La prise de participation d’Air France-KLM dans SAS ne devrait absolument rien changer à court terme et même à long terme son issue comporte un certain nombre de zones grises.
Depuis que l’opération a été annoncée aussi bien les clients des deux compagnies concernées se posent beaucoup de questions et échafaudent des scénarios qui vont du plus ambitieux (un grand groupe mondial est en train de se créer qui va dominer le ciel européen, surtout en cas de rachat prochain de TAP) au plus alarmistes (SAS va passer au laminoir). Et comme souvent la vérité se trouvera certainement entre les deux.
- Une opération en attente d’approbation
- Eurobonus gardera probablement son indépendance un temps
- Un partenariat commercial pour commencer
- Dans l’attente de la restructuration de SAS
- Le rachat de SAS par Air France-KLM n’est pas acquis
- Quel futur pour SAS ?
- Conclusion
Une opération en attente d’approbation
Avant toute chose on parle d’une opération qui attend encore le feu vert des autorités compétentes. Comme le stipule en effet le communiqué de presse d’Air France-KLM elle dépend de « certaines conditions suspensives et autorisations réglementaires, incluant notamment l’approbation de la Commission européenne, du tribunal américain chargé de superviser la réorganisation au titre du Chapitre 11 et, s’agissant de SAS AB, du tribunal suédois.«
Peut elle échouer à ce stade ? Nous ne le pensons pas mais cela peut prendre du temps. Aujourd’hui Lufthansa est par exemple toujours dans l’attente du feu vert de l’UE pour le rachat d’ITA (depuis mai 2023) et le rachat d’Asiana par Korean Air est toujours sous investigation alors que le projet de fusion date de novembre 2020 !
Dans le même temps l’UE a annoncé qu’elle serait plus regardante, exigeante et stricte concernant les fusions et acquisitions et venir : Air France-KLM et Lufthansa Group sont clairement dans le viseur des autorités européennes.
Combien de temps faudra-t-il attendre pour que le deal soit approuvé ? 6 mois ? 1 an ? 2 ans ? Plus ? Bien malin celui qui peut le dire aujourd’hui mais nous ne serions pas surpris que dans un an nous soyons encore en train de nous poser la question.
Tout d’abord pour les raisons invoquées ci-dessus.
Ensuite parce qu’avec la privatisation et donc le rachat de TAP qui arrivera en 2024 il se peut que l’UE veuille attendre d’avoir une vision globale de ce que serait la concurrence en Europe après cela.
Enfin parce qu’Air France-KLM a indiqué vouloir faire renter SAS dans la joint-venture transatlantique avec Delta et Virgin Atlantic. Ce qui pose d’autres questions en termes de concurrence.
Et on ne sait pas si l’UE prendra en compte d’hypothétiques conséquences indirectes. En effet le traffic international long courrier est assez faible au départ de Scandinavie : SAS, Qatar Airways, Emirates, Ethiopian Airlines, Singapore Airlines, Thai…. Si SAS quitte Star Alliance et cesse d’alimenter les vols des deux dernières pour aller alimenter Roissy ou Amsterdam ne vont elles pas cesser de desservir la Scandinavie pour se recentrer sur Francfort et se faire alimenter par Lufthansa ? Et dans ce cas pourrait on penser que la concurrence en sera profondément affectée ?
Et que se passera-t-il si les contreparties demandées sont telles qu’Air France-KLM ne voit plus d’intérêt dans le deal ?
Quoi qu’il en soit ça n’est qu’une fois ces approbations reçues que la suite du plan pourra se dérouler. A savoir la sortie de SAS de Star Alliance pour rejoindre Skyteam, préalable indispensable à, enfin, mettre en place le partenariat commercial qui est à ce jour la seule conséquence concrète et certaine de la prise de participation.
Or on ne sort ni ne rentre dans une alliance en claquant des doigts. Les impacts sont majeurs et pour les alliances et les compagnies concernées et leurs programmes de fidélité. Bien sur le travail commencera en amont et sans attendre l’accord de l’UE mais une fois celui-ci obtenu il faudra encore de longs mois avant que la bascule ne s’opère, ne serait-ce qu’en raison des conséquences informatiques et du fait qu’il faut laisser aux passagers le temps de se retourner dès fois qu’il ne voient l’intérêt de voir leurs vols futurs créditer des points sur un programme d’une alliance qui ne les intéresse pas.
