Interdiction des vols intérieurs d’Air France : pourquoi il ne faut pas s’emballer !

Comme on l’a dit il y a peu le sauvetage d’Air France n’est pas un chèque en blanc fait à la compagnie et s’accompagne de conditions. Et ces conditions ne se sont pas faites attendre : le ministre de l’économie a ainsi exigé que la compagnie cesse d’opérer ses vols intérieurs les plus courts où elle est en concurrence directe avec le train (vols de moins de 2h30).

Une décision qui a forcément fait parler d’elle et entrainé logiquement des réactions diamétralement opposées selon qu’on soit dans le secteur de l’aérien ou du côté des défenseurs de l’environnement (mais rien que le fait d’opposer les deux montre déjà une certaine étroitesse d’esprit mais c’est un autre sujet).

Nous allons voir que, peu importe de quel côté on se place il n’y a aucune raison de s’emballer dans un sens ni dans l’autre suite à cette annonce, et ce pour les raisons suivantes.

Une décision néfaste pour nos infrastructures de transport et pour les voyageurs

Soyons lucides, un monde dans lequel personne ne bouge et reste chez soi n’existe pas et n’existera jamais quoi qu’en pensent certains illuminés. Les entreprises doivent fonctionner, des gens partent en vacances, des familles se retrouvent, des enfants sont malheureusement baladés d’un parent à l’autre, des gens doivent aller se faire soigner…

Pour un pays comme la France, avoir des infrastructures de transport dignes de ce nom est essentiel. Par dignes de ce nom on entend capables de relier deux villes dans un délais raisonnable et de faire face si nécessaire à des impératifs d’urgence.

Pour ne rien exclure on partira du principe qu’il y a 4 moyens de se déplacer sur des distances moyennes ou longues : la voiture, le train, l’avion, les voies navigables. On oubliera les voies navigables pour des raisons évidentes, la voiture qui en termes de pollution est le moyen de transport à éradiquer par excellence sur de la moyenne/longue distance, il n’en reste que deux.

Les plus jeunes ont peut être oublié cette épisode mais souvenons nous de la tempête de 1999. 65% des installations ferroviaires du pays sont hors service. Une semaine pour revenir à un niveau acceptable (et là on applaudit le travail des équipes de la SNCF pour ce tour de force).

Je ne prend que cet exemple mais il n’est rare que suite à une tempête ou un événement climatique majeur la circulation des trains soit interrompue pour une durée allant de quelques jours à plus d’une semaine. Et là on fait quoi ?

Là où un avion n’a besoin que de deux aéroports opérationnels, un train a besoin de deux gares et d’une voie entre les deux. A la limite il peut se passer de la gare mais pas des voies. Remettre un aéroport en service est une chose, nettoyer des centaines de kilomètres de voies (et on ne parle que des grandes lignes…) c’est un autre chantier. Sans parler d’EDF qui doit de son côté remettre les lignes électriques en état sans quoi les voies ne servent à rien.

Lors de ces épisodes on est bien contents de trouver des moyens de transports alternatifs au train de la même manière, ne l’oublions pas, qu’on est heureux de trouver un TGV quand les avions sont cloués au sol par la neige.

On dira que ce sont des épisodes exceptionnels ? Si l’on en croit les spécialistes ils seront de plus en plus courants. Mais encore, c’est justement la capacité à faire face à de telles circonstances qui fait qu’un pays est résilient ou pas, qu’il se bloque pour un rien ou pas.

Un constat qui, en dehors de tout pari pris, plaide pour que co-existent deux moyens de transports collectifs.

Ensuite, et c’est un sujet plus sensible, il y a le fait que les salariés des entreprises qui exploitent ces modes de transport fassent, à l’occasion, grève, voire soient empêchés de travailler par les grèves des autres (contrôle aérien). On ne va pas discuter ici du fait de la propension des uns et des autres d’user et abuser de ce droit, bornons nous à constater qu’il existe (et heureusement) et qu’il est utilisé.

Peu importe le mode de transport envisagé il est facile par contre de comprendre que moins il y a d’opérateurs plus il est simple pour ses salariés de prendre le pays en otage, faute d’alternative. On a, heureusement, des alternatives à Air France avec les low cost notamment, qu’on les aime ou pas. Pour la SNCF il faudra encore attendre un peu.

L’absence de concurrence pèse bien sûr également sur les prix, au détriment du consommateur, mais c’est un autre sujet.

