leur nombre on se doute bien que c’est potentiel remplaçant pour une partie des A320/321 et en l’absence aujourd’hui d’un A220 rallongé on va vers une diminution des capacités. Ce qui n’est pas un non sens économique en soi d’ailleurs. Par quoi remplacer l’A380 ? Quel remplaçant pour les 777-200 qui ont tous entre 17 et 21 ans sachant que lorsqu’on commande un nouvel appareil ça n’est pas de la livraison en 24h chrono ! Une question qui se posera bientôt pour les 777-300 mais comme seuls 6 appareils ont 15 ans on a le temps de voir venir. Pour les « 200 » l’A350 fait figure de remplaçant naturel mais pour les A380 et 777-300 on ne peut pas ne pas regarder du côté du 777-9.
Bref il reste des zones grises sur le futur de la flotte donc certaines commencent à devenir urgentes. Mais outre le temps c’est aussi une question d’argent et c’est là que le bât blesse.
Simplification et synergies
Le pire ennemi d’Air France-KLM (enfin surtout d’Air France) n’est pas la concurrence ni même les taxes mais sa complication interne. On le sait depuis des lustres mais au moins Ben Smith a-t-il eu le courage de le dire en public cet été.
“La marge d’Air France en 2018 n’était que de 2 %, contre 9 % pour KLM, 10 % chez Lufthansa, 12 % chez British Airways et 18 % chez Ryanair. 2 % de marge chez Air France, ce n’est pas satisfaisant. Cinq points peuvent s’expliquer par les coûts en France. Mais deux points sont dus à la complexité et à l’inefficacité de la compagnie. À nous de nous y attaquer. “
On nous promet donc à la fois une simplification des process opérationnels, des process internes et la mise en place de synergies au niveau du groupe. Reste à voir combien de temps cela prendra, si la bureaucratie lâchera enfin le morceau et si les gains sont à la hauteur de ses espérances.
Quant au synergies depuis le temps que la fusion a eu lieu il est totalement incompréhensible qu’un large socle de services partagés n’existe pas encore à l’inverse de ce qui fait aujourd’hui le succès d’IAG ou Lufthansa Group !
Ici on s’attaque à un mal qui structurel mais aussi largement culturel, ce qui demande de la technicité et du courage. Et pour une fois les deux semblent enfin être réunis, notamment chez Air France qui, sur le sujet, et bien la plus malade des deux.
Recentrage sur les segments les plus rentables
En voilà une idée qu’elle est bonne : se concentrer sur ce qui rapporte le plus ! C’est à dire le trafic de correspondance pour KLM et le premium pour Air France (ce qui de facto signifie que CDG n’est pas vu comme un hub mais une plateforme de destination…bizarre).
Oui mais pour cela encore faut il attirer la clientèle concernée ce qui pour Air France est loin d’être gagné aujourd’hui (je ne vais pas refaire une fois de plus le discours sur l’incohérence voire la faiblesse des produits premiums sur certains appareils).
Cela implique la reprise de la montée en gamme dans les cabines (et comment la financer ?) et dans le service car sauf à être dans le déni total, Air France est aujourd’hui largement derrière la concurrence sur les marqueurs qui sont en théorie son terrain de jeu, celui de l’excellence et du luxe à la française. Mais beaucoup ont encore du mal d’accepter que le personnel est infiniment plus serviable, aimable et chaleureux chez Lufthansa, Swiss ou KLM. Que les vins en first sont meilleurs chez Lufthansa. Que le catering en business est largement au dessus chez Swiss. Et je ne parle pas des compagnies du Golfe ou des asiatiques. Arriver à un tel constat fait mal mais c’est la vérité.
Le retour d’une business class sur les vols intérieurs va dans le bon sens, reste à savoir à quelle prix elle sera vendue même si sa vocation première est de servir de vol d’apport pour le hub de CDG avec une expérience cohérente de bout en bout.
Décision intéressante : l’abandon de KPIs qui conduisaient à la réduction de l’offre premium au bénéfice de l’économique alors même que c’est le premium qui génère le plus de marge. Enfin du bon sens. On vous l’avait déjà dit, l’avenir est à la premiumisation des majors plus qu’à la compétition sur les bas tarifs.
