Alors qu’Air France devait prendre 31% du capital de Virgin Atlantic dans les mois à venir en vertu d’un jeu à 3 bandes impliquant également Delta Airlines et China Easter, Richard Branson vient d’annoncer qu’il n’était finalement plus vendeur.
Pourquoi un tel revirement ? Quels sont les impacts pour Air France-KLM ?
Dans cet article :
- Histoire d’un mariage à 3 entre Virgin, Delta et Air France-KLM
- Branson veut rester majoritaire et dit non à Air France-KLM
- Les raisons d’une rétractation
- Une bonne nouvelle pour Air France-KLM
- Une rupture sur fond de Brexit
- Des raisons de grincer des dents chez Delta et China Eastern
- Air France-KLM reste maitre du jeu
Histoire d’un mariage à 3 entre Virgin, Delta et Air France-KLM
L’annonce originelle date en fait de 2017.
A cette époque Delta possède déjà 49% de Virgin Atlantic depuis 2012 et ne peut, légalement, accroitre sa présence au capital d’une compagnie Européenne.
Delta est également impliquée dans deux joint-ventures transatlantiques. La première avec Air France-KLM et Alitalia, la seconde avec Virgin Atlantic.
L’annonce faite en 2017 prévoit donc que :
- Air France-KLM va acheter 31% du capital de Virgin Atlantic
- Delta va prendre 10% du capital d’Air France-KLM dans le cadre d’une augmentation de capital.
- China Eastern va prendre 10% du du capital d’Air France-KLM dans le cadre de cette même augmentation de capital.
La prise de participation de Delta et China Eastern, toutes les deux partenaires d’Air France-KLM dans Skyteam permettait au groupe franco-néerlandais de se désendetter (selon ses propres dires), mais surtout de financer l’entrée au capital de Virgin, permettant à Delta d’en prendre indirectement le contrôle.
D’un point de vue opérationnel les deux joint-ventures devraient fusionner, des accords de codeshare mis en place entre Air France-KLM et Virgin Atlantic (pour Delta c’est déjà fait) et Virgin possiblement intégrer SkyTeam sans que cela soit un point majeur du dossier.
A ce jour Delta et China Eastern sont bien montées au capital d’Air France-KLM, les codeshares mis en place, les autorités de la concurrence ont approuvé le deal, et ces mêmes autorités ont approuvé il y a quelques semaines la fusion des joint-ventures pour donner naissance à une co-entreprise « détenant » 25% du trafic entre l’Europe et les Etats Unis.
Jusqu’ici tout allait bien.
Branson veut rester majoritaire et dit non à Air France-KLM
Coup de tonnerre la semaine dernière lorsque Richard Branson, le CEO de Virgin Atlantic dévoile sur son blog une lettre destinée à ses salariés dans laquelle il annonce ne plus vouloir céder 31% de Virgin Atlantic à Air France-KLM (dans le deal il perdait la majorité du capital mais gardait la présidence et Virgin Atlantic restait une compagnie Britannique) et donc vouloir rester majoritaire avec ses 51%.
Par contre cela ne remet en aucun cas la dimension commerciale du deal : joint-venture, codeshare et partage de revenu sont toujours et resteront à l’ordre du jour.
Un accord est en cours de négociation avec Air France-KLM qui devrait déboucher sur quelque chose de concret dans les prochaines semaines.
Les raisons d’une rétractation
La « petite » Virgin Atlantic fait face à une concurrence locale féroce depuis sa naissance à l’ombre de la grande British Airways. Elle a du se battre pour sa survie, combattre la fusion entre British Airways et American Airlines et trouver les partenaires lui permettant à la fois d’assurer sa survie et son indépendance. C’est tout le sens du deal de 2012 avec Delta qui lui donnait un partenariat avec une compagnie majeure tout en la laissant toujours maitresse chez elle.
Le deal avec Air France-KLM participait de la même logique mais peut être que le contexte d’incertitude qui prévalait à ce moment a convaincu Branson de céder la propriété de la compagnie. Le poids de Delta a sûrement compté sur le ton de « allons plus loin ensemble et si on ne peut le faire directement alors faisons le indirectement.
Et puis des choses ont changé :
- Virgin Atlantic a reçu ses premiers A350-1000, économiquement beaucoup plus efficaces que sa flotte actuelle.
- Virgin Atlantic a fait l’acquisition de Flybe qui va revoler sous le nom Virgin Connect.
- Avec l’extension enfin programmée de Heathrow, Virgin Atlantic compte mettre la main sur un nombre significatif de slots qui favoriseront son développement au départ du plus gros aéroport britannique.
