La Fédération européenne pour le transport et l’environnement, plus connue sous le nom T&E vient de publier un classement des meilleures compagnies ferroviaires en Europe, ce qui nous semble être une première bienvenue. Si certains éléments de ce classement ne nous surprennent pas il y a un certain nombre d’éléments intéressants à en tirer car ce classement n’est qu’un prétexte à dresser un état des lieus du paysage ferroviaire européen et émettre des recommandations pou améliorer les choses.
Pour information il s’agit d’une est une organisation européenne regroupant une cinquantaine d’organisations non gouvernementales ce qui est plutôt un gage d’indépendance par rapport aux classements de compagnies aériennes et notamment Skytrax où l’organisme qui évalue a également des intérêts commerciaux avec ceux qu’il évalue. Mais ça ne veut pas dire qu’elles n’ont pas leur propre agenda !
Par contre contrairement aux classements aériens nous n’avons pas la prétention d’avoir essayé toutes les compagnies ferroviaires en Europe mais nous avons au moins un avis sur celles que nous connaissons.
Concernant ce classement nous n’avons lu dans les médias que des reprises lapidaires de communiqués de presse sans aucune réflexion alors nous avons décidé de lire cette étude en détail.
Voici ce que nous en retirons.
Des critères d’évaluation insatisfaisant
Avant toute chose regardons les critères retenus. Ils sont au nombre de 8 : le prix du billet, la présence de réductions ou tarifs spéciaux, la fiabilité (ponctualité, annulations…), la facilité de réservation (date d’ouverture des ventes, politique d’annulation…), l’expérience voyageur (wagon restaurant, Wi-Fi, vitesse du trajet…), la politique de remboursement, l’existence de trains de nuit et la politique vélo (vélos autorisés à bord, places réservées…).
Ces critères sont pondérés comme suit :
Prix des billets (25 %), fiabilité (15 %), expérience de réservation (15 %), politiques de compensation (10 %), expérience des voyageurs (10 %), développement des trains de nuit (5 %), accessibilité pour les cyclistes (5 %), réductions tarifaires (15 %)
L’objectif de T&E étant d’améliorer la qualité de service afin que les compagnies arrivent à « nous faire préférer le train » on peut avoir des questionnements non seulement sur les critères mais également sur leur pondération.
Nous notons notamment le faible poids de l’expérience client qui est justement ce qui permet de justifier le prix. Selon les cas, en effet, le voyageur va considérer le prix en tant que tel pour payer le moins cher possible ou alors comparer les expériences à prix égal ce qui est notamment le cas dans le cas de lignes ouvertes à la concurrence ce qui est une situation encore trop minoritaire. Elle pèse moins que les politiques de compensation et à l’inverse le prix des billets et les réductions pèsent pour 40% en cumulé alors que cela devrait être un seul et unique critère. A moins que ce jeux des pondérations soit utilisé pour faire passager un message politique bien sûr…
A notre sens l’expérience client doit peser autant que le prix, pas plus mais pas moins. Bien sûr le prix est un facteur clé pour la plupart de voyageurs surtout en cas d’absence de concurrence qui les empêche de comparer plusieurs produits et d’ailleurs c’est ce qui fait l’avion est le moyen de transport favori des CSP- et des inactifs mais d’un autre côté il faut bien avoir en tête que le train pas cher est un non sens économique.
Ensuite pour parler d’expérience client le confort du siège et des voitures n’est pas pris en compte ce qui est un non sens total surtout à l’époque où on veut imposer le train sur des trajets longs ou de nuit.
Quelques idées de critères qui auraient pu être pris en compte :
• Espacement des sièges (pitch) et largeur : Les données sur la distance entre les sièges ou leur largeur pourraient être standardisées pour une évaluation plus précise.
• Inclinaison des sièges et repose-pieds : Ces éléments améliorent le confort, surtout sur les trajets longs.
• Espaces réservés aux passagers avec besoins spécifiques : Zones pour les personnes à mobilité réduite ou sièges adaptés.
• Éclairage et bruit à bord : La qualité des aménagements inclut aussi la gestion des nuisances sonores et l’ambiance lumineuse.
• Configuration cabine : configuration en 2-2 ou 1-1 (oui cela existe), cabine avec des sièges intégralement dans le sens de la marche (cela existe bien au Japon ou en Executive sur Trenitalia).
Parlons enfin de la restauration où le service à la place n’est pas du tout valorisé et qui ne pèse au final de 2,5% de la note finale. Là encore dans une logique de trajets que l’on veut de plus en plus longs ou pour justifier certains prix c’est largement discutable.
De manière générale nous sommes surpris du faible poids de l’expérience client dans une étude supposée classer les meilleures compagnies alors qu’au contraire elle devrait être centrale.
