TAP mise en vente : encore un duel Air France-KLM – Lufthansa ?

Le gouvernement portugais a l’intention de privatiser TAP assez rapidement et une fois de plus, comme sur le dossier ITA, on va probablement assister à un affrontement entre Air France-KLM et Lufthansa.

TAP

Faisant face à d’importantes difficultés financières la compagnie portugaise a été nationalisée en 2020 pour lui permettre d’apurer ses comptes avant une revente future. Et déjà à l’époque on parlait de Lufthansa. Air France-KLM s’était également montrée intéressant mais les conditions d’octroi des aides COVID par les Etats, pour être validées par l’Europe, leur ont rapidement interdit d’investir dans une autre compagnie tant que ces aides ne sont pas remboursées.

C’est désormais le cas pour Lufthansa mais pas encore pour Air France bien que la compagnie s’active énergiquement sur le sujet.

Que dire de TAP ?

La compagnie est membre de Star Alliance et dispose d’un réseau qui, sur le long courrier est orienté vers le continent américain et l’Afrique.

D’un point de vue financier si elle a mis en œuvre un plan de restructuration elle continue encore à perdre de l’argent alors que la reprise a permis à bon nombre de compagnies de repasser dans le vert.

Elle dispose d’un hub à Lisbonne qui ne nous semble pas d’une efficacité à toute épreuve. Sa taille limitée entraine un multiplication des embarquements / débarquements par bus et la gestion des bagages y serait aléatoire.

Quant au niveau de service, si on se fie aux vols que nous avons fait sur TAP (et ceux dont les reviews ne sont pas encore publiées) notre avis est des plus nuancé :

A bord un service très correct en long courrier et bon en moyen courrier. Pour le moyen courrier on parle de la business class vu que l’economy est en « buy on board » et au niveau de la prestation on reconnait qu’il n’y a pas photo avec notre compagnie nationale

Pour le reste une compagnie opérationnellement dysfonctionnelle : du site web au service client en passant par la gestion des embarquements tout semble bricolé, tenir par des bouts le ficelle et organisé en dépit du bon sens. TAP est la première compagnie que nous envisageons de balacklister pour nos voyages chez Travelguys…c’est vous dire à quel point ils ont réussi à nous inquiéter.

Quel futur pour TAP ?

Si, au départ, le plan de restructuration devait s’achever en 2024 il semblerait que le gouvernement portugais ne soit pas contre l’idée de céder la moitié du capital dès début 2024.

Contrairement à la vente d’ITA qui a donné lieu à un appel d’offres, ici le gouvernement discuterait informellement avec les acteurs intéressés. A savoir Air France KLM et Lufthansa.

Lufthansa le partenaire historique

Si dans le dossier ITA le partenariat de longue date entre Air France-KLM et Alitalia, reconduit avec ITA faisait du groupe franco-néerlandais une solution a priori évidente, là c’est davantage du côté de Lufthansa que la balance pencherait.

Les deux compagnes n’ont jamais eu un partenariat aussi poussé que ce qui a pu exister entre Air France-KLM et Alitalia/ITA mais les deux sont membres de Star Alliance et pratiquent donc déjà le partage de codes.

Pour Lufthansa TAP représenterait ce qui lui manque et ce qu’elle a raté sur le dossier ITA : une présence dans le sud de l’Europe qui lui fait défaut tout autant qu’à Star Alliance.

Toujours à l’avantage du groupe Allemand son historique dans l’intégration et le redressement de compagnies en difficulté : Brussels Airlines, Swiss, Austrian pour ne ce citer qu’elles.

Autre chose qui peut être bien vu de la part des pouvoirs publics : Lufthansa a l’habitude de conserver et développer les hubs des compagnies qu’elle rachète alors qu’en Italie on craignait, en cas de rachat par Air France, que cette dernière ne fasse de Rome qu’un hub régional et s’en serve pour alimenter ses hubs long courrier à Amsterdam et surtout Paris au détriment du développement d’ITA sur le long courrier.

Enfin Lufthansa qui a remboursé ses aides COVID a les mains totalement libres, ce qui n’est pas le cas d’Air France-KLM.

Deux points noirs existent cependant.

Le premier est culturel. Nous n’avions pas vraiment évoqué ce point pour ITA mais il existait déjà. Lufthansa a réussi avec des compagnies germaniques ou proches, reste à voir si leur manière de faire est soluble dans une culture latine.

Le second est que Lufthansa, lorsqu’elle rachète une compagnie, désire avoir les mains libres et une gouvernance claire avec une présence la plus faible possible, voire nulle, des Etats. Rien ne dit que le gouvernement portugais désire sortir totalement de TAP même à moyen terme.

Air France- KLM le challenger

Faute d’historique avec TAP, Air France-KLM est clairement un outsider dans le dossier. En effet dans ce genre d’affaires il ne faut pas penser qu’en termes de compagnies mais d’alliances et de leur empreinte sur une géographie donnée.

Elle part a priori de plus loin mais on l’a vu dans le dossier ITA où elle s’était déclarée tardivement et présentait une offre moins aboutie au niveau industriel que Lufthansa elle avait fini par l’emporter pour ce que voyons comme des raisons politiques.

Comme pour Lufthansa le dossier TAP est important pour Air France et Skyteam en termes de présence dans la région. Iberia appartient à IAG et Air Europa, membre de Skyteam et partenaire d’Air France est elle aussi en train de passer, même si plus lentement que prévu, sous le pavillon IAG. TAP serait donc un excellent moyen de reprendre pied dans la région.

