Air France victime du terrorisme en col blanc !

Le parcours du combattant n’est pas fini pour Air France-KLM sur le long chemin qui mène à une recapitalisation rendue inéluctable par la crise sanitaire. Mais ça n’est qu’un long épisode de plus dans l’histoire d’une entreprise qui n’a que rarement eu son destin entre ses mains.

Si le terrorisme a toujours été une préoccupation dans le monde l’aérien, dans la cas d’Air France les terroristes ont souvent porté le costume cravate et agi depuis des bureaux.

Un bras de fer avec l’UE sur la recapitalisation

On s’en doutait dès la présentation du plan de sauvetage l’an dernier : il se serait pas suffisant et il faudrait aller jusqu’à une recapitalisation voire une renationalisation de la compagnie.

Mais l’Union Européenne veille au respect de la libre concurrence et ne l’entend pas de cette oreille. Toute aide de l’état est vue comme une entorse aux règles de la concurrence et nécessite, en contrepartie, une action en faveur de la concurrence. En l’occurence céder de précieux slots aux compagnies concurrentes.

Alors que bizarrement le premier plan n’avait pas entrainé de réactions de Bruxelles, contrairement à Lufthansa qui avait dû plier après une longue négociation. Mais là Air France n’y coupera pas.

Mais le contexte n’est pas le même et exiger d’Air France la même chose que Lufthansa c’est méconnaitre le fait que la compagnie allemande est quasi hégémonique à Francfort et Munich, ce qui n’est pas le cas d’Air France à Roissy et Orly.

A ce jour Bruxelles semble d’accord pour revoir ses exigences à la baisse mais Air France devra visiblement tout de même s’affaiblir sur Orly uniquement, ce qui lui porte un second coup dur après l’abandon de certaines lignes intérieures pour motifs écologiques.

Mais le chemin de croix ne s’arrêtera pas là : une partie de la bataille se joue également aux Pays-Bas !

Une histoire d’amour-haine avec les Pays-Bas et KLM

On ne parle ici que de la part de la recapitalisation incombant à l’état Français car s’agissant du groupe Air France-KLM les Pays-Bas doivent également faire leur partie du travail !

La question des slots de KLM à Schiphol fera bien sûr partie de la négociation mais il y a autre chose : le gouvernement néerlandais n’entend pas participer à la recapitalisation du groupe Air France-KLM (puis dans un second temps à une augmentation de capital) mais à celle de la seule KLM. Rappelons que dans le premier plan de sauvetage si la France avait aidé et Air France- KLM et Air France, les Pays-Bas n’avaient aidé que KLM. Et pour faire bonne mesure ajoutons que KLM a toujours refusé le « cash pooling » qui permet une fusion de la trésorerie des différentes entreprises du groupe, ce qui signifie que depuis les premiers jours du groupe Air France-KLM l’argent de KLM reste chez KLM. Un comportement qui n’est pas sans rappeler celui des britanniques dans l’UE, « ni dedans ni dehors »…et on sait comment l’histoire s’est terminée.

Un sujet suffisamment sensible pour que la question des modalités de participation des Pays-Bas à la recapitalisation ait été remis au lendemain des élections viennent de se tenir. Quelques mois de négociations ont donc été perdus.

Mais quelle que soit l’issue des discussions (et il est d’ailleurs probable que les Pays-Bas continuent à faire cavalier seul) il faudra un jour que soit posée la question de la gouvernance du groupe avec un mariage qui a connu plus de coups bas et de coups de canifs qu’il n’a été réellement consommé. Un jour l’histoire de ce mariage fera d’ailleurs l’objet d’un dossier complet.

Et puis tout ne sera pas réglé pour autant : si le capital doit être augmenté dans un second temps il faudra voir comment les autres actionnaires se comporteront !

Air France-KLM a donc fort à faire à batailler à l’extérieur contre l’UE mais aussi en son sein sur fonds de désaccord entre français et bataves. Mais si ça n’était que cela !

Du capitalisme d’Etat au Green washing

En 2019 nous nous interrogions sur le rôle d’un Etat au capital d’une compagnie aérienne. Si sa présence est explicable historiquement il n’est pas interdit de questionner sa pertinence en 2021 !

Disons le une fois pour toutes : une entreprise et un état n’ont pas les mêmes objectifs et le fait que le second participe au capital de la première peut avoir différentes causes comme aider un secteur à se développer, s’en servir comme d’un outil de souveraineté, ou comme d’un porte étendard de sa vision de la société.