Si on peut raisonnablement penser que l’opération se fera il reste encore à savoir selon quelles contreparties et si on parle d’une affaire de plusieurs mois ou plusieurs années.
Eurobonus gardera probablement son indépendance un temps
C’était la grande inquiétude des clients de SAS : le changement d’alliance et le potentiel passage d’Eurobonus à Flying Blue.
Pour ce qui est du changement d’alliance il est acquis si l’opération est approuvée. Mauvaise nouvelle pour un certain nombre de clients car quand on parle de voyage d’affaire la Scandinavie penche davantage vers l’Allemagne que la France et le poids du Lufthansa Group dans les aéroports scandinaves est majeur, autrement plus que celui d’Air France-KLM. Inutile de dire que devoir transiter par Paris ou Amsterdam pour rejoindre Francfort ou toute autre ville du réseau Lufthansa Group alors que des vols directs sont proposés par une alliance concurrente va en dissuader certains. Nous ne dirons pas qu’un exode massif de clients vers Lufthansa est à attendre mais il est évident que SAS perdra des clients régulière à haute contribution dans l’affaire.
Quant au programme de fidélité il semble que la solution qui sera retenue sera, à l’instar de ce qu’a fait IAG, de conserver Eurobonus pour SAS. Une excellente nouvelle pour les clients de la compagnie Scandinave qui auraient soufferts en réalisant à quel point il est plus compliqué d’obtenir un statut sur Flying Blue que sur leur programme (et qui auraient encore plus souffert en cas de rachat par Lufthansa qui aurait automatiquement signifié l’adoption de Miles&More).
C’est bien dans logique de la filialisation annoncée de Flying Blue : chaque compagnie gère ses miles status et ses statuts comme elle l’entend par contre les miles primes sont une monnaie unique partagée. Flying Blue se contentera donc de vendre des miles à Eurobonus et c’est l’essentiel puisque c’est là que réside le nerf de la guerre.
Par compte quand nos amis scandinaves découvriront les barèmes d’achats de vols prime en dynamic pricing ils feront une syncope mais c’est une autre histoire.
Ceci dit, une rumeur de plus en plus sérieuse fait état du fait que les documents accompagnant l’opération précisent qu’une fusion des programmes de fidélité serait possible, à l’initiative d’Air France-KLM, mais seulement une fois que la prise de contrôle totale de SAS aura eu lieu, c’est à dire dans minimum deux ans. Et comme vous allez le voir si c’est ainsi que les choses devraient logiquement finir les écueils qui pourraient retarder ou rendre la chose impossible sont nombreux.
Ca serait une vraie mauvaise nouvelle pour les membres d’Eurobonus.
Un partenariat commercial pour commencer
Une fois, donc, les approbations obtenues et l’arrivée de SAS dans Skyteam effective, alors seulement, le partenariat commercial entre les deux compagnies pourra se mettre en place. Dans un an ? Dans 3 ans ? Qui vivra verra.
« Concomitamment à la transaction, et sous réserve de la satisfaction de certaines conditions, dont notamment la sortie d’SAS AB de Star Alliance, Air France-KLM entend établir une coopération commerciale entre ses compagnies aériennes et SAS AB. Ce faisant, Air France-KLM améliorerait sa présence sur les marchés scandinaves, où la marque SAS et son programme de fidélité sont bien établis. Une telle coopération commerciale bénéficierait aux clients scandinaves grâce à une connectivité accrue et à un accès plus large au réseau mondial d’Air France-KLM. »
Une manière polie de dire qu’Air France enverra des passagers en Scandinavie sur SAS et que SAS alimentera les hubs de Paris et d’Amsterdam avec des passagers Scandinaves.
Un deal qui ne serait pas un peu déséquilibré ?
Nulle volonté de notre part de critiquer la destination Scandinavie et le nombre de fois où nous volons vers Goteborg, Stockholm, Copenhague ou Oslo en témoigne mais nous doutons que l’attrait de cette superbe destination mais qui reste une destination de niche suffise à changer le destin de SAS. D’autant plus que SAS n’a pas tant un problème de revenus qu’un problème de coûts.