- Et enfin….non on parlera de ce point plus tard.
Autant d’arguments qui ont pu faire dire à Branson que dans la mesure ou les partenariats commerciaux étaient en voie d’établissement il n’avait plus besoin de céder le capital de son entreprise.
Une bonne nouvelle pour Air France-KLM
Croyez le ou non mais parfois cela fait du bien de se faire plaquer quelques jours avant un mariage ! Car chez TravelGuys et même si Air France-KLM ne s’est pas encore prononcé sur la situation (même si elle a bien sûr été discutée en interne) on pense que c’est une bonne nouvelle.
Comme nous le disions à propos de la stratégie d’Air France et de l’attrition programmée de son moyen courrier, Air France-KLM a impérativement besoin de cash et donc d’améliorer sa rentabilité.
Si ce deal ne se faisait pas ce sont donc 258 millions d’euros qui resteraient dans les caisses de la compagnie et pourraient servir à acheter des appareils ou accélérer le nécessaire rajeunissement de cabines vieillissantes.
Et dans la mesure où les accords de codeshare ne sont pas remis en cause et que la joint-venture a reçu le blanc-seing des autorités antitrust quel besoin d’investir dans Virgin Atlantic ? Aucun. Autant, comme nous le disions investir dans la flotte, dans le produit ou se positionner sur un rachat qui aurait plus de sens comme Alitalia (bien que ça ne soit pas une bonne idée) ou Air Europa (si le rachat par IAG ne se faisait pas pour des motifs concurrentiels).
Une rupture sur fond de Brexit
Et c’est le point dont je ne vous ai parlé un peu plus haut : il ne faut pas oublier l’incertitude du Brexit qui pèse sur nos têtes et donc les conséquences sont toujours aussi incertaines.
Branson s’est il dit qu’en cas de hard Brexit les bénéfices seraient moins importants pour Virgin Atlantique ? Peut être.
Est-ce qu’Air France-KLM n’est finalement pas mécontente de ne pas rentrer dans une compagnie qui aurait conservé sa nationalité britannique avec tout ce que cela impliquerait en cas de Brexit sans accord ? C’est beaucoup plus certain et ce d’autant plus qu’une clause « Brexit » permettait au groupe franco-néerlandais de sortir de Virgin en cas de hard Brexit.
Des raisons de grincer des dents chez Delta et China Eastern
Pas sûr par contre qu’on voit la chose de la même manière chez Delta Airlines et China Eastern. Conformément à leurs engagements les deux compagnies ont en effet participé à l’augmentation de capital d’Air France-KLM
.
Alors bien sûr les deux compagnies de l’alliance Skyteam étaient certainement très heureuses d’aider leur alliée européenne à se désendetter.
Mais on peut sans crainte de se tromper penser qu’elles l’ont aussi fait pour sécuriser la prise de contrôle de Virgin Atlantic et pas pour aider Air France-KLM à renouveler sa flotte et ses cabines.
De plus on sait que Delta aime bien être dominante dans ses partenariats comme on le voit dans le dossier Alitalia, dans son discours critique à l’égard de Skyteam, voire sa prise de participation dans LATAM. Pas certain que d’avoir investi dans Air France-KLM dans le but de contrôler indirectement Virgin Atlantic et voir le plan tomber à l’eau fasse sourire Ed Bastian, le CEO de la compagnie américaine.
Air France-KLM reste maitre du jeu
Pour autant Air France-KLM reste maitre du jeu. Si un accord est en cours de négociation pour annuler l’accord précédent, si les compagnies n’arrivaient pas à trouver de terrain d’entente Air France-KLM est donc tout à fait en droit d’acheter 31% de Virgin Atlantic et Branson obligé de vendre.
En attendant certains s’interrogent sur le prix que Branson devra payer pour ce dédit. Si, comme nous l’avons évoqué plus haut tout le monde pense sortir gagnant de ce « non deal », il y a de fortes chances qu’il ne soit pas trop élevé.
Air France indique être au courant
Interrogés par TravelGuys mercredi 4 décembre au matin, Air France indique discuter « actuellement un accord selon lequel Air France-KLM ne prendra pas de participation dans Virgin Atlantic, sans impact sur la position d’Air France-KLM dans la coentreprise commerciale associant Delta Air Lines, Virgin Atlantic et Air France-KLM », impliquant que la franco-néerlandaise était impliquée dans le choix. Dont acte.
Photo : B747 Virgin Atlantic de EQRoy via Shutterstock