Environnement et honte de prendre l’avion (flygskam): des français sensibilisés mais submergés d’idées reçues

Une récente étude de la Chaire Pégase que vous pouvez vous procurer ici montre que si les français ont bien intégrés la réalité des menaces qui pèsent sur l’environnement, ils ont bien du mal de séparer le bon grain de l’ivraie lorsqu’ils pointent ceux qu’ils pensent en être responsable.

Il faut dire que Greta Thunberg et son Flygskam (honte de prendre l’avion) s’ils ont participé à éveiller les consciences ont aussi contribué à un abaissement du seuil de discernement et la disparition d’une forme d’esprit critique sur le sujet qui peut mener les actions des individus comme des industriels dans la mauvaise direction.

Nous avons trouvé cette étude particulièrement intéressante et avons décidé de largement la commenter ici. En effet vu ce qu’elle nous apprend il serait dommage que son message ne soit pas plus largement diffusé simplement parce que la lecture d’un document un peu technique (lecture que nous recommandons) rebute le grand public.

Le Flygskam, un intérêt mondial pour un impact localisé

Si l’on part de l’analyse de la caisse de résonance que constitue Twitter depuis 2011 jusqu’à aujourd’hui le sujet de la honte de prendre l’avion a petitement démarré principalement en relayant des articles de presse et des études sur le sujet avant des célébrités (chercheurs, société civile…) ne se l’approprient pour lui donner une envergure toute autre. Par contre, de manière surprenante on se rend compte que le sujet est aujourd’hui en déclin, pour ce qui est la plateforme sociale en tout cas.

Ca c’est pour ce qui est de ceux qui en parlent. Quid de ceux qui s’y intéressent et veulent se documenter. De manière générale on suit la même tendance avec une baisse des requêtes google à partir de l’automne dernier.

Pour finir la presse nationale, dans ses publications s’inscrit dans la même tendance sans qu’on sache trop ce qui conditionne quoi.

Même s’il est limité à quelques pays industrialisés (Suède, Etats-Unis, France…) le Flygskam a eu des vertus que l’on pourrait qualifier sinon d’éducatives en tout cas sensibilisatrices. On note dans certains pays une diminution des vols domestiques (les plus facilement remplaçables) en Suède et en Allemagne. Mais il n’en est rien ailleurs, en France par exemple comme le montre l’étude.

De manière générale, et on trouve que c’est une bonne chose chez TravelGuys, le sujet de l’environnement et de l’impact de certaines industries dessus comme l’aérien dans ce cas est un phénomène quasi global mais qui n’a finalement d’effets, dans le cas qui nous intéresse ici que dans certaines géographies.

La réalité sur l’impact de l’aérien sur l’environnement

Oui le transport aérien a un impact sur l’environnement, comme toute industrie et le nier serait une erreur monumentale. Mais l’étude essaie de le mettre en perspective d’autres industries et essaie de voir si le secteur essaie de contribuer à diminuer son impact dans des proportions cohérentes avec son empreinte environnementale.

Selon les recherches sur lesquelles on s’appuie son impact sur la production de CO2 est de l’ordre de 3 à 6%. C’est peu nous direz vous, mais on vous incite à vous demander ce que représente 3 à 6% sur votre prêt immobilier ou votre prochaine augmentation et vous prendrez la chose peut-être plus au sérieux.

Mais à titre de comparaison l’impact des activités liées à internet est de 4% et pourrait atteindre 8% en 2025. C’est une chose qui se sait mais qu’on aime passer sous silence pour des raisons qu’on peut imaginer. Mais, chose beaucoup moins connue, la contribution de l’industrie du textile et de l’habillement est elle de 10% ! Et là ça fait un peu plus frémir.

Voilà pour ce qui est de la photographie. Mais l’activité économique comme le changement climatique sont des dynamiques en mouvement donc ce qui importe est leur évolution.

De ce point de vue le rapport montre que le secteur de l’aérien est un malade conscient de sa situation et qui a commencé à se soigner depuis longtemps. Aujourd’hui les émissions du secteur augmentent moins vite que le trafic ne croit, ce qui est une bonne nouvelle même si on aimerait les voir décroitre. A titre de comparaison, en 19 ans elles n’ont cru « que » de 21% alors que le trafic croissait de 69%.

Les constructeurs travaillent d’arrache pied sur le sujet mais la vitesse de renouvellement des flottes (la durée de vie moyenne d’un avion est de 25 ans) fait que selon l’expression consacrée « il faut du temps pour que les choses arrivent rapidement ». Nous avons de la chance, nous sommes dans une période de renouvellement massif des flottes avec, de plus, l’extinction programmées des quadriréacteurs comme le B747 ou l’A380. Aujourd’hui on est sur des consommations de 2,7 l/100km par passager sur du long courrier et 2,2 sur du moyen courrier. Meilleurs moteurs, matériaux plus légers, les leviers d’amélioration sont nombreux. Par contre pour ce qui est du 100% électrique il faudra encore attendre.