Nous ne sommes pas convaincus non plus que le passager français ou néerlandais sera enchanté de voler sur SAS en moyen courrier. Pas de business class, une premium economy correcte sans plus et une economy des plus frugale avec un buy on board qui ne la différence pas d’une easyjet ! On peut critiquer le moyen courrier d’Air France-KLM que nous trouvons de qualité médiocre mais SAS c’est pire. Elle n’est sauvée que par son excellente business class long courrier mais ça ne concerne qu’une infime fraction des passagers avec un réseau minuscule.
A l’inverse vu la taille du réseau Air France-KLM en Europe mais également en long courrier il est certain que les hubs de Paris et Amsterdam vont largement bénéficier de cette clientèle désormais captive. Et cela risque fort de se faire au détriment des (petits) hubs de Stockholm et Oslo, seule Copenhague risquant de tirer son épingle du jeu dans l’histoire.
Le gouvernement portugais demande des garanties aux potentiels acquéreurs de TAP quant à l’aéroport de Lisbonne, il semble que les gouvernements Danois, Suédois et Norvégiens étaient trop le dos au mur pour négocier quoi que ce soit de similaire.
Disons les choses clairement : Air France-KLM va aspirer autant que possible la clientèle scandinave sans trop rendre en retour. Elle a permis à SAS de survivre le temps de se restructure et c’est déjà bien.
Dans l’attente de la restructuration de SAS
On lit ça et là qu’Air France-KLM va transformer SAS, va peut être opérer des vols au départ de Copenhague pour compenser les restrictions en vigueur à Schiphol. Nous n’y croyons pas une seule seconde.
« À l’issue de la transaction, Air France-KLM détiendrait une participation minoritaire d’un maximum de 19,9 % dans le capital social de SAS AB.«
Devons nous rappeler ce qu’est un actionnaire minoritaire ? Il n’a aucun pouvoir de contrôle et aucun moyen de peser sur la stratégie de la compagnie.
Air France-KLM sera un partenaire commercial, rien de plus.
Elle va essayer de remplir ses vols avec des clients scandinaves, envoyer ses propres clients en Scandinavie et….c’est tout !
Le groupe met de l’argent dans SAS pour lui permettre de survivre et poursuivre son plan de restructuration et c’est tout tant qu’on y verra pas plus clair sur la santé future de la compagnie scandinave.
Un peu comme au poker il « paie pour voir ». Pour 144,5 millions de dollars il établit un partenariat commercial, donne à la compagnie un peu d’air (d’argent) pour continuer sa restructuration, bloque toute velléité d’un concurrent (Lufthansa) de racheter SAS et se donne la possibilité de la racheter plus tard si elle va mieux…ou de ne pas la racheter.
Que les scandinaves n’attendent pas de miracles ni d’aide autre que du codeshare tant qu’ils n’ont pas fait preuve de leur capacité à être rentables. C’est triste mais c’est la vie, et en tout cas c’est le business.
Le rachat de SAS par Air France-KLM n’est pas acquis
Car nous en arrivons au point le plus important : le rachat de SAS par Air France-KLM. Il est la suite et la fin logique de l’histoire à tel point que tout le monde le prend comme acquis. Et bien nous ne nous avancerons pas jusque là.
« Les accords définitifs entre les membres du Consortium comprendraient des dispositions spécifiques permettant d’augmenter la participation d’Air France-KLM de manière à ce qu’Air France-KLM devienne un actionnaire de contrôle, après un minimum de deux ans et sous réserve, entre autres, de certaines conditions réglementaires et de performances financières.«
C’est écrit noir sur blanc.
• Air France-KLM pourra prendre le contrôle de SAS après deux ans.
• Naturellement sous reverse de conditions réglementaires.
• Et sous réserves de performances financières
Premièrement tout dépend de la volonté d’Air France-KLM. Mais pourquoi le groupe franco-néerlandais refuserait-il de prendre le contrôle de SAS ?
