Recapitalisation d’Air France : une nécessité et des écueils

La semaine dernière, Anne Rigail, Directrice Générale d’Air France a reconnu au micro d’Europe 1 qu’il allait falloir recapitaliser l’entreprise devenue trop fragile suite à la crise du COVID 19. Une annonce logique qu’on attendait et qui ne dit rien qu’on ne sache pas sur la santé financière de l’entreprise mais qui n’est pas sans poser quelques questions.

Pourquoi faut il recapitaliser Air France ?

Il y a plusieurs raisons qui peuvent faire qu’une entreprise doive se recapitaliser (autrement dit augmenter son capital). Au nombre d’entre elles le fait que les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du montant du capital social (sans recapitalisation la faillite est inéluctable) ou alors pour rembourser des emprunts lorsque le poids de la dette devient insoutenable.

Dans le cas d’Air France on peut imaginer que ces critère sont sinon tous les deux atteints ou le seront inéluctablement dans un avenir proche.

Cela n’est en rien une surprise et ne constitue pas une découverte quant à la santé de l’entreprise : avec l’impact de la crise du COVID et, en plus, un second confinement qui vient de démarrer, la question n’était pas de savoir s’il allait falloir recapitaliser mais quand.

Comme nous le disions dès l’annonce du plan de sauvetage d’Air France, le remboursement des prêts consentis par l’Etat à la compagnie n’était déjà pas soutenable au regard de ses finances quand le marché était en pleine croissance, il n’y avait donc aucune chance qu’il le soit dans un marché en crise durable.

Mais la situation n’est pas propre à Air France : vous verrez prochainement la plupart si ça n’est toutes les majors faire face au même sujet, à part Alitalia (enfin ITA…) qui s’est refait une virginité financière pendant l’été.

Donc il va falloir de l’argent frais pour Air France. Reste à savoir venant de qui et comment.

L’Etat, sauveteur tout désigné pour Air France sauf que…

A la question « comment allez vous procéder ? », Anne Rigail reste évasive même si la réponse est au final d’une rare évidence.

« Quant à savoir d’où proviendra cet argent, Anne Rigail reste floue, mais l’État français est un « actionnaire de référence de la compagnie«  et détient 14,2% du capital d’Air France« 

Cela semble évident et coule de source mais ça n’est pas si simple.

Anne Rigail a raison de mentionner que l’Etat est un « actionnaire de référence » mais elle se prend les pieds dans le tapis en ajoutant « de la compagnie ». Et Europe 1 en fait de même en précisant que l’Etat détient 14,2% du capital d’Air France.

…L’Etat n’est pas actionnaire d’Air France…

L’Etat ne détient pas un centime du capital d’Air France, la compagnie étant une filiale à 100% du Groupe Air France-KLM.

Répartition du capital d’Air France KLM au 26/03/2020 – Source Air France KLM

Si Air France veut se recapitaliser elle peut émettre de nouvelles actions auquel cas son seul actionnaire actuel y souscrive pour rester actionnaire à 100%. Ca n’est que si Air France KLM décide de ne pas souscrire à tout ou partie des actions qu’un autre actionnaire qui peut être l’Etat ou tout autre investisseur, pourrait rentrer au capital de la compagnie.

Une autre stratégie, si Air France ne rembourse pas ses prêts serait de les convertir en capital ! Mais là ce seraient les banques prêteuses qui se retrouveraient au capital de la compagnie (ce dont à notre avis elles n’ont aucune envie), pas l’Etat. A moins que par un tour de passe-passe l’Etat garant paie les banques, se substitue à elles, devient créancier de la compagnie et monte ainsi au capital d’Air France… possible mais tordu pour les raisons que nous allons vous expliquer.

Nous ne croyons pas à l’arrivée d’un nouvel actionnaire au capital d’Air France, qu’il s’agisse de l’Etat ou de qui que ce soit d’autre. Cela compliquerait la gouvernance du groupe qui souffre déjà assez des querelles d’actionnaires à son propre niveau entre les Etats Français et Néerlandais pour permettre qu’une gabegie similaire se passe au niveau d’une de ses filiales. L’Etat est un actionnaire utile en cas de crise mais un piètre stratège voire un boulet dès lors qu’il faut penser comme un entrepreneur. Et puis cela ouvrirait, pourquoi pas, la porte à une arrivée de l’Etat Néerlandais au capital de KLM et là le navire deviendrait impilotable, navigant de crise de gouvernance en crise de gouvernance.

Donc Air France va augmenter son capital et c’est le Groupe Air France KLM qui va apporter les liquidités nécessaire. Mais avec quel argent ?

