La consolidation du secteur aérien se poursuit en Europe avec la privatisation annoncée de TAP qui devrait devenir effective en 2024. Avec certainement une lutte acharnée entre Lufthansa Group, Air France-KLM et IAG pour emporter la mise.
Cela fait longtemps qu’on savait que le gouvernement portugais entendait privatiser TAP mais maintenant l’agenda devient plus clair. Selon le ministre des finances, « Le processus de privatisation prendra quelques mois et ne sera pas achevé avant 2023″. Cela reste vague mais prouve que le début est proche et que le processus est inéluctable, qu’il va commencer dans les mois à venir et se conclura l’an prochain.
Privatisation de TAP : les enjeux du gouvernement portugais
Le gouvernement portugais entend donc privatiser une compagnie qu’il n’a pas l’intention de renflouer éternellement après une histoire un peu tumultueuse mais pas autant que c’elle d’Alitalia.
La compagnie a été fondée en 1945, privatisée en 1953, renationalisée en 1975 suite à la révolution de 1974 et rentre en bourse en 1989. En 2000 le SAIRgroup (Swissair) prend 34% de son capital. Après la disparition de SAIRGroup elle se cherche désespérément d’autres partenaires et après quelques échecs c’est en 2015 qu’elle est rachetée par David Neeleman, déjà propriétaire de Morris Air, JetBlue Airways et Azul Brazilian Airlines. Cette nouvelle privatisation est bloquée par la justice mais le gouvernement passe outre. Mais mécontent de la gestion de la compagnie et en pleine crise du COVID, le gouvernement la renationalise en 2020 en attendant de lui trouver un partenaire plus fiable.
C’est donc sans surprise qu’on retrouve la compagnie sur le marché en 2023, une fois la crise finie et ses résultants s’améliorant.
Une situation toutefois pas florissante. Alors que la plupart des compagnies annoncent des résultats records, TAP ne fait que limiter les pertes avec 58 millions d’euros de pertes au premier trimestre 2023, soit deux fois moins qu’un an auparavant. La raison ? Certainement un peu sa gestion mais également sa taille qui est un facteur limitant en période de forte croissance. Ce qui ne fait que plaider pour la recherche d’un partenaire de taille suffisante.
Mais TAP n’est pas le seul sujet pour le gouvernement portugais qui craint de voir un éventuel acquéreur aspirer une partie du traffic du hub de la compagnie à Lisbonne pour alimenter ses propres hubs, avec les conséquences que l’on imagine sur l’économie et l’emploi.
Donc pour le gouvernement l’enjeu est double : donner un futur à la compagnie sans mettre en danger celui de l’aéroport.
Qu’à TAP à offrir à son acquéreur ?
Bien entendu la compagnie apporte des avions, une clientèle mais surtout un réseau ! Un réseau qui concerne principalement les Etats-Unis mais surtout l’Amérique du Sud et l’Afrique en raison de son histoire et du positionnement idéal de son hub de Lisbonne pour desservir ces destinations.
Mais il y a, justement, son hub et ce à double titre. Déjà en raison de sa localisation par rapport à certaine destinations, et ensuite simplement parce que pour certaines compagnies dont le hub atteint ses limites de capacité, trouver un nouveau hub est un relais de croissance vital.
Avec un bémol toutefois : Lisbonne est un aéroport également saturé mais également hautement inefficace. Un projet avait vu le jour pour agrandir l’aéroport actuel et en construire un nouveau, ce qui aurait été une véritable aubaine pour un éventuel acquéreur mais il a été enterré par le gouvernement en 2022.
Vu le traffic à Lisbonne on ne peut que penser que le sujet finira par revenir sur la table un jour ou l’autre et que le potentiel acquéreur a forcément cette donnée en tête, faisant ainsi un pari sur le futur.
Qui est intéressé par TAP ?
