Qu’est-ce qui refera voler les gens dans les mois à venir ?

Le secteur du transport aérien commence à redécoller, très lentement mais sûrement. En France Orly réouvre ce matin et, de manière globale, à défaut d’augmenter leur service les compagnies planifient la lente remise en place de leur réseau.

Le redémarrage du secteur va dépendre logiquement de deux facteurs : l’offre et la demande. L’offre parce que la première contrainte est déjà d’avoir le droit de faire voler des avions entre deux pays ce qui reste une contrainte majeure et parce qu’il n’est pas possible de vendre des sièges qui n’existent pas. La demande, justement, parce qu’il ne va pas être possible de vendre des vols à des gens qui ne peuvent et veulent voyager.

Toute la complexité de l’exercice, et on en parlera longuement dans les semaines à venir, consistera donc pour les compagnies a proposer une offre suffisante pour trouver des clients sans qu’elle soit trop rare pour éviter que le yield management ne rende ses prix prohibitifs ni trop importante afin de rester rentables.

Nous allons donc aujourd’hui nous attacher à regarder la demande. Qui sont les gens qui vont reprendre l’avion dans les prochaines semaines ? Pourquoi ce choix ou un autre ? Quel est le profil de cette clientèle pour mieux essayer de la cibler en termes d’offres et de tarif ?

Nous avons donc réfléchi aux différents facteurs qui vont faire qu’une personne va reprendre ou non la voie des airs dans les prochaines semaines.

La nature du voyage : business, tourisme, VFR ?

Un individu a globalement trois raisons de voyager : le déplacement professionnel, le tourisme (l’important est la destination) et visiter des amis ou de la famille (VFR pour Visit Friends and Relatives).

Comme déjà expliqué dans cette vidéo, le voyage business a du plomb dans l’aile pour un temps encore. Pour motifs sanitaires, pour des raisons d’économies et parce qu’on appris que le télétravail pouvait remplacer certaines réunions jusqu’au jour où un logique effet de balancier apprendra qu’on ne peut pas tout faire sans contact humain, physique.

Malgré le fait que le gouvernement exhorte à rester en France cet été autant pour des motifs sanitaires qu’économiques des mois de confinement vont donner à un certain nombre de personnes l’envie d’aller prendre l’air loin et se changer les idées sans, bien sûr, qu’on atteigne des volumes « normaux ».

Facteur sous estimé, le VFR. Trop souvent quand on parle de voyage « non business » on entend tourisme alors qu’un grand nombre de personnes ne voyagent pas spécialement pour une destination mais pour voir des gens, leur famille. Dans une certaine mesure le voyage peut même être pour eux une contrainte dont ils se passeraient bien. Il y a également les enfants contraints de faire le yoyo entre deux parents parents séparés. Là encore l’effet confinement va jouer et l’envie de revoir les siens sera une motivation importante, peut être plus que le tourisme.

Notre pronostic : 10% business, 45% tourisme, 45% VFR.

La peur du virus

La communication gouvernementale finalement peu responsabilisante et très anxiogène a peut être porté ses fruits mais elle va laisser des traces. Que tout le monde soit précautionneux est logique mais cela confine aujourd’hui à un niveau de peur quasiment irrationnel pour beaucoup trop de monde.

Pour autant il est évident qu’une personne qui craint pour sa santé ne voyagera pas ou en tout cas pas à l’étranger. et comme nous l’évoquions dans une vidéo précédente, il ne faut pas espérer que les gens oublient leur peur tant que la COVID-19 sera dans les 3 ou 4 premiers sujets traités au journal télévisé.

Notre pronostic : 1 personne sur 2 y réfléchira a deux fois avant de réserver et 1 sur 4 aura trop peur pour le faire.

La contrainte économique

Les gens ont peur pour leur emploi et certains ont déjà laissé beaucoup de plumes lors du confinement. Mais même si, en face, les dépenses étaient logiquement en chute libre, l’impact du facteur économique sera majeur dans une population française chez qui le virus de l’épargne de précaution n’a jamais été enrayé voit sa propagation atteindre des sommets au moindre petit nuage.

Mais en face il y a d’autres réalités. Comme nous le verrons plus tard les compagnies vont jouer la carte des prix doux et on peut s’attendre à un effet d’aubaine qui va en motiver beaucoup. Reste à savoir quelle catégorie de voyageurs sera plus spécifiquement visée.

Et puis les vacances ça n’est pas que le transport, c’est aussi du logement et de la nourriture. La France est un pays très cher même (voire surtout) pour ses propres habitants pour un niveau de service en général très faible et surtout vers les zones côtières. Ca n’est pas pour rien que 50% des voyageurs aériens en France sont des CSP- et des inactifs pour qui des vacances en France sont un luxe inabordable. Mais pour ceux là on peut craindre que le choix ne soit pas avion ou pas ou France ou pas, ce sera vacances ou pas et ça sera en général « pas ».

Notre pronostic : des budgets vacance revus à la baisse dans un contexte d’incertitude, ce qui affectera toutes les formes de vacances et de mode de déplacement

La contrainte sanitaire à destination

Frontières fermées ou ouvertes, nécessité de produire tests et attestations, quarantaine obligatoire… c’est certainement le facteur qui comptera le plus car il s’impose à tous et personne ne peut s’y soustraire sauf exceptions rares et contraignantes.

