Si on devait juger la vitalité d’une compagnie aérienne à étendre sa flotte ou en tout cas à la renouveler on ne peut pas dire qu’Air France ait été rassurante ces dernières années. Depuis la commande, en 2013, de 28 A350 et 25 B787 qui devaient initialement être partagés entre les deux compagnies avant que la raison ne l’emporte, rien à se mettre sous la dent. C’était jusqu’à cette semaine et l’annonce d’une commande d’Airbus A220 pour remplacer les A318 et A319.
L’inéluctable renouvellement de la flotte moyen courrier
Il s’agit d’une commande ferme de 60 A220-300, assortie de 30 options et 30 droits d’acquisition. Les appareils seront livrés à partir de septembre 2021.
On ne peut que se réjouir de cette annonce, pour la compagnie comme pour le passager. Pour Air France il s’agit d’un coût par siège inférieur de 10% avec une consommation de l’ordre de 2 litres aux 100 km par passager et des émissions carbone moindres. Alors que les petits appareils ont des couts au passager en général plus élevés que les gros, l’A220 rivalise avec un « gros » A321 Neo. Quant au passager, pour avoir pu voler en A220 sur Swiss, nous confirmons que le gain en confort est phénoménal.
L’A220, cet Airbus venu du Canada
Vous n’avez jamais entendu parler de l’A220 ? C’est normal, il n’a d’Airbus que le nom. Il s’agit en fait de l’excellent C-Series du canadien Bombardier qui a été rebaptisé A220 par Airbus après que l’avionneur européen ait repris le programme sous son aile en 2018 avec une prise de participation de 51% (dans le programme C-Series, pas dans Bombardier !).
Pourquoi l’A220 ?
On l’a dit : plus économe et plus confortable que les A318 ou A319. Mais pourquoi pas des A320Neo, eux aussi plus économes ? Parce que non seulement l’A320Neo tape dans la gamme au dessus niveau taille, justement celle qu’occupe l’A320 aujourd’hui et parce qu’il serait visiblement mieux adapté à des routes de plus de 3000 kilomètres qui sont très rares dans le réseau moyen courrier Air France. Un argument à prendre avec des pincettes quand on sait que Lufthansa Group, avec un réseau comparable, a commandé 101 A320Neo (et 48 A321Neo). Sachant que Swiss opère des A220, il est facile de comprendre que l’argument est biaisé : les deux appareils sont plus complémentaires que concurrents.
Le principal avantage de l’A220 pour Air France c’est qu’il est beaucoup moins cher à l’achat et nous allons voir dans les lignes qui suivent que c’est le vrai sujet pour Air France, et pas seulement sur le court/moyen courrier : elle n’a pas les finances de ses ambitions.
60 ou 90 A220 ? Ca n’est pas un peu beaucoup ?
Là où l’opération nous interpelle c’est au niveau des chiffres. 60 commandes fermes et 30 options cela fait un potentiel de 90 appareils !
Aujourd’hui Air France dispose de 14 A318 et 33 A319. Autrement dit les comptes ne sont pas bons puisqu’il y aura au minimum 13 appareils en trop, 43 au maximum.
Que signifie ce supplément d’appareil ? Plusieurs possibilités :
1°) Air France compte ouvrir de nouvelles routes et étendre son réseau moyen courrier avec cet appareil plus compétitif qui lui permettrait d’être rentable sur des dessertes sur lesquelles elle n’ose pas s’aventurer aujourd’hui.
2°) Une partie de ces appareils finira chez KLM. On n’y croit pas trop. Voire pas du tout.
3°) Une partie des A220 va remplacer des A320 et A321 vieillissants dont la question du remplacement va rapidement arriver en raison de l’âge avancé de certains, une grand partie de la flotte allant atteindre les 20 ans dans les prochaines années. Une option qui laisse la porte ouverte à deux possibilités :
• Air France remplace certains A320/A321 par des A220 pour avoir sur une route donnée des appareils de moins grande capacité mais avec davantage de rotations pour mieux coller aux besoins des clients. Mais cela signifie, logiquement, la fermeture de certaines lignes.
• Air France maintient son réseau mais diminue ses capacités sur un grand nombre de lignes.
A notre avis c’est cette dernière option qui prévaudra : les A320/321 seront pour certains remplacés « par le bas » en termes de capacité et seuls certains seront remplacés par leur version « Neo ». Autant dire que ça n’incite pas à l’enthousiasme sur l’ambition de la compagnie mais peut elle faire autrement ? Les finances ne sont pas bonnes et elle n’a pas les moyens de ses ambitions, continuant à lutter pour restaurer ses marges alors que Lufthansa Group et IAG (British/Iberia) ont engrangé ces dernières années un cash qui leur permet d’investir sereinement.
RIP A380
Autre annonce de la semaine le retrait attendu de l’A380 de la flotte d’Air France. Et là nous applaudissons des deux mains !
J’ai du mal de comprendre qu’on soit triste de la nouvelle.
L’A380 n’était pas fait pour le business model de compagnies comme Air France, Lufthansa ou encore British Airways. L’A380, soit on en a 50 ou plus soit on en a pas ! Il n’y a qu’à voir les problèmes qu’il posait dès qu’il devait être immobilisé pour une panne, car sur des flottes réduites de 10 appareils si l’un est en panne est est rare d’en avoir un « libre » sous la main pour le remplacer au pied levé et vu sa taille il faut alors deux appareils de taille inférieure ! Par contre quand on a, comme Air France, 68 B777 on a plus de marge de manœuvre quand l’un fait défaut. Quand on ajoute à cela les soucis récurrents de fiabilité sur l’A380…
Et du point de vue passager, cela fait longtemps que l’A380 ne fait plus rêver que ceux qui ne voyagent que peu. Les compagnies européennes, et Air France en tête, n’ont pas voulu en faire un flagship comme l’ont fait Emirates, Qatar ou Singapore Airlines. Moralité, les A380 Air France ont une cabine plus que démodée, et ce a fortiori sur les classes « avant », celles qui accueillent les passagers à haute contribution, qui aujourd’hui préfèrent un B777 peut être plus bruyant mais à la cabine beaucoup plus premium. Le silence et le confort de l’A380 ont été égalés voire dépassés par le B787 puis l’A350 et demain le B777X. Il ne lui reste plus que sa taille.
Renouvellement ou attrition ?
Les compagnies européennes ont joué la carte de la solidarité européenne en achetant quelques exemplaires d’un avion dont elles n’avaient pas besoin, n’en ont pas fait un flagship et au final ont payé une addition assez lourde. Il est temps que cela s’arrête.
Va donc se poser la question de son remplacement en même temps que de certains B777-200 qui vont commencer à faire leur âge. On parle de l’A350-1000, de l’A330Neo et, de notre point de vue, on ne peut pas ne pas se poser la question des B777-8 et B777-9.
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Photo : A318 d’Air France De Tupungato via Shutterstock