Les compagnies de leur côté font la chasse au poids et compensent de plus en plus globalement leur émissions même si, de notre avis, compenser n’est pas réduire même si c’est mieux que rien. La bonne nouvelle est qu’elles ont un intérêt économique à le faire et chez TravelGuys on pense qu’à défaut d’être la plus belle des motivations c’est souvent la plus efficace.

S’ajoutent à cela des initiatives globales gouvernementales ou non gouvernementales dans lesquelles toute l’industrie est engagée et que l’étude détaille également.

Mais quand Greta montre l’avion, le lecteur oublie de regarder ailleurs

Une prise de conscience globale, des acteurs concernés qui travaillent à améliorer les choses…tout va donc pour le mieux. Et bien pas forcément. Car à ne regarder qu’un seul secteur on risque de le pénaliser de manière disproportionnée tout en négligeant des pistes qui auraient un impact supérieur.

Mais pour que les choses aillent dans le bon sens il faut souvent que l’opinion publique joue rôle actif sinon militant pour que les gouvernements et les industriels sortent de leur léthargie. Ce qui suppose que l’opinion publique n’ait pas d’oeillères. Et c’est peut être la partie la plus inquiétante de l’étude de la Chaire Pégase qui a mandaté un cabinet pour procéder à une enquête d’opinion.

La première nouvelle est bonne : tout le monde est convaincu que le transport aérien pollue. Bon, tout pollue, mais c’est déjà un bon début. Autant éviter d’être dans le déni dès le début.

La perception du caractère polluant du secteur du textile existe également et dans des proportions surprenamment élevées (69%). Par contre la perception du caractère polluant d’internet est décorrelée de la réalité (54%).

Alors d’accord, tout pollue, mais qui pollue le plus ? Et lorsqu’on se livre au petit jeu des comparaisons, les français stigmatisent systématiquement l’avion dont les émissions de CO2 sont les plus basses des trois.

« Perception is reality »

J’ai un collègue qui ne cesse de me répéter que « Perception is Reality ». Autrement dit que lorsqu’une personne perçoit quelque chose, fut-ce de manière totalement erronée, cela devient la réalité pour elle et elle agit en conséquences d’une manière qui lui semble la plus logique même si elle ne l’est objectivement pas.

L’étude nous montre non pas que la contribution de l’aérien aux émissions de CO2 est négligeable (et encore heureux) mais qu’elle est totalement surévalué dans l’inconscient collectif.

Pour 52 des français l’aérien produit plus de 10% des émissions de CO2 (réalité : 3%).

Pour 70% d’entre eux la production de CO2 par passager a augmenté de plus de 10% en 15 ans (pour 10% de plus de 50%). En fait elle a baissé de 25%.

Pour 24% d’entre eux un avion consomme plus de 10 litres aux 100 km par passager, pour 40% plus de 6 litres. La réalité est entre 2 et 3 litres.

Conclusion

Nous avons particulièrement aimé cette étude car elle a été conduite dans les règle de l’art, académique, en croisant les chiffres et en ne s’appuyant que sur des données fiables. Mais surtout parce qu’elle n’essaie pas de nier une réalité ni qu’elle ne dit « beaucoup d’autres font pire alors ne faisons rien ».

Par contre en mettant en évidence la mauvaise connaissance que la population française a du sujet elle nous suggère que nous somme en train de mener une transition environnementale à coup de biais cognitifs, ce qui n’est pas une bonne nouvelle car on peut laisser des monstres environnementaux se développer par ailleurs sans y prêter attention.

Comment inverser la tendance ? Par une meilleure communication et plus de transparence des acteurs de l’aérien bien entendu mais bien sur on les taxera de Greenwashing.

Par un plus grand esprit critique de l’opinion publique, plus de curiosité ? Pas évident non plus.

Ce qui nous inquiète le plus c’est justement qu’on a trouvé un beau coupable sur qui taper sans se préoccuper de la forêt cachée derrière. Plus simple de taper sur l’avion que sur Netflix non ? Et pourtant.

La transition est nécessaire et ne se fera que si on pousse tous les secteurs à s’y mettre et là on est très loin du compte.

En tout cas nous vous souhaitons une excellente lecture en espérant que notre prose vous donne envie de lire l’étude et de creuser plus loin tout cela par vous-même.

A propos de la Chaire Pégase

La Chaire Pégase est la seule chaire française consacrée à l’économie et management du transport aérien et de l’aérospatial.

​Créée par le Professeur Paul Chiambaretto, la Chaire Pégase a pour ambition de renforcer les liens entre le monde académique et les entreprises des secteurs aérien et de l’aérospatial.

La Chaire Pégase est rattachée à Montpellier Business School, mais elle est développée en collaboration avec plusieurs institutions scientifiques dont l’Université de Montpellier.

​Les activités de la chaire s’articulent autour de 3 axes

• Des activités de recherche scientifique pour créer de nouvelles connaissances

• Des activités d’enseignements pour former les managers de demain

• Des activités d’orientation et d’animation du réseau des anciens dans les secteurs de l’aérien et de l’aérospatial

Photo : Honte de prendre l’avion de Ivan Marc via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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