Donc si on se place d’un point de vue totalement objectif de la bonne desserte du territoire, d’un bon aménagement de ce dernier il est souhaitable de maintenir deux moyens de transport collectifs à minima et pour chacun d’avoir au moins deux opérateurs.

La règle des 2h30, une limite criticable

On peut aussi questionner la limite des 2h30. Alors oui en temps normal entre l’avion et le train sur un vol de cette durée ça se vaut. Mais il y a assez d’exceptions pour qu’on les note.

L’île de France c’est grand. Aller à Nantes ou à Bordeaux depuis la banlieue sud de Paris est beaucoup plus rapide par Orly.

Quand on a un déplacement d’affaires à Bordeaux il y a de nombreuses chances qu’on aille visiter une entreprise située dans la zone d’activité de Merignac ou a proximité. Donc à proximité de l’aéroport. Quand on connait la circulation bordelaise, arriver par la gare est un suicide pour qui a un emploi du temps serré.

Je ne mentionnerai même pas car ça ne concerne pas la majorité des passagers qu’entre le passager qui a accès aux files prioritaires et les autres le temps passé à l’aéroport avant le vol (voire à l’arrivée) n’est pas du tout le même.

Mais ce point est anecdotique comparé à ce qui suit.

Un cadeau fait à la concurrence étrangère

On peut largement comprendre qu’un vol de 2h30 ne soit pas tellement « efficace » comparé à un trajet en TGV quand on prend en compte le temps d’accès à l’aéroport, les contrôles etc. Mais dans ce cas pourquoi les avions sont-ils remplis ? Le marché devrait avoir raison de l’avion de manière naturelle. Et bien ça n’est pas le cas et de nombreuses raisons l’expliquent. L’une d’entre elles est le trafic de correspondance : un grand nombre de passagers sur ces lignes est en correspondance vers ou depuis un vol international.

Là on comprend vite que l’intérêt d’arriver à Montparnasse pour ensuite se rendre à Roissy est assez limité. Interdire les vols de correspondance serait très pénalisant pour les passagers, pour Air France, et serait un gaspillage d’argent public.

Tout d’abord cela va enlever du trafic à Air France, ça on l’a bien compris. Mais en plus cela va aider ses concurrentes à se développer ! Le passager au départ de Bordeaux qui n’a pas de vol pour aller à Roissy ne va pas refuser de prendre un vol international ! Il va simplement profiter des vols au départ de Bordeaux proposés par Lufthansa, British Airways, ou Turkish Airlines pour aller faire sa correspondance à Munich, Francfort ou encore Istanbul. Et on peut sans aucun risque prédire que si Air France abandonnait Bordeaux ou Nantes les compagnies étrangères se rueraient sur les slots laissés disponibles pour alimenter leurs hubs !

On veut bien donner 7 milliards à Air France pour sauver la compagnie mais si c’est en même temps pour tuer ses lignes intérieures et en plus permettre à Lufthansa, Turkish, British Airways et autres de se développer tout en, mécaniquement, faisant perdre à Air France des passagers longs courriers qui passeraient ainsi à la concurrence c’est totalement irresponsable. Autant donner tout de suite l’argent à Lufthansa (qui d’ailleurs négocie avec son propre gouvernement mais ça on en reparle dans quelques jours…). Ajoutons qu’au départ de la France les compagnies étrangères que nous avons cité sont le plus souvent moins chères et n’ont pas à rougir en termes de service par rapport à Air France (pour ne pas dire que parfois elles sont bien au dessus), ce que les passagers savent bien

De manière ironique, alors qu’une fois on assiste une fois de plus à des tensions entre Air France et KLM, il serait possible de transiter par Amsterdam pour prendre un long courrier KLM. Pas l’idéal pour calmer les esprits alors que chaque compagnie fait « cash à part ». Ou alors, mais chez TravelGuys on est un peu vicieux parfois, on peut envisager un Bordeaux-Amsterdam-Paris-XXX qui serait très amusant. Moins d’un point de vue écologique mais quand on édicte des règles on génère de facto les méthodes visant à les contourner.

Et qu’on ne parle pas des liaisons TGV qui existent entre les villes de province et Roissy. Trop long, beaucoup plus long que d’aller à Paris intra muros et avec des fréquences trop peu importantes. Cela peut passer occasionnellemnt pour un voyage touristique mais pour un voyage d’affaires non !

Bon heureusement il n’est pas question, au moins dans un premier temps, d’interdire les vols de correspondance. Mais même dans cette approche, il ne sera pas facile de faire appliquer la règle.