Sans surprise on assistera à une bagarre entre les trois leaders européens que sont Air France-KLM, IAG et Lufthansa Group. D’autres rumeurs courent mais on ne leur donne que peu de crédit.
La première serait un rachat par une low cost. Improbable, le gouvernement veut maintenir le statut de TAP et, surtout, la maintenir dans une alliance mondiale afin d’assurer son succès.
La seconde serait un marriage avec d’autres compagnies mal en point comme SAS ou Finnair. Là encore c’est improbable. Qu’une major rachète une ou deux de ces compagnies est une éventualité, un jour, mais que deux se marient reviendrait à croire qu’on crée une personne valide en mariant deux unijambistes. Ca ne ferait que repousser le problème à plus tard. Et pour des raisons économiques, culturelles et de zones d’influence, si quelque chose devait se passer dans les pays du nord on ne voit pas Lufthansa ne pas être impliquée sur ce territoire qui est un peu sa chasse gardée, d’autant plus que SAS est également membre de Star Alliance.
Donc revenons à nos usual suspects.
Air France-KLM
Le sujet TAP sera critique pour le groupe franco-néerlandais qui a vu ITA lui filer sous le nez au profit de Lufthansa. Elle a à la fois besoin de grandir en taille car elle pèse peu face à IAG (British Airways, Iberia, Aer Lingus, Level, Vueling et bientôt Air Europa) et Lufthansa Group (Lufthansa, Swiss, Austrian, Brussels Airlines, ITA, Eurowings) et a un besoin critique d’un nouveau hub vu ce qui se passe à Amsterdam.
Libérée des contraintes liées aux aides COVID qu’elle a remboursé elle à désormais les mains libres et est dans une dynamique post COVID très intéressante, le travail de Ben Smith portant ses fruits.
Son point faible ? TAP est un membre de Star Alliance, est est partenaire de Lufthansa depuis 20 ans. On sait le poids des alliances et de l’héritage dans ce genre d’opérations car le récent cas d’ITA n’est que l’exception qui confirme la règle : si Air France-KLM avait pu investir directement au lieu de se positionner en simple partenaire commercial elle aurait certainement emporté la mise.
Lufthansa Group
Le groupe allemand a montré sa capacité à redresser et restructurer des compagnies et, surtout, à bien les intégrer et développer des synergies entre les compagnies du groupe. De plus elle est un partenaire historique de TAP au sein de Star Alliance.
Elle a peut être moins besoin du hub de Lisbonne qu’Air France-KLM, ce qui pourrait jouer en faveur d’Air France-KLM mais dans le cas d’ITA elle a tout de même insisté sur sa volonté de développer le hub de Rome.
Mais justement il y a ITA. Lufthansa serait elle capable de gérer de front l’intégration de deux compagnies qui ne sont pas en grande forme, avec des cultures différentes de celle de ses acquisitions précédentes ? C’est une question que l’on peut poser. Notamment sur la dimension culturelle.
Ensuite vient la question financière. Lufthansa ne s’est pas endettée pour racheter ITA donc elle a encore de la marge de ce côté mais quand on voit comment les syndicats de personnels étaient inquiets de cette possibilité pour racheter un canard boiteux qui pénaliserait la performance du groupe on peut penser que la même question se posera pour TAP.
Mais préférera-t-elle passer son tour si les conditions de rachat devenaient compliquées, préférant garder son argent pour un opportunité future sur LOT ou SAS ? Possible.
Enfin vient la question de la concurrence, beaucoup s’inquiétant de voir LH Group devenir hégémonique. On n’y croit guère. Tant qu’il y a d’autres compagnies pour voyager dans, de ou vers le Portugal il n’y aura pas de problème. Il restera IAG, Air France-KLM et une multitude de low costs donc pas de soucis de de côté.
IAG
Si elle a dit regarder le sujet, l’envie d’IAG de mettre la main sur TAP a l’air moins évidente que celle de ses concurrents. Mais il est évident qu’elle regardera le dossier, ne serait-ce que pour ne pas laisser ses concurrentes y arriver sans efforts.