S’appuyer sur la puissance de ses hubs
Air-France KLM dispose de deux beaux hubs à Amsterdam et Paris et il s’agit d’un atout dont le groupe entend se servir face à la concurrence. Et c’est logique. Maintenant on peut craindre qu’il voit les choses plus belles qu’elles ne sont.
Oui CDG et Schiphol sont deux beaux hubs. Mais de là à raconter aux investisseurs que c’est un avantage énorme par rapport à British Airways qui n’a que Heathrow et Lufthansa qui n’a que Francfort…je ne sais pas s’ils ont gobé cet enfumage dû à un tour de passe-passe sur les périmètres pris en compte mais c’est à notre avis un peu trop gros pour passer.
Oui Air France a Charles de Gaulle, KLM Schiphol, Lufthansa Francfort et British Airways Londres. Mais c’est oublier Munich qui est tout sauf un aéroport secondaire surtout en terme de connexions.
Mais si on dit donc que le groupe Air France-KLM a CDG et Schiphol il faut aujouter que le groupe IAH a Heathrow et Madrid, et que Lufthansa Group a Francfort, Munich mais également Zurich et Vienne.
Ca change tout et quand on voit comment Lufthansa Group tire le meilleur de ses hubs en termes de connexions et parcours multi-compagnies on ne peut s’empêcher qu’on a essayer de rendre la mariée un peu plus belle qu’elle ne l’est.
Participer à la consolidation du secteur…ou pas
Quand IAG rachète Air Europa et que Lufthansa lorgne sur Alitalia on ne peut passer sous silence l’ambition du groupe sur un marché en pleine consolidation.
Et quelle est elle ? La groupe annonce considérer la consolidation du marché européen de manière pragmatique. Soit mais encore.
Le décryptage est assez simple : les « bonnes affaires » sont rares et de toute manière on n’a pas les moyens.
Une stratégie financière avant tout
Tout cela n’a qu’un but et c’est logique : remettre Air France-KLM dans les clous de la concurrence avec une marge a 8%. Lufthansa ne fait pas autre chose en serrant la vis alors que sa situation est plus enviable aujourd’hui.
Parlant à des investisseurs on comprend le sens du message, maintenant on attend de voir comment cela va se traduire concrètement pour le client mais les annonces vont en tout cas dans le bon sens après des années passées à renoncer à toute forme d’amélioration. Reste à voir comment des paroles sensées se traduisent dans les faits, sujet sur lequel on a déjà eu des surprises.
Maintenant si tout cela doit restaurer la profitabilité du groupe cela aura également un coût dans un premier temps et c’est là qu’il importe de se projeter dans une logique concurrentielle.
Il n’est pas surprenant de voir qu’en terme d’analyse du marché et de stratégie Air France-KLM soit à peu près dans les clous d’IAG et Lufthansa Group et donc que les annonces qui en découlent vont dans le même sens, modulo le fait que tout le monde ne part pas du même point.
Le problème est qu’Air France-KLM doit courir deux lièvres à la fois : restaurer sa profitabilité et investir. Et le second est bien entendu conditionné par le premier.
A l’inverse IAG et Lufthansa Group ont amassé un beau trésor de guerre qui fait que tout en anticipant un marché plus compliqué elles ont de quoi investir dès aujourd’hui et qu’elles n’ont qu’à maintenir leur rentabilité existante.
Et c’est là que tout se jouera : savoir si le marché permettra à Air France-KLM d’aller à une vitesse qui lui permettra de revenir sur ses concurrents ou si le retard accumulé est irrécupérable alors que des temps un peu plus difficiles s’annoncent. C’est d’autant plus dommage que pour une fois les annonces vont dans le bon sens et qu’on ne peut reprocher à Ben Smith et ses équipes l’incurie voire l’inconséquence de certains dirigeants par le passé ainsi que de ses syndicats. Il savait qu’il s’engageait dans une course qu’il démarrait avec un boulet au pied, souhaitons lui que ses décisions lui permettent de rapidement l’alléger.
Photo : Avions Air France et KLM de Markus Mainka via Shutterstock