Une règle opérationnellement compliquée à appliquer

Bien entendu pour qui a un billet Air France (ou avec compagnie partenaire) avec une correspondance à Paris pour un vol international la question ne se pose pas. Mais tous ceux qui partent de province pour aller prendre un vol international à Paris ne font pas ce second vol sur Air France ! Déjà parce qu’Air France et ses partenaires ne vont pas partout mais ensuite, on l’a dit parce qu’au départ de France Air France n’est pas toujours la plus compétitive et qu’on est quand même sur un secteur très sensible au prix, en tout cas pour le grand public. Ca n’est pas une critique, c’est juste un constat d’autant plus que ce sont des politiques assumées par les compagnies au travers de leurs stratégies de marché dont on parlé il y a quelques temps. Air France est chère depuis la France et très compétitive depuis d’autres pays, idem pour Lufthansa qui est plus abordable depuis la France que depuis l’Allemagne etc.

Bref, si un passager prend un Bordeaux-Roissy sur Air France pour ensuite partir sur…disons American Airlines. Est-ce que cela sera considéré comme un vol d’apport pour une correspondance ou comme un vol « sec » vu que les deux segments ne seront pas sur le même billet ? Et comment contrôler ? Subordonner la vente à l’existence d’un second segment peu importe la compagnie ? L’existence de ce billet sera impossible à vérifier à la réservation. Et à la limite on peut prendre un billet remboursable et l’annuler juste après…il sera cher mais ça ne sera que pour 24 ou 48h avant de le faire rembourser.

Ou alors ne permettre les vols intérieurs que pour les clients Air France qui ont une correspondance ? Ce serait une excellente nouvelle pour notre compagnie mais probablement illégale d’un point de vue du droit de la concurrence.

Une distorsion de la concurrence

Donner à Air France un avantage illégitime par rapport à la concurrence serait non seulement illégal mais néfaste pour le passager qui n’a jamais vu les prix baisser quand un marché connait une situation de monopole de fait.

Mais l’inverse est tout aussi vrai. Qu’Air France ne desserve plus certaines villes (car on parle des trajets de 2h30 aujourd’hui mais attention à ce qui peut se passer demain) et d’autres prendront la place. Si vous pensez qu’Easyjet, pour ne citer qu’elle, va laisser la place se libérer sans bouger.

Là encore on dit que donner directement ou indirectement 7 milliards à une compagnie d’un côté pour de l’autre aider la concurrence à se développer sur les vestiges de son activité c’est jeter de l’argent public par les fenêtres.

Alors oui on pourra dire que pour Air France ce boulet est la contrepartie du sauvetage (paradoxal l’idée du médecin qui réanime d’un côté en administrant du poison en intra-veineuse de l’autre). Mais là encore ça serait oublier que :

  • contrairement à Air France les low cost vivent à longueur d’année de fonds publics au travers de subventions des collectivités locales. Un sujet dont on parlera très prochainement d’ailleurs.
  • pour ce qui est de la SNCF on est également dans le sauvetage permanent depuis des lustres pour une entreprise qui est loin de la qualité de service des ses voisines européennes, à des années lumières de ce qu’on voit plus loin de chez nous (Japon…) et a laissé des territoires dépérir à tel point que l’Etat subventionne l’aérien pour y remédier. Seul cas d’ailleurs où des compagnies « traditionnelles » sont subventionnées car elles se substituent à la SNCF pour sa mission de service public qu’elle n’accomplit pas, alors que, comme on l’a dit, les low cost vivent du chantage aux collectivités locales. Mais les finances de la SNCF c’est un autre sujet qui méritera un article en son temps.

Et tant qu’on parle de concurrence il faudra qu’on nous explique comment les autorités de la concurrence pourraient ne pas condamner des taxes sur l’aérien qui ne visent qu’à financer une SNCF historiquement prodigue au lieu de financer la transition environnementale à marche forcée du secteur ou des politiques globales qui ne profitent pas qu’à un seul acteur.

Un trompe l’oeil environnemental

L’avion ça pollue et le train c’est propre. Il y a du vrai mais c’est également très réducteur et quand on ouvre les yeux des gens sur les faits réels avec des chiffres ils infléchissent souvent leur position.

