Annulations dues au COVID-19 et mesures commerciales. Quels choix pour les compagnies aériennes ?

Suite aux différentes mesures prises pour enrayer la propagation du COVID-19 les compagnies aériennes font face à une vague d’annulation jamais vue. D’abord cela a été du fait des clients qui avaient peur de voyager ou étaient « interdits » de certaines destinations puis de leur propre initiative au fur et à mesure que les frontières se fermaient et les interdictions de vol se multipliaient.

Une situation difficile pour le passager mais vite normalisée

Au départ les choses n’ont pas été simples pour les passagers car rien n’était prévu pour les dédommager en cas d’annulation « préventive » de leur part.

Nous avons nous même eu le cas chez TravelGuys avec un voyage prévu dans une destination qui a subitement fermé ses portes aux passagers français. Mais tant que la compagnie n’annulait pas nous avons décidé de ne pas annuler nos billets de notre chef et d’adopter la meilleure attitude possible : l’attentisme. Voyant la vitesse à laquelle tout se fermait on pensait ne pas avoir à attendre longtemps afin que nos vols s’annulent d’eux-mêmes et qu’on soit alors éligibles à une compensation. Ce qui est très vite arrivé.

Très rapidement les compagnies aériennes et les hôtels se sont mis à émettre des « waivers » à tour de bras, exonérant ainsi les passagers de devoir payer des pénalités pour annuler ou changer les dates de leurs voyages, peu importe les conditions de leurs billets. Ce qui nous fait effectivement dire que si certains passagers sont partis à une époque et se sont retrouvés coincés à l’étranger c’est qu’ils ont bien voulu partir.

Qu’est ce que les compagnies proposent aux passagers empêchés de voyager à cause du COVID-19 ?

C’est bien d’apprendre qu’on n’a pas « perdu » son vol mais encore faut il savoir ce qu’on a en contrepartie.

Pour le client qui a un billet flexible la question ne se pose même pas, il n’avait même pas besoin d’un geste des compagnies. Pour les autres le plus souvent ça a été :

  • Annulation sans frais
  • Report sans frais (jusqu’à une certaine date)
  • Emission d’un voucher (bon d’achat de la valeur du billet) à utiliser avant une certaine date.

Là deux choses comptent. Ce qui est écrit (« une certaine date ») et ce qui ne l’est pas (remboursement). Et on va commencer par ce second point : le remboursement ! Soyons clairs : personne ou presque ne le pratique, les seules compagnies, à ce jour, remboursant les billets de manière automatique étant Qatar Airways, American Airlines, Ryanair, Eva Air, China Eastern, China Southern, China Airlines, Finnair et quelques autres.

35 milliards de dollars de billets d’avion en l’air

Selon l’IATA (Association Internationale du Transport Aérien) c’est un montant de 35 milliards de dollars de billets qui ont été annulés et que les compagnies doivent rembourser à leurs clients. Je dis bien doivent : ça n’est pas une faculté, ça n’est pas un geste commercial, c’est une obligation dès lors que le client le demande. Mais voilà, aucune compagnie ne le fait.

La raison est simple : ça les mènerait tout droit à la faillite. Si on prend l’exemple de Lufthansa, la compagnie a 5 milliards d’euros de cash et devrait pour 4 milliards de billets d’avion. Le calcul est simple : si elle les rembourse elle est en faillite dans 2 mois. Il lui resterait bien 1 milliard après avoir remboursé mais ça ne sera pas assez pour faire face à ses autres échéances et ses frais fixes pendant tellement longtemps. Très peu de compagnies au monde ont assez de cash pour rembourser sans se mettre dans le rouge et même celles qui le peuvent (Lufthansa ? British Airways ? Delta ? ….) n’iraient pas tellement plus loin après.

Alors bien sur tout laisse à penser que les Etats vont aider il est plus raisonnable de penser que leur aide servira à compenser les frais fixes et le manque à gagner commercial et pas, en plus, le remboursement des billets non honorés, ce qui ferait monter la facture de manière déraisonnable.