Déjà un subit changement de stratégie. Nous n’y croyons pas, Ben Smith est un dirigeant avisé qui sait ce qu’il fait. Encore faut il qu’il soit encore là à ce moment. Mais le contexte économique peut changer, une nouvelle crise survenir…
Ensuite des questions de concurrence. Que se passe-t-il si Air France-KLM est choisie pour racheter TAP ? Si les autorités de la concurrence disent « oh non ça fait beaucoup c’est TAP ou SAS mais pas les deux » ou à des conditions inacceptables. On parie qu’Air France-KLM abandonnera SAS.
On pense même que la priorité du groupe est TAP et qu’ils ont juste mis une option sur SAS en attendant de voir comment allaient se passer leurs aventures portugaises. S’ils rachètent TAP ils verront bien ce qu’ils feront de SAS qui peut n’être qu’une variable d’ajustement dans des négociations avec l’UE. S’ils ratent TAP alors SAS redeviendra une priorité potentielle.
Mais ne nous trompons pas : SAS est une opportunité qui a été saisie, un second choix. C’est la privatisation de TAP qui décidera, à notre avis de beaucoup de choses.
Enfin, comme le dit le communiqué de presse, des questions de performance financière. Si SAS n’arrive pas à redevenir rentable et mener à bien son programme SAS Forward entre temps Air France-KLM pourrait effectivement dire « on ne va pas plus loin, débrouillez vous » quitte à perdre son argent, être dilué par de nouveaux investisseurs ou même revendre ses parts. Après tout c’est ce qui s’est passé avec Alitalia.
Air France-KLM réalise des bénéfices records. Soit. On attend les chiffres de 2023 mais si on prend 2022 les « bénéfices record » du groupe auraient été pratiquement effacés par les pertes de SAS. Si cela devait continuer on les voit pas racheter une compagnie qui perd systématiquement de l’argent depuis de longues années et n’a jamais réussi à se restructurer.
Mieux vaut perdre 145 millions de dollars une fois que 700 millions par ans pendant des années.
Encore une fois le message est clair : SAS doit réussir sa restructuration, redevenir profitable sinon Air France-KLM fermera le dossier, surtout en cas de rachat de TAP.
Alors que Lufthansa Groupe prend le risque d’assumer les pertes d’ITA en la rendant compétitive tout en ayant déboursé 325M d’euros pour 40% du capital, Air France-KLM lâche 145 millions pour 20%, laisse les Scandinaves se débrouiller avec leur transformation sans avoir grand chose à assumer et verra bien plus tard ce qu’ils font. Plutôt finement joué.
Quel futur pour SAS ?
Comme nous le disions en préambule entre le scénario du pire et du meilleur il y a toute une zone grise dans laquelle se trouvera sans doute la vérité.
Dans le meilleur des cas SAS fait partie d’un groupe composé d’Air France, KLM, Transavia, TAP et elle-même. Elle retrouvé de la profitabilité, la puissance du groupe l’aide à se développer et elle retrouve son lustre d’antan comme dans les années 80 où elle était une des meilleures compagnies du monde.
Dans le pire des cas Air France-KLM s’en sert pour alimenter ses hubs et, à la fin, soit s’en sert d’instrument de négociation avec les autorités de la concurrence et refuse d’en prendre le contrôle soit l’abandonne à son sort car sa restructuration à échoué. Elle tombera alors dans les mains d’un fonds d’investissement, d’une compagnie assez téméraire pour tenter de la redresser ou disparaitra.
Souvenez vous d’Alitalia. Bien qu’actionnaire, Air France-KLM n’en a pas pris le contrôle en raisons d’ingérences politiques certaines fois mais à d’autres moments également car elle doutait de sa fiabilité, a vu sa participation peu à peu diluée jusqu’au rachat par Etihad qui a fini par abandonner la compagnie jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
Conclusion
Le sort de SAS est loin d’être scellé, dans un sens comme dans l’autre. L’arrivée d’Air France-KLM dans son capital et le partenariat commercial qui s’en suivra devra lui permettre de se restructurer et redevenir profitable avant d’intégrer le giron du groupe franco-néerlandais.
Les plus optimistes verront AFKL comme le sauveur de SAS, les pessimistes comme son fossoyeur. La bonne nouvelle est que SAS a son avenir entre les mains : elle n’a qu’à redevenir rentable pour qu’un avenir peut être radieux l’attende. Sinon une issue à la Alitalia n’est pas exclue.
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