Racheter TAP permettrait de verrouiller la péninsule ibérique mais, justement, en a-t-elle besoin ? Avec des liaisons nombreuses entre l’Espagne où elle a Iberia, Vueling et Air Europa et le Portugal, TAP est moins vitale pour le groupe Anglo-Espagnol par rapport à son empreinte locale.
Et puis IAG c’est OneWorld et on croit vraiment au poids des alliances dans ce rapprochement.
Quant aux question de concurrence, le même raisonnement que pour Lufthansa Group prévaut.
Quel poids pour les alliances dans le rachat de TAP ?
On ne peut pas enfin ne pas regarder les enjeux de la privatisation de TAP en termes d’alliances, la stratégie d’une compagnie pouvant être conditionnée par les enjeux de l’alliance qu’elle représente. Le fait d’acheter ou non une compagnie a en effet un impact commercial potentiel pour toutes les autres.
En cas de rachat de TAP par Air France-KLM (Skyteam)
Si Air France-KLM a été distancée dans la course à la taille par ses concurrentes, on ne peut pas en dire mieux de la présence de Skyteam en Europe qui est faible, surtout dans les pays majeurs. Et avec le départ programmé d’ITA et Air Europa les choses ne vont pas s’arranger.
Un rachat de TAP par Air France-KLM permettrait d‘enrayer l’hémorragie. Pas moins mais surtout pas plus. Skyteam resterait une naine en Europe.
Par contre cela contribuerait à un certain équilibre autour de la Méditerranée, zone stratégique pour la clientèle loisir. L’Espagne pour OneWorld, l’Italie pour Star Alliance, le Portugal pour Skyteam. Même si Star Alliance a également la Grèce (Aegean)….
A l’inverse ne pas racheter TAP rayerait l’alliance de cette zone et quasiment de l’Europe hors France et Pays-Bas.
En cas de rachat de TAP par Lufthansa Group (Star Alliance)
Star Alliance consoliderait ainsi sa domination en Europe et aurait un présence intéressante sur les marchés loisirs avec le Portugal, l’Italie et la Grèce.
Ce serait un vrai coup dur pour ses deux concurrentes mais surtout pour Skyteam.
A l’inverse ne pas la racheter serait une perte mais pas un drame.
En cas de rachat de TAP par IAG (OneWorld)
OneWorld ferait une OPA sur la Péninsule Ibérique sans ce que cela n’améliore grand chose sur sa présence Européenne globale.
Elle volerait un membre à Star Alliance mais, encore une fois, elle fermerait surtout des débouché à Skyteam.
Notre pronostic
Il est toujours difficile de faire des pronostics sur ce tels sujets car au delà des logiques industrielles il y a des logiques politiques qui rentrent également en compte. Toutefois si nous devions nous livrer à un pronostic, nous pensons que cela se jouera entre Air France-KLM et Lufthansa et que cela sera très serré.
Mais à notre avis le sujet est plus vital pour le groupe Franco-Néerlandais que pour le groupe allemand et il sera prêt à aller beaucoup plus loin pour emporter la mise alors que LH Group ne fera rien de déraisonnable, conscient de sa large avance en Europe et préférant garder ses ressources pour d’autres acquisitions futures.
Mais si les choix industriels, le poids des alliances et le politique en décident autrement…
Conclusion
Le processus de privatisation de TAP commencera dans les mois à venir pour s’achever en 2024. Air France-KLM et Lufthansa on des atouts à faire valoir mais le dossier est beaucoup plus vital pour les premiers. A moins qu’IAG cache son jeu et ne crée la surprise.
Et vous ? Vous la sentez comment cette privatisation ? Dites le nous dans les commentaires.
Photo : A330Neo Air Portugal de Matheus Obst via Shuttertock