A peine installé le tout nouveau patron d’Air France-KLM et dirigeant provisoire d’Air France va devoir prendre la mesure des différents défis qu’il va devoir relever.
Restaurer la confiance des clients
On peut dire ce qu’on veut le client n’aime pas vivre avec une menace de grève permanente sur la tête. Combien d’entre eux ont soigneusement évité le transporteur français cet été pour ne pas se retrouver en carafe et voir leurs vacances gâchées ? Un nombre significatif à notre avis. Partant du principe que le confiance c’est comme le dentifrice, une fois sorti du tube il est dur de l’y faire re-rentrer, la tâche s’annonce ardue et prendra du temps.
Ironiquement la restauration de la confiance du client est une des injonctions des syndicats de pilotes alors qu’ils sont les premiers responsables de sa dégradation.
Remettre le client au centre
Le client a toujours été le grand perdant du sempiternel psychodrame entre la direction et les syndicats. Même si l’entreprise a fait des efforts, écoute de plus en plus ses clients quant il s’agit de concevoir des produits ou services nouveaux, cela n’a pas encore été assez loin et trop de monde s’imagine encore que le client est captif et que le boulot de la compagnie c’est de faire voler des avions en satisfaisant certaines catégories de personnel, pas de satisfaire des passagers.
Aligner tout le monde et faire le ménage
Un bon connaisseur du dossier me disait un jour « le problème d’Air France c’est que c’est une entreprise où trop de gens ont le pouvoir de dire non ». Il est clair que l’entreprise ne se transformera pas tant que toutes les initiatives finiront par toujours trouver quelqu’un pour les bloquer.
Il faudra qu’enfin cette entreprise soit unie derrière un projet – quel qu’il soit – quitte à ce qu’inévitablement cela se traduise par un peu de ménage. De toute manière il n’y aura pas d’idées neuves sans sang neuf et il est rare qu’une entreprise arrive à sortir de l’ornière grâce à ceux qui l’y ont mise.
Par ailleurs les cycles de décision longs et un go-to-market trop long qui ont souvent nui à la compagnie sont un fléau dont il faudra également un jour se débarrasser.
En un mot comme en mille il faut des gens qui pensent business et pas politique, des managers, pas des commis d’Etat ou des gestionnaires. Des gens qui n’ont pas peur de déplaire et de faire bouger les lignes.
Clarifier les marques et leur positionnement
Alors peut qu’être qu’on s’est bien amusé au département marketing ces derniers temps mais une chose est claire : l’offre Air France est aujourd’hui illisible.
Il y a du Air France, du Hop, du Joon, du Transavia avec des positionnement pas toujours clairs et des lignes de démarcation pour le moins floues. Entre la vraie low-cost, celle qui n’en est pas une mais présente un service dégradé, les vols Air-France opérés par Hop, les vols hop opérés par Air France… le passager n’y comprend plus rien. Ajoutez à cela l’arrivée probable d’une low cost long courrier et le tableau est plein.
Disons le clairement : Joon est une hérésie qui déshabille peu à peu le réseau Air France au prix d’un service dégradé pour le passager et au train où ça va ce qui devait n’être qu’une exception risque de devenir la norme.
La rationalisation du portefeuille de marques et donc des positionnements est donc une nécessité.
Moderniser la flotte
Les 787 sont quasiment tous arrivés, les A350 vont arriver au compte goutte et d’abord chez Joon, aucune annonce par rapport à la flotte de 777 dont une partie significative va bientôt avoir 20 ans, un A380 dont on ne sait s’il restera ou non dans la flotte, un 340 vieillissant … Si on parle de croissance et de performance il faut à la fois plus d’appareils et des appareils plus jeunes. Rien en vue de ce côté à part sur le moyen courrier.
Mais encore faut-il avoir le cash nécessaire….
On peut aussi questionner le rationnel qui amène à dispatcher 350 et 787 entre Air France à KLM plutôt qu’à uniformiser les flottes au sein de chaque compagnie à défaut d’une uniformisation globale.
Reprendre la montée en gamme
La montée en gamme, ou en tout cas son démarrage, restera un des points forts de la présidence d’Alexandre de Juniac après des années d’errements sur le produit et des choix catastrophiques sur le produit business que l’entreprise traine encore comme un boulet. La dernière étude de Flight Report sur le sujet est éloquente : si le produit « Best » fait encore bonne figure il n’est que l’arbre qui cache la forêt.
Aujourd’hui les principaux marqueurs de service ont disparu, la cabine « best » qui était un vrai saut en avant à sa sortie commence à faire dépassée face à ce que commence à proposer la concurrence et ce surtout sur les classes avant. Quant au 380 le « retrofit » de sa cabine souvent évoqué et toujours repoussé fait que sa cabine dépassée est une excellente raison d’éviter de l’emprunter.
Se débarrasser de l’Etat
L’Etat est un actionnaire qui en plus d’être encombrant est incompétent et les effets de bord de sa présence au capital d’Air France ont coûté à la compagnie de l’argent et, pire encore, du temps. Piloter une entreprise avec l’Etat à ses côtés c’est faire de la conduite accompagnée avec un accompagnant aveugle qui aurait un peu trop abusé de l’apéro. Suicidaire.
Visiblement Ben Smith a des idées sur le sujet et a déjà testé le terrain quitte à se faire recadrer par le Ministre concerné mais cela montre bien qu’il a saisi l’ampleur du sujet.
Cela revient à ce que nous disions plus haut : Air France n’a que faire d’un actionnaire qui nomme des commissaires politiques pour s’assurer qu’Air France continue à préserver un modèle en bout de souffle sans faire de vagues et n’apportent rien en termes de business.
Air France a deux priorités dans ses actions, vitesse et scalabilité, et ce quel que soit le prix, peu importe que cela fasse exploser le consensus mou qui ne mène nulle part mais a toujours satisfait les politiques dont l’intérêt n’est pas la performance économique de l’entreprise mais une paix sociale en trompe l’oeil.
Construire une compagnie
Air France-KLM est une entreprise, Air France et KLM deux entreprises et deux compagnies. Non seulement en termes d’intégration et de synergies on est encore quasiment au point zéro depuis que le rapprochement des deux compagnies a eu lieu mais, pire, l’entente n’est pas toujours au beau fixe loin de là. On peut bien sur reconnaitre que sans Air France KLM aurait surement disparu ou serait aujourd’hui un satellite de Lufthansa ou British Airways mais on ne peut pas non plus nier que le psychodrame permanent chez Air France fasse légitimement grincer des dents aux Pays-Bas. Quand dans une entreprise une business unit tient les résultats et que la business unit vosine se querelle de manière nombriliste sans se préoccuper de l’intérêt commun il y a de quoi.
Air France-KLM doit devenir une entreprise et pas une entreprise qui en héberge deux autres, chacune opérant plusieurs marques. Une entreprise unique, donc, qui opère un portefeuille de marques rationalisé (voir plus haut). Une entreprise unique avec une mutualisation maximale des fonctions supports. Une entreprise qui met tout le monde dans le même bateau.
D’autres y sont arrivés et cela porte ses fruits.
Entre les 12 travaux d’Hercule et le nettoyage des écuries d’Augias, Ben Smith a assurément trouvé des challenges à la hauteur de ses ambitions. On jugera sur pièce même si les premiers signes sont positifs.