Ne nous trompons pas : l’idée n’est pas ici de faire du green washing, nier la pollution causée par l’aérien ou rentrer dans des querelles de clocher stériles. L’environnement est un sujet sérieux et justement trop sérieux pour être traité par de micro-mesurettes nationales et sectorielles. Trop sérieux aussi pour qu’un ministre s’achète une conscience écologique au travers d’une décision qui n’arrangera rien au problème en plus des dégâts qu’elle fera. Au contraire il demande une vision d’ensemble, qui dépasse les querelles propres au monde du transport qui fait figure de bouc-émissaire facile.

En matière d’environnement il n’y a pas le choix : il y a de nombreux leviers et il n’y aucune raison d’en privilégier un par rapport à l’autre vu l’urgence actuelle. Pour autant un peu de bon sens s’impose : quand votre bateau a heurté un iceberg et présente une voie d’eau de plusieurs mètres dans sa coque, la fuite du robinet qui goutte dans la cabine 314 est un problème secondaire.

Le transport, tout confondu, est le deuxième émetteur mondial de CO2 avec, selon les sources, aux environs de 25% des émissions. C’est énorme. 75% de ces émissions viennent du transport routier, 12% de l’aérien, 11% du bateau. Le train doit rentrer à mon avis dans les 3% de « autres » ce qui confirme son caractère non polluant quoi qu’on verra plus loin qu’il n’est pas si neutre.

Deux conclusion s’imposent :

  • Avant de s’occuper du transport avec ses avions qui polluent et ses vilains trains qui marchent soit aux énergies fossiles soit au nucléaire il y a un secteur (l’énergie) qui pollue deux fois plus et que l’opinion publique stigmatise beaucoup moins et en tout cas déchaine moins de passions.
  • Et avant de parler des avions et des trains on peut se demander ce qu’on fait des voitures, bus et camions qui font 75% des émissions des transports. Si les villes prennent des mesures je ne vois pas de politique forte visant à favoriser le train ou l’avion pour les déplacements longs. Cet été si on peut se déplacer un peu plus loin que 100km ce sera drôle de voire qu’on a tué une partie de l’aérien, limité la contenance des trains et mis encore plus de monde sur la route. Car à moins de trois dans une voiture il vaut mieux prendre l’avion (et bien évidemment le train) que la voiture. Voire louer une voiture à l’arrivée à la gare ou l’aéroport si on va dans un endroit reculé mais ne pas faire 500 ou 700km en voiture !

Voilà, si vous voulez stigmatiser des pollueurs vous savez ou regarder en premier ! Mais ça n’est pas fini. Si on cumule train et avion on est aux alentours de 4% des émissions mondiales. Alors oui ça fait encore beaucoup mais on voit que ces modes de transports ne sont pas si « sales » que ça. Je dirai même, pour le train, encore plus propre que dans la moyenne des pays en raison de notre recours intensif au nucléaire. La grande vitesse allemande roule soit au nucléaire acheté à la France soit au charbon national. C’est moins joli.

Selon les sources l’aérien c’est donc entre 2,5 et 4% des émissions. C’est toujours 2,5% de trop pour un monde parfait mais, là encore, ayons le sens des enjeux et des priorités. Comme le montre l’excellent rapport publié plus tôt cette année par la Chaire Pégase :

  • Si rien n’est parfait en ce monde, l’aérien travaille beaucoup à la réduction de son empreinte, ne serait-ce que pour des raisons bassement économiques. Les progrès réalisés compensent l’explosion du trafic. En 19 ans ses émissions n’ont cru “que” de 21% alors que le trafic croissait de 69%. Aujourd’hui on est sur des consommations de 2,7 l/100km par passager sur du long courrier et 2,2 sur du moyen courrier. Et un jour on finira par arriver au moteur électrique même si pour demain je n’y crois pas même si la récente expérimentation du moteur à plasma est une vraie bonne nouvelle.
  • La part d’internet sur les émissions est lui de 4% des émissions mondiales environ aujourd’hui et on prédit 8% en 2025. Ca c’était avant le coronavirus, l’explosion du télétravail pour les uns et de la consommation de Netflix en chômage partiel pour les autres. Mais on en reparlera plus tard.
  • Quand à l’impact de l’industrie textile il est de 10% des émissions.

On peut se demander si, hier, ceux qui dès la a fin du confinement ont fait la queue devant les magasins de vêtements (10% des émissions) sont ceux qui condamnent l’avion (2,5% des émissions). D’ailleurs nous prenons également notre part de critiques puisque voyager en avion est finalement largement moins nuisible que partager les photos et vidéos des voyages sur le net comme nous le faisons.