Bref, les compagnies refusent de rembourser et émettent des vouchers, au grand dam des passagers qui pour certains préféraient qu’on leur rende leur argent. D’une certaine manière ils ont raison car ils sont dans leur bon droit mais d’un autre point de vue si on applique la loi à la lettre toutes les compagnies auront déposé le bilan d’ici le milieu de l’été voire avant. Alors une fois encore on peut dire que « les Etats n’ont qu’à payer » mais on peut également entendre qu’on préfère que les impôts servent à aider les compagnies, comme toute entreprise, à passer ce mauvais moment et pas rembourser des billets dont le montant n’est de toute manière pas perdu.

Une petite lumière pour de rares chanceux toutefois. Comme nous avons pu en faire l’expérience, Amex Travel, l’agence de voyage d’American Express rembourse sans problème ce qui a été réservé par son entremise et se débrouille ensuite avec les transporteurs. Mais rares sont les agences de voyage qui peuvent se le permettre. A côté de ça les titulaires d’une American Express Platinum (on dit bien Amex Platinum, pour l’Amex Air-France KLM Platinum on ne sait pas), tous les voyages annulés et payés avec la carte sont remboursés.

Le bon sens contre le rappel à la loi

Pour en revenir au débat remboursement vs. vouchers, même si le client grince des dents on peut penser que la politique du voucher relève du simple bon sens. Les mêmes qui aimeraient être remboursés n’aimeraient pas qu’on leur dise dans 6 mois qu’il n’est plus possible de se déplacer faute de compagnie survivante. Et on ne parle même pas de l’impact social et sur l’emploi. A titre d’information, au delà des compagnies aériennes, un aéroport comme Roissy c’est 100 000 emplois sans compter les emplois induits hors de la plateforme. On vous laisse faire les comptes au niveau mondial, sans même penser de toutes les professions qui vivent du tourisme à travers le monde. Une hécatombe.

D’ailleurs certains états soutiennent de manière plus ou moins officielle la position de leurs compagnies, comme c’est par exemple le cas de l’Allemagne avec Lufthansa en demandant un assouplissement provisoire, comme cela a été fait par exemple sur la règle qui amenait à faire voler des avions à vide pour garder ses slots.

Mais il n’en reste pas moins que la loi c’est la loi et que à la fois le DOT (Department of Transports) aux USA et la commissaire européenne aux transports Adina Vălean ont rappelé que les compagnies avaient l’obligation de rembourser les clients qui en faisaient la demande.

Un rappel logique aux textes tant que ces derniers n’auront pas été momentanément assouplis mais qui ne manquera pas de soulever les limites de la chose : si tout le monde demande à être remboursé il y a de fortes chances que beaucoup ne le soient pas faute de cash. Et si la compagnie tire le rideau les clients seront les derniers créanciers remboursés. Pas sûr qu’il y ait beaucoup de gagnants à ce petit jeu.

Si on prend pour acquis le principe du voucher, alors se pose comme je l’ai dit plus haut, une seconde question : pendant combien de temps peut on reporter son vol ou utiliser son voucher ?

L’expérience client avant tout : des vouchers utilisables loin dans le temps

En ces temps compliqués la dernière chose qu’une compagnie doit faire c’est mécontenter ses clients. Admettons qu’elle les ait déjà mécontentés une fois en refusant le remboursement, il faut éviter d’ajouter de l’huile sur le feu, autrement dit être restrictifs sur l’utilisation des vouchers ou le report des vols.

Oui on peut se dire « on a l’argent, s’ils volent c’est avec nous, s’ils ne volent pas c’est tant pis » mais c’est une vue court-termiste. Effectivement ils revoleront avec vous mais ça sera peut être la dernière.

Là deux écoles s’affrontent. D’un côté on a Delta ou United qui donnent deux ans aux voyageurs pour utiliser le voucher correspondant à leurs billets annulés. De l’autre on a par exemple Lufthansa qui impose de faire sa nouvelle réservation avant le 31 aout et de voler avant le 31 décembre 2020.

On note la position très « client friendly » d’Air France qui propose des vouchers valables un an et remboursables ensuite si la vol a été annulé par la compagnie et non remboursable s’il a été annulé par le passager. Un beau geste même si on trouve la politique globale de la compagnie un peu difficile à lire. Si on reporte le vol, en effet, on doit le reporter jusqu’au 30 novembre maximum sous réserve des sièges disponibles dans la même classe, après le 1/12 avec des suppléments éventuels….alors que si on demande le remboursement on a un voucher valable un an. Difficile à décrypter pour le passager lambda.