Avantage pour Air France-KLM : le dossier ITA a montré que le groupe n’était pas exigeant en termes de gouvernance et s’accommodait bien d’une présence étatique encombrante (il faut dire que c’est déjà son quotidien dans son propre actionnariat contrairement à Lufthansa et IAG). Si le groupe dit « oui » à à peu près toutes les demandes du gouvernement portugais quitte à rendre la compagnie ingouvernable et difficile à intégrer cela peut plaire au gouvernement par rapport à une opinion publique qui ne voudrait pas voir dépecer la compagnie. Mais les velléités nationalistes semblent beaucoup moins fortes au Portugal qu’en Italie.

Mais Air France-KLM a aussi des handicaps.

Le premier et non des moindres est que faute d’avoir remboursé ses dettes COVID elle ne peut prendre plus de 10% d’une autre compagnie. On peut se dire que ce problème n’existera plus en 2023 mais sait on jamais. Et dans ce cas il lui faudrait trouver un autre « véhicule », c’est à dire un partenaire financier qui porterait l’opération, le Groupe étant minoritaire dans le nouvel actionnariat.

Autre signe inquiétant : si on ne doute pas de la capacité d’Air France-KLM à s’accommoder d’une culture latine supérieure à celle de Lufthansa tout n’est pas rose de ce côté. Quand on voit les multiples heurts entre français et néerlandais qui ont émaillé l’histoire du groupe depuis sa création on peut se demander comment se passeraient les choses avec TAP, d’autant plus qu’avec ITA cela créerait un petit pôle latin au sein de l’entreprise. Peut être la nouvelle présidente de KLM est elle plus consensuelle que son précedesseur mais son opinion publique est vigilante.

Ajoutons, et cela peut peser, qu’Air France-KLM n’a jamais prouvé sa capacité à redresser et intégrer une compagnie. 20 ans après le rachat de KLM le mariage n’est toujours pas vraiment consommé et si les choses ont l’air d’avancer dans la bonne direction depuis l’arrivée de Ben Smith aux commandes on est loin des niveaux de synergie et d’intégration qu’on peut voir chez IAG ou Lufthansa Group.

Quant à redresser…Air France n’a encore jamais prouvé sa capacité à se réformer elle-même, alors le faire pour d’autres… Encore une fois cela semble changer depuis Ben Smith mais c’est neuf et fragile.

Dernière chose : on ne connait pas trop la stratégie d’Air France par rapport au Hub de Lisbonne. Veut elle déshabiller en partie le long courrier de TAP pour alimenter le sien ?

Les facteurs à prendre en compte

Du côté du vendeur on ne connait pas trop les attentes du gouvernement. Veut il tout vendre ? Continuer à peser ? Dans le seconde hypothèse cela mettrai Lufthansa hors jeu comme on l’a vu pour ITA quand bien même son offre était mieux disante. On ne sait même pas s’il tâte le terrain mais est prêt à attendre jusque 2024 ou s’il veut vraiment accélérer le processus

On a par contre eu la preuve, toujours sur ITA, qu’Air France-KLM est prête à beaucoup plus de concessions à tel point qu’on a eu l’impression qu’il n’y avait pas de stratégie autre qu' »empêcher Lufthansa de grandir, ensuite on verra bien ce qu’on fait de la compagnie ». Une absence de stratégie industrielle lisible qui inquiète à l’inverse de celle des allemands.

A l’inverse on ne voit pas Lufthansa se lancer dans un rachat à tout prix. Quitte à laisser Air France-KLM mettre la main à la fois sur ITA et TAP, LH Group aura les mains libres ou se retirera du dossier.

Ensuite il faut penser en termes d’alliances. Oui Air France-KLM et Lufthansa ont leurs stratégies propres mais celle qui « perd » TAP perd la péninsule. Moins grave pour Skyteam qui a tout de même ITA dans le bassin méditerrannéen mais Star Alliance, elle, serait totalement absente de la région. Cela peut motiver à faire quelques efforts.

TAP une belle mariée ?

Si l’héritage Alitalia nous fait craindre beaucoup sur l’effort à faire pour faire d’ITA une compagnie performante, TAP est au moins aussi inquiétante. Peut être moins compliquée politiquement mais pas du tout au point opérationnellement et avec des équipages qui nous donnent souvent l’impression d’avoir baissé les bras et subir leur sort en silence.

Quel que soit l’acheteur il aura du pain sur la planche et faire de TAP une compagnie performante et rentable demandera beaucoup de travail. Peut être trop pour Air France-KLM qui a déjà ITA sur les bras, peut être culturellement impossible pour Lufthansa en dépit de son savoir faire.

Peut on redresser à la fois ITA et TAP en même temps ? Cela nous semble compliqué, notamment pour Air France-KLM. Lufthansa et Star Alliance peuvent elles accepter de n’avoir aucune présence sur le bassin méditérrannéen ? On verra.

Et IAG ?

Nous n’avons pas parlé d’IAG mais il se dit qu’ils regarderaient le dossier de loin. Crédible ?

De notre point de vue et vu comme le dossier Air Europa traine ils ont d’autres choix à fouetter. Et voir 100% des compagnies de la péninsule ibérique aux main d’IAG (TAP, Iberia, Air Europa, Vueling…) risquerait de déplaire aux autorités de la concurrence.

A moins d’abandonner le rachat d’Air Europa ?

Mais qui sait.

Conclusion

Le gouvernement portugais envisage d’accélérer la privatisation de TAP et les deux candidats les plus crédibles sont Air France-KLM et Lufthansa.

Mais peu importe les avantages comparés de chacun, notre avis est que ce dossier finira comme celui d’ITA. Si le gouvernement fait un choix politique TAP finira chez Air France-KLM, si c’est un choix industriel et économique ce sera Lufthansa.

Point final.

Image : TAP Air Portugal de Route66 via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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