Si sans les états le transport aérien n’aurait pu naitre et se développer comme il l’a fait nous ne sommes plus en 1930 ou en 1950. Pour ce qui est de la souveraineté la réponse est la même : il n’y a pas besoin d’avoir l’état au capital de la compagnie pour placer Paris sur la carte du monde et des échanges internationaux. Et pour le coté porte étendard il a souvent mené à mettre Air France dans les mains de technocrates issus des grands corps de l’état qui ne connaissaient rien au secteur et de soumettre beaucoup de décisions stratégiques au bon vouloir de Bercy, de Matignon ou de l’Elysée dont les intérêts électoraux n’ont jamais coïncidé avec les intérêts économiques d’Air France.

Mais au moins l’Etat Actionnaire a sauvé Air France de la faillite à plusieurs reprises et notamment lors de la crise sanitaire non ? A peine.

Il est souvent venu au secours d’une mauvaise gestion à laquelle il n’est pas étranger et pour ce qui est de la crise on rappellera que Lufthansa et IAG (British Airways, Iberia…) ont été sauvés alors que les deux groupes étaient totalement privés ! Oui, les deux plus gros transporteurs européens font leur vie sans que leurs état respectifs ne siègent à la conseil d’administration ni n’aient de mot à dire sur leur stratégie. Impensable chez nous mais bien réel ailleurs.

Historiquement et jusqu’à l’arrivée d’un Ben Smith dont on se demande ce qu’il est venu faire dans cette galère, et d’une équipe de management faite de professionnels de l’aérien, Air France a été historiquement mal pilotée, mal gérée et mal managée. Quand on voit le nombre de personnes brillantes qui ont quitté Air France pour aller briller à la concurrence où ils avaient enfin un vrai impact il y a vraiment de quoi s’interroger.

Elle a servi à recaser beaucoup de monde, a valorisé la dimension technocratique au détriment des compétences business, et a passé son temps à acheter la paix sociale au détriment de sa compétitivité future.

On n’a pas créé des Etats pour créer de la valeur et de l’emploi ni des entreprises pour faire de la politique. C’est tout le malheur d’Air France et d’autres entreprises que l’Etat regarde d’un peu trop près : le mélange des genres ne mène à rien de bon.

En pleine négociation avec l’Etat allemand pour le sauvetage de Lufthansa, son CEO Carsten Spohr ne disait il pas :

« Lufthansa a connu les trois meilleures années de son histoire d’entreprise. Si elle veut réussir à l’avenir, elle doit continuer de pouvoir façonner son sort de manière entrepreneuriale« 

et

“Le conseil d’administration de la Deutsche Lufthansa AG poursuit les négociations dans le but d’assurer la viabilité future de l’entreprise au profit de ses clients et de ses employés”

Au final, mais on en reparlera plus loin, Lufthansa s’en est sortie sans trop de contreparties et surtout sans donner à l’état le pouvoir de peser sur sa destinée malgré une entrée au capital. Une entrée, soit, mais une entrée passive.

Ben Smith aurait-il aimé dire la même chose et renvoyer l’Etat dans ses cordes ? Certainement. En avait il les moyens ? Non. Il a trouvé à son arrivée une compagnie trop faible et trop mal en point pour pouvoir faire le fanfaron et négocier une aide a minima en menaçant de se mettre sous la protection du régime des faillites pour se restructurer à l’abris de ses créanciers sans aide de l’Etat comme a pu le faire son homologue allemand.

Car non content d’avoir trouvé une compagnie affaiblie par une gestion et un management aux ordres de l’Etat il a également dû composer avec un ministre de l’économie qui lui a planté un couteau dans le dos pour s’acheter une conscience verte, une nouvelle ministre de l’écologie dont la myopie inquiétante quant aux vrais responsables du dérèglement climatique n’a d’égal que sa volonté de laisser une trace et un ministre des transports supposé proche du secteur qui a disparu des débats du printemps à l’automne pour ne donner signe de vie que quand le mal était fait.

Le sort d’Air France s’est joué dans des bureaux, mais pas les siens

Qu’une compagnie périclite à cause de sa mauvaise gestion est une chose, qu’elle le fasse à cause de la gestion des autres en est une autre.

Depuis sa privatisation le sort d’Air France s’est joué dans des bureaux qui ne sont pas les siens, ce qui se passe chez elle n’étant alors que la conséquence du reste.

Comme un avion détourné par des terroristes en col blanc qui utilisent un GPS qui n’est pas celui d’une entreprise privée bien gérée.

En attendant, puisqu’on parlait de Lufthansa…la compagnie allemande n’a pas besoin d’un « second round » et a commencé à rembourser les aides perçues pour se débarrasser de la présence provisoire de l’Etat dans son actionnariat. Et comment ? En se finançant auprès des marchés comme l’ont fait d’autres pendant la crise, une option visiblement inenvisageable chez Air France-KLM. Parce que l’entreprise n’inspire pas assez confiance suite à sa gestion passée ou par dogmatisme ?

En tout cas même s’ils sont désarmés, sans droit de vote, on ne décolle pas avec des terroristes économiques à bord.

Image : A380 Air France de meunierd via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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