C’est Air France-KLM qu’il faut recapitaliser, pas Air France

Air France-KLM va donc recapitaliser Air France, à condition d’en avoir les moyens. Sa santé financière n’étant autre que la somme des santés financières de ses filiales, il ne faut pas s’attendre à des miracles (et ce d’autant plus que si KLM générait des bénéfices – ce qui n’est pas cas dans la crise actuel – les bataves ayant obtenus de ne pas partager les bénéfices – cash pooling – ils garderaient leurs cash pour eux).

Bref Air France-KLM va devoir se recapitaliser pour recapitaliser Air France (et sûrement demain KLM). Et là le mécanisme est le même que pour Air France sauf qu’il va falloir jouer avec différents interlocuteurs que sont, entre autres, les Etats Français et Néearlandais, Delta Airlines et China Eastern (mis à part que la France peut voir son prêt d’actionnaire converti en capital mais ça ne sera sûrement pas assez et créera un déséquilibre avec les Pays-Bas).

Si tout le monde met la pain au portefeuille pour accompagner l’augmentation de capital tout va bien. Mais dans le cas contraire c’est l’équilibre des pouvoirs au sein du groupe qui serait bouleversé. Ce qui amène à e poser plusieurs questions

1°) Les Etats Français et Néerlandais accepteraient ils de ne plus être à parité ?

Si non l’un des deux qui ne voudrait pas suivre l’augmentation de capital pourrait il faire en sort de la bloquer pour ne pas se retrouver en infériorité par rapport à l’autre ? On sait en effet que les Pays-Bas veulent désormais peser autant que la France qu’il ne considèrent pas comme un actionnaire « fiable ». On peut imaginer que comme pour le plan de sauvetage de KLM, l’Etat néerlandais préfère aider sa compagnie plutôt que le groupe et préfère monter au capital de KLM que participer à une recapitalisation du groupe. En étant vicieux cela pourrait même préparer une sortie de KLM du groupe aussi hasardeuse soit elle.

Pour ce qui est de la participation que l’on pense inévitable de la France à la recapitalisation elle serait toutefois cocasse. Quand on sait à quel point l‘Etat et ses considération écologiques (entre autres) sont un handicap pour le redressement d’Air France, que ce faisant il a l’allure d’un pompier pyromane, il serait drôle de voir comment il va justifier un investissement dans une entreprise qu’il tue à petit feu par ailleurs.

Donc on peut avoir différents scénarios selon que les deux Etats suivent à proportion égale, que l’un laisse l’autre suivre et se retrouve dilué mais en échange monte au capital de sa propre compagnie nationale, ou que les bisbilles entre Etats ruinent l’opération.

2°) Que vont en penser Delta et China Eastern ?

Le président de Delta ne cesse de rappeler que lorsqu’il investit dans une compagnie c’est pour avoir un impact sur sa stratégie, comme on l’a vu dans le dossier Alitalia. D’autant plus que l’ambition de la compagnie de devenir la pierre angulaire d’un réseau de transporteurs hors alliances a été clairement affichée et on ne pense pas que le COVID la remette en cause, bien au contraire.

Mais pour y arriver il faut peser et donc ne pas être dilué.

Delta a-t-elle aujourd’hui les moyens de suivre une augmentation de capital ? Difficile à dire. Supporterait elle d’être diluée au profit d’un ou deux actionnaires publics ? Cela dépend dans quelles proportions mais on a du mal d’y croire. Cela la pousserait-elle a sortir du capital d’Air France-KLM faute de pouvoir peser sur sa stratégie ? A terme pourquoi pas, ce qui ne sera pas sans poser de nouveaux problèmes.

Existe-t-il une autre voie ?

Bien sûr qu’Air France-KLM dispose d’autres levier que ses actionnaires historiques pour se recapitaliser mais cela semble compliqué.

Comme Singapour ou la Norvège la France peut faire appel à son fond souverain….sauf qu’à côté des exemples cités la BPI est un peu trop connotée « Etat » et en termes d’envergure ne jour pas dans la même cour.

S’ouvrir à d’autres fonds ? Vu l’Etat des finances ce serait ouvrir la porte à des fonds vautours ou activistes qui auraient des exigences peu en phase avec celles des Etats Actionnaires.

Lever de l’argent en bourse ? Très risqué et aléatoire.

Alors oui, Air France sera sauvée directement ou indirectement et ce sera probablement par l’Etat. Mais ça sera tout sauf un long fleuve tranquille.

Photo : siège Air France de multitel via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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