Les uns ont tout compris, les autres ont tout faux ? Pas aussi simple.

Il ne faut pas oublier l’impact des billets annulés sur les comptes

Un voucher c’est un peu comme les miles qu’on a grâce aux programmes de fidélité. C’est une dette de la compagnie à l’égard du client et elle va venir alourdir son bilan. Dans l’état actuel des choses c’est 35 milliards de dollars de dettes qui vont venir plomber les comptes des compagnies. Et les compagnies vont pratiquer comme avec les miles : inciter à les consommer vite ou les annuler pour améliorer leur bilan !

Si on voit les choses de ce point de vue la stratégie de Lufthansa est pleinement justifiée : on veut se débarrasser de ce poids au plus vite pour démarrer 2020 avec des comptes assainis.

Donc Delta et les autres qui adoptent la même position vont se trainer une dette qui mettra deux ans à se résorber, ce qui est beaucoup moins bon pour ses comptes ? Pas si sûr. Déjà on peut penser que les passagers vont utiliser leurs vouchers assez vite, enfin dès qu’ils le pourront. En effet pourquoi payer en cash un futur voyage alors qu’on a un crédit de disponible ? Et puis une telle pratique est meilleure pour le revenu !

Si tout le monde utilise ses avoirs chez Lufthansa d’ici la fin de l’année la compagnie risque de faire voyager beaucoup de personnes qui ont payé il y a longtemps et d’avoir moins de place à vendre pour des passagers qui réserveraient leurs billets après la crise mais apporteraient, eux, de l’argent frais. Bien sur il y a un pari que tout le monde n’utilisera pas ses vouchers et qu’ils seront perdus…mais tout de même. A l’inverse Delta en lissant la consommation des vouchers va également être en mesure de rentrer plus d’argent frais.

Et le client là dedans ? Suivant votre sensibilité vous direz qu’il est floué par une politique trop restrictive ou, à l’inverse, que vu la situation il faut d’abord penser à ce qu’il trouve des compagnies en état de voler à l’issu de la crise que d’avoir une créance sur une compagnie disparue ou en état de mort clinique.

Mais on peut également nuancer le propos.

• A notre point de vue, Lufthansa fait de la « realpolitik » avec un pragmatisme bien allemand. Aujourd’hui vu ce qu’on sait on a choisi le 31 décembre, rien n’empêche de repousser l’échéance en fonction de l’évolution de la situation. Mais derrière reste bien l’idée de liquider la dette au plus vite.

• Au delà de la politique commerciale cela traduit également une culture d’aversion à la dette et de finances « propres ».

• Et à la fin cela peut aussi s’expliquer par des stratégies de sortie de crise différentes. Là ou d’autres visent un retour à la normale, d’autres veulent nettoyer leurs comptes pour participer à la consolidation du secteur. Avec des finances très bien tenues jusqu’ici et en espérant que les aides d’état (dont bénéficieront toutes les compagnies ceci dit) lui permettent de gommer une partie de l’effet COVID-19, Lufthansa qui était à un moment en lice pour reprendre Alitalia (en voie de renationalisation -provisoire ? – depuis) et était le candidat tout désigné à la reprise de TAP peut espérer sortir en meilleur état que nombre de ses concurrents de la crise et mettre la main sur quelques acteurs qui seront sortis de l’épisode fragilisés.

Quelle est la meilleure stratégie ? Dans ce contexte bien incertain malin celui qui le sait et on peut parier qu’on ne le saura que quand on fera le bilan de tout cela, c’est à dire dans longtemps. Une chose est toutefois certaine c’est qu’avant d’en arriver là il faudra déjà passer la crise et que ceux qui y sont rentrés les plus forts partent déjà avec un avantage à moins que certains états ne viennent fausser la donne avec des aides qui ne couvriraient pas que l’épisode COVID-19 mais aplaniraient également les erreurs de gestion passées.

Photo : clients mécontents par Antonio Guillem via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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