Trêve de plaisanterie.

Alors on veut bien croire que les petits cours d’eau font les grandes rivières mais il ne faut pas se tromper de combat. Oui l’environnement c’est important mais quand on ne tape que sur ceux qui font 2,5% des émissions et qu’on laisse ceux qui font 2 ou 4 fois pire se développer, voire qu’on les y incite on n’est plus dans la protection du climat mais dans la propagande, la désinformation et le clientélisme. Oui l’avion a beaucoup d’effort à faire, oui, on le verra, le train doit peut être un peu balayer devant sa porte, mais l’environnement c’est l’affaire de tous et visiblement on ne tape que sur ce qui est le plus visible et le plus démagogique, pas forcément là où ça a le plus d’effet.

Oui à la limitation des vols. Mais si on veut être responsables jusqu’au bout il faut réglementer le renouvellement des gardes robes par simple effet de mode, bannir les achats de piles de t-shirt à 5€ car « c’est pas cher et on s’en fout ça se jette ». Quant à internet si c’était un pays ce serait le 3e pollueur mondial après les Etats-Unis et la Chine. Pour une entreprise de 100 personnes, les échanges d’emails sur un an représentent l’équivalent de 13 aller-retours Paris-New York en avion ! La consommation d’énergie du secteur augmente de 9% par an (« mieux » que l’aérien d’avant crise), et le streaming, activité la plus consommatrice, rejette aujourd’hui autant de CO2 qu’un pays comme l’Espagne (lire aussi ici). Par contre on subventionne les entreprises qui viennent installer leurs datacenters en France alors que le numérique croit beaucoup plus vite que l’aviation.

Voilà, sur le sujet il ne faut pas se tromper de débat. Oui il faut préserver l’environnement mais ça n’est pas ce qu’on fait en ce moment. On stigmatise des cibles faciles en évitant de regarder l’éléphant au milieu de la pièce. Et le combat pour un transport propre sera perdu dès lors qu’on oubliera le criminel climatique qui regarde Netflix à longueur de journée car il sera vu comme une vendetta injuste et déséquilibrée.. Peut-être un jour les générations futures nous reprocheront elles de nous être occupés de « détails » alors qu’on a rien fait pour internet quand il en était encore temps. Comme me disait une personne qui travaille pour un GAFAM « on fait de la m…. mais de la m….. cool donc pour l’instant on est tranquilles ».

J’aimerais juste savoir quelle partie de l’opinion publique est consciente de ces chiffres quand elle croit de bonne foi soutenir les bonnes politiques environnementales, celles qui ont le plus d’impact et vilipender les vrais responsables. Je connais des gens dans l’IT qui ont eu certain malaise en les apprenants et on révisé certaines de leurs priorités.

Mais avant d’en finir avec l’environnement j’ai enfin trouvé des chiffres que je cherchais depuis des années. Je disais en début de ce billet qu’un train avait besoin d’une voie alors qu’un avion n’avait besoin que de deux aéroports. Je m’étais toujours posé la question de savoir ce qu’une telle voie pouvait couter en termes d’environnement (car pour le contribuable on le sait…). On dynamite des montagnes, on coupe des champs en deux, on « exproprie » la faune, on utilise des tonnes de métaux pour construire des voies…. Ces chiffres je les ai trouvé dans un excellent article de Xavier Tytelman.

Je cite :

« Mais prenons l’exemple de la ligne grande vitesse pour Bordeaux qui a été inaugurée il y a quelques mois. Sur cette nouvelle ligne, les émissions de carbone générées par un trajet incluent la construction de la ligne répartie sur 100 années! On est à 7230 tonnes équivalent carbone par kilomètre de voie LGV construite et l’amortissement de la pollution sur 100 ans est systématique sur tous les projets.« 

« Sans oublier la destruction irréversible des milieux naturels au sol sur tout le parcours. Les filiales de Bouygues et Vinci chargées de la construction de la LGV Tours – Bordeaux ont par exemple été condamnées pour non-respect des règles visant à maintenir les écosystèmes et les cours d’eau, un expert interrogé par Médiapart évoquant même un « massacre environnemental« .

Chez TravelGuys on aime être objectifs dans tous les domaines donc on creuse derrière les chiffres car peu importe ce qu’ils disent, les chiffres n’ont ni d’idéologie ni de dogme.