Notre pronostic : 100% des passagers prendront ce facteur en compte, 75% adapteront leur destination aux contraintes, 25% refuseront de voyager faute de ne pas pouvoir aller là où ils avaient prévu.

La contrainte sanitaire en vol et en aéroport

La reprise des activités des compagnies aériennes s’accompagne d‘un lot de mesures de précaution sanitaires dont nous avons déjà parlé. Pour certaines personnes elles seront simplement inacceptables, pas par rapport à leur légitimité mais leur impact sur l’expérience de voyage.

Au delà des contrôles divers certaines personnes pour des raisons de confort ou des raisons de santé (difficultés respiratoires) ne supporteront pas de porter un masque sur un vol de 3h et a fortiori sur un long courrier de 10h ou plus.

Après reste à savoir comment ces contraintes seront vécues en fonction du profil de voyageur. Les « classes avant », surtout en long courrier, sont « distanciés » par définition et on pourra imaginer que dans les cabines proposant des suites individuelles le contrôle du port du masque sera plus léger, mais ce sont les passagers qui verront assez souvent leur expérience globale la plus dégradée, en tout cas proportionnellement au prix payé qu’ils ne jugeront peut être plus justifié.

Notre pronostic : 33% des passagers trouveront les contraintes trop gênantes.

La dégradation du service

Les contraintes sanitaires s’accompagnent d’une adaptation du service par les compagnies et parfois dans des proportions dramatiques comme nous l’avons vu dans le baromètre #DEGRAD19.

Entre la stricte adaptation aux mesures sanitaires et vrai cost-cutting emballé dans un discours sanitaire qui ne trompera que les plus crédules et en fonction des classes et de la durée du voyage la situation varie trop d’une compagnie à l’autre pour pouvoir généraliser et la situation s’appréciera au cas par cas.

Air France ne propose plus aucun service sur les vols de moins de 2h30 (contrairement à sa low cost Transavia), et bâcle 50% de sa prestation business sur le long courrier, pas de plat chaud sur KLM à moins de 9h de vol, Turkish Airlines dégrade son service de manière inacceptable et interdit les bagages cabines pendant que chez Qatar Airways, Lufthansa et Swiss presque rien ne change. On vous laisse regarder le prix du billet par rapport à « avant » et choisir en vôtre âme et consciente.

Notre pronostic : peu informée ou vigilante, la clientèle économique et loisir ne prendra pas ce facteur en compte et se plaindra a posteriori pendant que la clientèle premium sera beaucoup plus vigilante à un niveau de service en phase avec le prix payé. Pas de chance, c’est celle qui fait l’essentiel des marges d’une compagnie aérienne.

Pour vous aider :

La dégradation du service

Le nombre de passagers. Voyager en connaissance de cause et en assumant la part de risque oui. Embarquer toute sa famille même si a priori les enfants ne risquent pas grand chose ? Tout le monde n’osera pas, surtout avec les contraintes sanitaires et la dégradation du service qui sont deux raisons pour lesquelles les enfants trouveront le voyage encore plus contraignant que les adultes.. Et à cela s’ajoute le risque de se retrouver coincé à l’étranger en cas de 2e vague.

Et même à deux…il suffit que l’un et l’autre ne partagent pas la même notion du risque acceptable pour que les deux restent à la maison.

Notre pronostic : Beaucoup de solo travelers, un peu moins de couples et très peu de familles.

Le monde d’après

Nous sommes dans un nouveau monde et nos comportements changent. Ou c’est ce qu’on peut nous dire ou nous faire croire sous la forme d’une prophétie que d’aucuns espèrent auto-réalisatrice.

On lit tout et n’importe quoi en termes d’études et de sondages sur le sujet en fonction du commanditaire du sondage en question. D’autant plus qu’il ne faut pas confondre la réponse faite sous le choc du confirment et le comportement qu’on a 2 mois plus tard au moment de partir en vacances. Beaucoup de ceux qui rêvaient de prendre l’air pour se changer les idées auront changé d’avis (et pas forcément pour changer le monde) et, à l’inverse, la prise de conscience écologique et anticonsumériste de certains autres aura fondu comme neige au soleil.

Notre pronostic : impact très mineur.

Bien sûr pour une personne donnée tous ces facteurs s’appliquent en même temps, chacun a ses propres critères et les pondère à sa manière. Mais cela prouve que le sujet sera complexe a comprendre et analyser pour les compagnies qui devront toutefois adapter leur offre au mieux. Sans parler des passagers qui feront face à certains dilemmes.

Ces chiffres ne sont bien sûr que le fruit de notre propre réflexion et, sachant que faire des prédictions est compliqué, notamment lorsqu’elles concernent l’avenir, on laissera les chiffres officiels parler à la fin de la saison.

Et vous, vous faites quoi cet été ? Et pourquoi ? Dites le nous dans les commentaires.

Photo : Passager avec un masque à l’aéroport De Zephyr_p via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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