Il aurait peut être été utile également d’opérer une distinction selon les classes de voyage comme le fait Skytrax dans l’aérien. En effet en termes de produit, de contraintes, de services, le voyageur d’affaires a ses spécificités et « lui faire choisir le train » suppose d’utiliser des leviers différents. Comme l’aérien le transport ferroviaire n’adresse pas une clientèle monolithique et convenir au « passager moyen » n’a d’autre conséquence que de ne plaire à personne.
Et pour finir mettre dans un même classement des compagnies classiques et des low cost n’a pas trop de sens car elles n’ont pas la même promesse faite au marché.
Autre point qui aurait pu être étudié : tant qu’on parle des vélos autant parler des politiques animaux qui sont un vrai frein pour certaines personnes et familles notamment pour les vacances.
Regardons maintenant le classement
Notre sentiment de prime abord avant de rentrer dans les détails : même si les critères ne nous satisfont pas totalement le classement est en phase avec nos expériences, enfin pour les compagnies que nous connaissons.
Trenitalia que nous fréquentons assidument entre Paris et Lyon et dont j’ai pu tester les trains régionaux cet été mérite amplement sa première place et ce dans toutes les classes de voyage.
La SBB est sans surprise, en un mot « suisse ».
La SNCF a le classement qu’elle mérite. Reconnaissons l’amélioration du « hard product » qu’on parle des TGV ou même des trains régionaux. L’attitude du personnel de bord et son professionnalisme a également fait un bon en avant depuis une dizaine d’années. Mais l’offre de service ne cesse de se dégrader (d’ailleurs l’étude prend elle en compte la récente dégradation de l’offre de la voiture bar…quand il y en a une) et en terme de ponctualité et annulations (sans parler des grèves) la compagnie est en dessous de tout. Le tout pour un prix élevé mais qui ne nous choque pas pour les raisons évoquée plus haut mais qui impose toutefois d’être irréprochable.
En bas on retrouve Ouigo sans surprise mais cela correspond au positionnement low cost de la compagnie. Comparer Ouigo, SNCF, SBB, Deutsche Bahn et Trenitalia c’est comme comparer RyanAir à Swiss, Air France et Qatar Airways ça n’a pas trop de sens.
Quant à Eurostar son classement bien que compréhensible est surprenant car elle ne nous a jamais déçu. Mais il faut reconnaitre que ses prix sont, malgré un très bon service à bord, totalement ahurissants, notamment sur la ligne Paris-Londres sur laquelle il n’est pas rare qu’un billet d’avion en business class revienne moins cher qu’un billet standard en Eurostar. Quant à la fiabilité elle souffre de l’état général du réseau français mais en plus de la contrainte du tunnel sous la manche, toujours à destination de Londres, qui peut jouer comme un goulot d’étranglement au moindre problème.
On est toutefois surpris que Lyria ne soit mentionné nulle part.
Quelques enseignements
Deux choses ressortent de l’étude, l’une qui nous surprend, l’autre moins.
La première est que des tarifs élevés ne garantissent pas une meilleure qualité. Cela n’est aucune surprenant dans la mesure où la plupart des compagnies pratiquent le yield management comme dans l’aérien ! C’est la demande qui justifie le prix et pas la qualité de service à l’exception de produits très particuliers comme par exemple l’Executive Trenitalia et la Business Première de la SNF qui ont une logique de « flat fare » mais pour deux produits qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre (d’où l’importance de mieux valoriser l’expérience client en cas de concurrence).
La seconde qui nous surprend le plus est le manque de fiabilité globale des opérateurs. Seulement 44 % d’entre eux atteignent des taux de ponctualité supérieurs à 80 %. Le rapport souligne à juste titre que la cela reste un point faible pour de nombreuses compagnies.
Quelles recommandations pour améliorer le transport ferroviaire en Europe ?
Le rapport assez constructif propose donc des axes d’amélioration. Mais comme je le craignais, s’adressant aux pouvoirs publics, elles sont assez politisées et peu orientées client.
1°) Renforcement de la fiabilité
Cela passe par l’investissement dans les infrastructures ferroviaires, l’acquisition de matériel roulant moderne et la standardisation et la transparence des données (publier les taux de retards et d’annulations et harmoniser la définition de la ponctualité (tout le monde ne considère pas qu’un train est en retard selon les mêmes critère).
Rien de plus logique sauf que pour les deux premiers cela à un coût qui finira sur le prix du billet que d’un autre côté le rapport trouve trop haut. Sauf à faire financer le secteur par des secteurs concurrents ce qui est inadmissible en termes de concurrence !
2°) Amélioration de la qualité de service
L’expérience à bord pourrait être améliorée avec un Wi-Fi stable et des prises électriques pour chaque passager ainsi que des options de restauration variées, allant des snacks aux repas complets.
En 2024 c’est quand même dommage qu’on en soit là.
De nous nouveaux services pourraient être proposés comme le développement des trains de nuit, soutenus par des péages réduits et des incitations financières. On pourrait également faciliter le transport des vélos avec plus d’espaces dédiés et des politiques adaptées.