Attention : il est parfois compliqué de trouver des chiffres exacts, parfois il n’y a même pas de consensus sur certaines formules donc les chiffres qui suivent ont juste comme prétention de donner des ordres de grandeur.

La prolongation de la ligne LGV entre Tours et Le prolongement de la ligne LGV entre Tours et Bordeaux a nécessité 340km de construction donc, selon ces chiffres, un équivalent carbone de 2 458 200 tonnes. Mais comme par magie on « amortit » sur 100 ans, donc sur 2 409 000 trajets (à raison de 33 aller-retour par jour selon les chiffres officiels) cela fait 1 tonne par trajet rien que pour amortir la construction de la voie et par train contre 15t par avion. (Chiffre approximatif car les calculateurs donnent des chiffes par passager sur une base de 88 passagers par vol alors que vu la taille des appareils utilisés sur cette ligne et le taux de remplissage moyen cela ferai mécaniquement baisser les émissions par passager…c’est très bien expliqué ici). C’est quand même infiniment plus « green » que l’avion quand même mais la vérité est que les 2 458 200 tonnes, elles, ont déjà été « consommées » alors que pour les avions ça chute d’année en année et qu’on espère bien voler électrique dans les 20 ans qui viennent. Ajoutons à cela qu’en 100 ans il aura fallu changer les rails entre 1 et deux fois (leur durée de vie est de 50 ans maximum mais on essaie de les faire durer 70…) cela ne rend pas le train moins propre, loin de là mais permet de relativiser son impact.

Un Tours-Bordeaux c’est 0,9 kg de CO2 par passager, donc 0,9t pour un train sur la base de rames de 1000 passagers.

On va faire le même calcul pour le Paris-Bordeaux en partant des mêmes chiffres, mais là encore en reconnaissant les limites de la méthode vu que le Paris-Tours a déjà été amorti sur 30 ans. Là on est à 1,7 tonnes par trajet pour 584km si on garde la même méthode de calculs. Mais selon les chiffres de la SNCF on arrive à 1,4. Peut être parce le coût environnemental au kilomètre de ce tronçon a été inférieur à l’autre, sachant que pour le reste il ne sera amorti que dans 70 ans.

A part d’être d’une mauvaise foi crasse il faut reconnaitre que le choix du train est le plus logique :

  • même si l’impact environnemental de la construction de la ligne a été « payé » dès sa construction et qu’on ne pourra pas faire machine arrière alors qu’on peut « rêver » au fait que l’avion devienne de moins en moins émetteur de carbone.
  • même si contrairement aux idées reçues (et même aux nôtres) il semblerait que la SNCF achète une grande partie de son électricité hors de France et donc qu’elle soit beaucoup plus carbonée qu’elle ne veuille le dire. Mais ce rapport date de 2014 donc les choses ont pu changer et on a toute confiance dans la politique open data de l’opérateur ferroviaire.
  • même s’il est quasi impossible de trouver combien émet un avion car on ne trouve les chiffres que par passager et que les hypothèses de remplissage retenues par les calculateurs ne correspondent pas à la réalité commerciale…mais franchement ça ne va pas changer grand chose à l’histoire.

Par contre ce qui est intéressant, tant qu’on est dans les chiffres autant vous bassiner une dernière fois avec, c’est de savoir à quel moment le TGV devient compétitif sachant que la nature a payé son dû à la construction de la ligne dès le 1er jour ! Revenons à nos 2 409 000 trajets en TGV sur 100 ans à 1,4t par trajet « tout compris » (ou presque), cela nous fait 3 372 600 tonnes en un siècle. A raison de 15t par vol cela fait l’équivalent de 224 840 vols soit, à raison de 15 aller-retours par jour (30 vols) cela nous fait 7 494 jours soit 20 ans.

Il faut donc 20 ans pour que le TGV « solde » son impact environnemental, principalement du à la construction de la ligne car il est imbattable sur l’exploitation, et devienne plus intéressant que l’avion. Sur notre Paris Bordeaux le train est donc « gagnant » jusqu’à Tours et perdant jusqu’à Bordeaux pour une vingtaine d’années encore. Mais, rappelons le, c’est parce qu’on amortit le coût environnemental sur un siècle. La nature, elle, a déjà payé la totalité.

On ne va pas couper les cheveux en 4, l’environnement est un combat de long terme donc le pari à 20 ans est le bon.

