Hier nous parlions de l’intérêt renouvelé de Lufthansa pour Alitalia et de l’énorme impact que cela aurait sur la lutte pour le leadership en Europe et pour les grandes alliances.
Quelques heures seulement après l’écriture de cet article une bombe tombait, bien réelle et pas potentielle celle là : le rachat d’Air Europa par IAG (propriétaire de British Airways, Iberia et Aer Lingus). Air Europa ça compte pour du beurre me diriez vous…et bien au final c’est une opération qui peut avoir beaucoup plus d’impact qu’elle n’en a l’air.
Air Europa c’est quoi ?
Air Europa est une compagnie espagnole fondée en 1986 qui opère principalement au départ de Madrid a destination de villes principalement européennes et sud américaines. Elle dispose de 66 appareils allant de l’ART 42 et du B737 à l’A330 et au moderne B787 pour le long-courrier.
Elle est membre de l’alliance Skyteam. Pendant un temps son programme de fidélité a été Flying Blue d’Air France-KLM avant qu’elle ne lance le sien il y a 4 ans, Suma.
Aujourd’hui Air Europa opère de nombreux vols en partage de code vers l’Espagne pour le compte de ses compagnies partenaires Skyteam donc, au départ de l’Europe, Air France et KLM principalement.
En moyen courrier le service éco d’Air Europa est au niveau d’une low cost correcte mais on a été agréablement surpris par sa business. Sans avoir testé son long courrier il semble que là tout soit un ou deux crans au dessus.
L’an dernier Air Europa a dégagé un résultat positif de 100 millions d’euros.
Le deal IAG entre IAG et Air Europa
IAG s’engage donc à acheter Air Europa pour un milliard d’euros. Si l’affaire se fait (car on va voir qu’elle peut encore ne pas se faire) Air Europa continuerait à opérer sous sa propre marque en tant que filiale d’Iberia.
Quelles conséquences ?
- Air Europa sort de Skyteam
- Air Europa rejoint les joint-ventures transatlantiques d’IAG.
- Air Europa garderait son programme de fidélité mais en l’alignant sur ceux d’IAG c’est à dire avec l' »Avio » comme « monnaie ».
- Partage de codes bien sur entre Air Europa et les compagnies IAG.
De tout cela découle une foule d’effets de bord.
Conséquences pour IAG
Pas la peine d’être devin pour comprendre qu‘IAG verrouille l’accès aux destinations espagnoles et à Madrid en particulier. Avec Iberia, Vueling et Air Europa ça frise le monopole. Aujourd’hui une compagnie qui veut desservir l’Espagne sans y aller elle-même mais en partage de code ne peut plus le faire en s’appuyant sur une compagnie espagnole qui arrivera toujours à proposer plus de destinations qu’elle en direct. Dommage notamment pour les membres de Skyteam et Star Alliance.
IAG se refait aussi une santé sur le marché sud américain après la sortie de LATAM de OneWorld. Elle met la main en effet sur une compagnie qui a un très beau réseau vers la destination, et non plus au travers d’un partenaire mais au travers de ses propres lignes. Bien joué.
On ne peut pas penser que les dirigeants d’IAG n’avaient pas le Brexit en tête. En renforçant le hub de Madrid le groupe se donne de l’air pour proposer un maximum de correspondances sans passer par Londres.
Madrid gagnant ? Pas certain!
Un des arguments utilisés par IAG est aussi de dire qu’ainsi Madrid allait rentrer dans la catégorie des gros hubs. Pas certain !
Le classement 2019 des aéroports les mieux connectés fait pointer Madrid en 28e position et le fait qu’Iberia mettre la main sur Air Europa n’y changera rien, c’est juste le jeu des vases communicants. Idem en termes de passagers. Dominé par un Iberia propriétaire de sa petite cousine il n’en reste pas moins que les deux compagnies ne proposent pas un réseau assez développé et varié au départ de Madrid et que cela ne changera rien. L’Asie ne fait pas partie de leur terrain de chasse de prédilection donc Madrid ne peut prétendre devenir un Hub Global à l’instar de Londres, Francfort ou Amsterdam.
Par contre Iberia qui possède 46% des vols de l’aéroport selon le même classement va renforcer sa domination sur son Hub. Une victoire plus pour la compagnie que pour l’aéroport, en tout cas pour l’instant.