Pourquoi pas pour les vélos qui sont la mode du moment mais pour le reste on est au pays des bisounours : d’un côté on demande d’améliorer les infrastructures et de l’autre des péages réduits !
Enfin il suggère de permettre des modifications ou annulations sans frais jusqu’à 24 heures avant le départ.
Bien sur tuer le modèle commercial et le marketing des compagnies et réduire leurs revenus est le meilleur moyen de les inciter à développer des services.
3°) Diminution du prix des trajets
Le premier axe proposé est de réduire les coûts d’exploitation, par exemple en diminuant les péages ferroviaires, notamment pour les trains transfrontaliers et de nuit ou encore réduisant ou supprimant la TVA sur les billets de train, comme cela a été fait pour certains vols.
Bien sûr pour investir plus il faut gagner moins ! En effet moins de péages signifie moins de revenus pour l’amélioration des infrastructures. Par ailleurs (mais le sujet est tellement complexe qu’il mérite un article futur à lui seul) il faut tordre le cou au mythe de l’absence de TVA sur les billets. Tout d’abord parce que cela ne concerne que les vols internationaux ensuite parce qu’elle doit être perçue là où le service est délivré ce qui est compliqué quand un appareil traverse plusieurs espaces aériens. Par ailleurs le prix d’un billet est déjà composé de parfois 50% de taxes diverses...
D’autres pistes concernent l’introduction de réductions pour les familles, les jeunes et les voyageurs réguliers ou le lancement d’offres spéciales pour encourager l’utilisation des trains sur des périodes moins fréquentées.
La première partie de la proposition s’appelle le marketing et le programmes de fidélité et cela existe déjà, la seconde le yield et cela existe également mais dans ce cas il faut accepter de payer plus en périodes de pointe.
Un vrai catalogue de banalités qui comporte pour partie des choses existantes, pour d’autres des choses irréalistes mais qui reste dans la logique de « gagner moins pour investir plus ».
4°) Renforcement des droits des passagers
Le rapport suggère la mise en place de compensations généreuses et systématiques avec une indemnisation automatique pour les retards supérieurs à 15 minute et le remboursement total des billets en cas de retard de plus de 60 minutes.
Là par contre on va dans le bon sens. Sans dire que les seuils proposés sont les bons il serait bon que le ferroviaire se dote d’une réglementation telle que l’EU-261 dans l’aérien, domaine dans lequel le législateur n’a pas hésité à être contraignant avec les opérateurs alors qu’il faisait preuve d’une étrange bienveillance avec les acteurs ferroviaires.
5°) Encouragement de l’innovation et de la concurrence
Une première proposition est de faciliter l’accès aux plateformes de réservation en ouvrant la vente de billets à tous les acteurs sous des conditions équitables et permettant la réservation des billets au moins six mois à l’avance.
Là on est dans le domaine du bon sens et du réalisme. Pour le premier point cela existe dans l’aérien et il est injuste que les acteurs historiques dont la plateforme bénéficie d’un « effet réflexe » ne soient pas obligés de distribuer les billets de leur concurrents.
Pour prendre le cas de la France, SNCF Connect devrait vendre du Trenitalia et je devrais pouvoir acheter mon billet SNCF au même prix sur ce site ou sur Trainline, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais remarquez que dans l’aérien les compagnies ne donnent pas accès à tout leur inventaire à tous les distributeurs non plus.
Quand à vendre les billets 6 mois à l’avance cela pourrait faire baisser les prix mais je suppose que le ferroviaire comme l’aérien ont des logiques de saisonnalité et de programmes.
Une autre piste est de stimuler la concurrence. A priori nous nommes 100% favorables mais cela ne doit pas se faire n’importe comment. En Espagne par exemple cela a entrainé une baisse des prix mais au prix de la rentabilité des opérateurs qui y perdent de l’argent. A l’inverse au Royaume Uni cela a donné lieu à des monopoles régionaux qui ont fait monter les prix.
Conclusion
Un rapport intéressant car s’il attire l’oeil avec un classement qui plaira au public il nous dresse un état des lieux pas si élogieux du paysage ferroviaire européen.
On passeras sur les limites des critères utilisés pour se concentrer sur les solutions proposées. Bien entendu, réalisé par des ONG ce rapport est relativement politisé avec des propositions qui suivent une ligne directrice majeure : baisser les prix pour investir plus.
Soit on vit au pays de l’argent magique (et on sait bien que ça n’est pas le cas) soit c’est une démarche de lobbying pour aller trouver l’argent ailleurs et on sait où.
Peut être qu’un jour il faudra faire preuve de pédagogie et faire comprendre au grand public que le fait que par définition le train n’est pas cher est une illusion qui leur a été vendue par je ne sais qui qui mais ne correspond pas à la réalité économique du secteur.