Par contre la donne peut changer si dans les 20 ans on arrive à faire voler des avions électriques qui en plus d’être aussi propres que le train en exploitation n’auront pas d’empreinte au sol. Mais comme on l’a dit, même si certains pensent à des premiers vols en 2027 nous ne sommes pas aussi optimistes même si on voit des choses très intéressantes qui peuvent permettre de rêver. Et puis on ne mettra jamais tout le monde en l’air : au mieux on aura un beau rééquilibrage. De toute manière comme on l’a vu il est indispensable qu’il y a ait de la concurrence entre les moyens de transports et entre les opérateurs.

Ce qui explique, mais on aura l’occasion de reparler, qu’on ne croit pas du tout à l’hyperloop comme alternative crédible ni au train ni à l’avion en raison, justement, du coût environnemental de la construction de voies nouvelles et du fait que ce besoin en infrastructures en plus des voies existantes va rendre quasi impossible le fait de l’amener dans les centres-ville.

Mais quoi qu’il en soit, si les pouvoirs publiques veulent vraiment promouvoir l’environnement il y a des choses à faire également et prioritairement au niveau des routes et d’autres secteurs infiniment plus pollueurs. Ici on est dans l’épaisseur du trait et les effets d’annonce.

Une décision déjà actée et qui ne change rien

Comme on le disait déjà dernièrement il est d’autant plus facile pour un ministre d’exiger des choses qu’elles ont déjà été actée et auraient eu lieu de toute manière.

Toutes les compagnies sont dans une logique d’avions de plus en plus économes, ne serait-ce que pour des raisons de rentabilité. La baisse des émissions est une tendance indiscutable du marché. Pour reprendre le cas de nos vols intérieurs Air France a déjà depuis belle lurette passé commande d’une grosse flotte d’A220 qui devait arriver à partir de septembre 2021 qui émet 20% de CO2 en moins. Circonstances obligent il semble même que la compagnie a décidé d’accélérer la sortie de sa flotte des A318/A319 . Pour faire comme Air Baltic et accélérer la livraison des A220 ?

Ensuite la crise actuelle va imposer une rationalisation du programme de la compagnie et des routes opérées de manière tout aussi logique (dramatique diraient d’autres). Par contre on est curieux de voir la réaction des pouvoirs publics et des collectivités si Air France abandonne des routes transverses sur lesquelles le train est soit inexistant soit catastrophique.

Enfin tant qu’on parle de la limite de 2h30 et du point à point hors correspondance…cela ne concerne quasiment rien.

Ce qui est gênant dans la démarche gouvernementale c’est plus la forme que le fond.

Une logique d’affrontement pour un débat stérile

On ne va pas rentrer dans le débat « train ou avion » qui est stérile de notre point de vue. Les deux sont nécessaires, les deux correspondent à des cas et des besoins avec un « mix » à trouver selon les distances et les caractéristiques de chaque destination.

Mais c’est justement là où le bât blesse. Ce à quoi on assiste aujourd’hui n’est pas une bataille pour l’environnement mais l’organisation d’un combat quasi fratricide entre deux entreprises françaises sur fond de clientélisme et de calculs électoralistes.

En stigmatisant l’aérien on a un ministre qui évite de parler de sujets comme la route, internet, le textile et a fortiori l’énergie.

En portant le sujet sur le terrain train vs. avion on exacerbe les passions et encore davantage en en faisant un combat SNCF vs Air France alors qu’il y a pleins d’autres acteurs actuels et à venir. Mais le résultat escompté est obtenu : cela fait tellement de bruit qu’on ne parle pas du reste.

En tapant sur un bouc émissaire facile on ment et on ment encore plus aux plus démunis. Taper sur l’avion c’est simple car la population est mal informée voire désinformée sur le sujet et je vous invite absolument, encore une fois, à lire cette étude édifiante sur le sujet. Si on peut se permettre une remarque, d’ailleurs, vu la méconnaissance que le grand public a des vrais chiffres et de ce qui est entrepris, si les compagnies aériennes et les constructeurs doivent licencier dans les temps à venir qu’ils commencent par leurs communicants qui sont totalement incapables de faire passer ce type d’informations.

Mais il ne faut pas oublier qu’en période de point l’avion est moins cher que le train. Il ne faut pas oublier que beaucoup de français, de familles, qui prennent l’avion pour aller à l’étranger l’été le font faute d’avoir les moyens de se payer des vacances en France où hôtellerie et restauration sont hors de prix, en payant en plus leur billet moins cher qu’un billet de train. Il ne faut pas oublier que l’avion n’est pas un moyen de transport « pour riche » ce qui en fait une cible facile et consensuelle alors que 50% des passagers sont des inactifs et des CSP- !! Si ceux là ne prennent pas le train il doit y avoir des raisons !