Un coup dur pour Air France-KLM
Gros coup dur pour toutes les compagnies qui se servaient d’Air Europa pour desservir l’Espagne en codeshare donc…Air France et KLM au premier chef et peut être un peu Delta. Dorénavant pour proposer une destination espagnole à ses clients ces compagnies devront y aller elle-mêmes (et non Transavia ne bouchera pas tous les trous car ne correspondant pas à toutes les clientèles).
Cela veut dire notamment redéployer au départ de Paris et Amsterdam des appareils utilisés pour d’autres destinations et utiliser de précieux slots alors qu’avant Air Europa utilisait les siens. Des choix devront être faits.
Air France a vu le coup venir
Alors oui c’est un vrai coup dur pour Air France et KLM mais je ne pense pas qu’au sein de groupe franco-néerlandais on soit tombé de l’armoire hier après midi en apprenant la nouvelle. Je dirai même qu’ils savaient et avaient anticipé.
La preuve :
- Le 28 octobre dernier Air France annonçait 12 vols hebdomadaires supplémentaires pour Madrid au départ de Paris Orly.
- Le 22 octobre dernier Air France annonçait 3 nouvelles destinations en Espagne au départ de Paris pour la prochaine saison d’été : Malaga, Alicante et Valence. Bizarrement des destinations « ex Air Europa » pour deux d’entre elles.
- Cela fait suite à l’annonce de l’ouverture sous marque Air France de Seville, jusque là opérée par Transavia.
Bref certainement touchée mais pas coulée et c’est tant mieux.
Le pire est-il à venir pour Skyteam ?
Si on raisonne en termes d’alliance OneWord rafle le morceau car même s’il pas été dit qu’Air Europa intègre l’alliance elle va intégrer les co-entreprises transatlantiques a minima et en plus de cela le jeu du codeshare fera son effet.
Star Alliance n’avait pas de partenaire local donc cela ne change rien pour eux.
Skyteam déjà faiblement représentée sur le continent face à Star Alliance perd plus gros, Air France et KLM se retrouvant quasiment seuls (sans faire injure à Tarom et Czech Airlines). Cela diminue la proposition de valeur de l’alliance pour ses partenaires américaines et asiatiques. Et rien ne dit que la perte des lignes sud américaines d’Air Europa sera compensée par le deal entre Delta et une LATAM qui restera hors de l’alliance.
Non le pire pour Skyteam serait, après Air Europa, de voir Alitalia partir sous d’autres cieux comme évoqué hier. En termes de réseau mais d’abord en tant que symbole.
Et IAG ne reprenait pas Air Europa ?
Et bien oui c’est possible ! Il y a même une clause dans ce sens dans l’accord. IAG s’engage à payer 40 millions d’euros dans cette hypothèse. Et pourquoi ? Vu l’importance que prendrait IAG à Madrid il y a fort à parier que les autorités de la concurrence s’en mêlent et soit bloquent la vente soient oblige IAG à abandonner des slots, ce qui rendrait le deal toujours intéressant mais moins juteux.
A côté de cela n’oublions pas le Brexit. Nous ne sommes pas des experts en mécano juridico financier mais à notre niveau de connaissance du sujet on peut se demander si avec la sortie du Royaume (dés)Uni de l’UE Air Europa ne deviendrait pas de facto une entreprise britannique. Il y a fort à parier que comme dans le cas de l’entrée d’Air France KLM au capital de Virgin Atlantic, une clause à activer en cas de « no deal » soit insérée quelque part.
Conclusion
Qu’en conclure ? Une belle opération pour IAG à coup sûr si l’affaire se fait ! Et pour les autres ? Ne vendons pas la peau des ours avant de les avoir tués. On est dans un jeu de domino à l’échelle au moins européenne dans un secteur en pleine consolidation et on est pas au bout de nos surprises. Peut être Skyteam et Air France-KLM vont ils nous sortir un lapin de leur chapeau. Peut être que Lufthansa Group va taper encore plus fort qu’IAG.
Une seule chose est sûre le paysage n’a pas fini de se transformer et il y des chances qu’un des trois gros européens de l’ouest (on garde Turkish à part) en ressorte quelque peu affaibli.
Photo : A330 Air Europa De Vytautas Kielaitis via Shutterstock