Donc en s’achetant une bonne conscience pour pas cher (quoique on verra…), on à un ministre (des finances car le ministre des transports, traditionnellement ministre de la SNCF plus que des transports est bruyamment absent du dossier) qui passe à côté de son sujet. Pas cher….pour l’instant. Ce qui est inquiétant ici c’est surtout le précédent que cela crée avec, en ligne de mire, un jour une interdiction de tous les vols antérieurs. En se croyant au pays des Bisounours, Oui-Oui a peut être ouvert une boite de Pandore dont les effets seront dévastateurs (pour Air France, pas pour ses concurrentes étrangères).

On a une compagnie aérienne qui vient de perdre 1,8 milliards au premier trimestre et ça n’est pas fini (pour être précis on parle d’Air France-KLM, la situation par compagnie étant différente). On veut bien que la presse fasse ses grands titres sur « les pertes abyssales » de la compagnie mais je vois aussi 2 milliards de pertes d’exploitation pour la SNCF sur les seuls mois de mars et avril (on parle déjà de 3 milliards) sans qu’on sache encore ce que cela va donner en termes de résultat ! Cela s’ajoute au milliard qu’ont coûté les grèves (650 millions en 2019 et 350 en 2020) et aux 35 milliards de dettes de l’entreprise au 1er janvier après que l’Etat en ait déjà épongé 25 fin 2019 (la dette d’Air France-KLM à la cloture de l’exercice 2019 était de 6,15 milliards).

Alors on peut jouer à qui pollue le plus, ou qui mérite d’être sauvé. Nous, on voit les deux bras armés du transport de passager français en bien vilaine posture avec un ministres qui gonfle sa popularité en soufflant sur les braises au lieu d’adopter une logique de filière pour les sauver ensemble de manière cohérente. La question n’est pas train ou avion mais quel système de déplacement multimodal pérenne et durable (dans le sens rentable du terme également) pour les français.

Mais ça n’est pas en attisant les rancoeurs qu’on y arrivera. Nous sommes convaincus que

  • Mêmes les plus irréductibles des voyageurs aériens n’ont rien contre le train. Au pire ils en ont surtout contre la SNCF ce qui pose plutôt la question du niveau de la qualité de service vu le prix du billet et la charge pour le contribuable, surtout comparé à ce qu’on voit à l’étranger. La preuve : ils sont tous fans du Shinkansen au Japon !
  • A part les plus obtus mêmes les plus farouches défenseurs de l’environnement comprennent que le vrai combat est ailleurs et que s’il a des progrès à faire (comme tout le monde) l’aérien n’est pas les plus gros problème aujourd’hui.

Alors quitte à utiliser son pouvoir d’actionnaire de manière utile (pour une fois) que l’Etat leur torde le bras pour apprendre à travailler ensemble, à monter une offre multimodale qui serait unique au monde, à faire tomber les barrières qui existent en termes de parcours client entre les deux, à créer des passerelles entre les programmes de fidélité, à vraiment développer le code share…

Cela semble fou ? Irréaliste ? Ca l’est tout autant que la situation actuelle et pourtant on y est.

Avec des analyses simplistes on fait des amalgames, on désigne de mauvais coupables et on crée des conflits là où on devrait développer des partenariats.

Pour finir je ne mentionnerai pas certains messages que j’ai vu passer sur Linkedin de cadres de la SNCF s’offusquant de la reprise des vols Air France sur fond d’émotion environnementale. Une récupération commerciale déguisée que beaucoup ont jugé déplacée vu l’état des deux entreprises et des textes tellement bien construits et formatés qu’on peut se demander s’il s’agit bien d’initiatives individuelles. A l’heure où tous les experts en communication conseillent aux entreprises de faire profil bas et d’être dignes on ose espérer qu’il ne s’agit de d’initiatives individuelles, aussi regrettables soient elles de la part de personnes ayant un certain niveau de responsabilité.

En attendant nous voilà face à une décision qui sur le fonds ne changera pas grand chose ni pour la SNCF qui continuera à perdre de l’argent si elle ne se réforme pas, ni pour Air France qui a un chantier d’une autre ampleur (et doit se réinventer tout autant), ni même pour l’environnement. Par contre que de dégâts actuels et futurs en raison d’une forme désastreuse.

Photo : Airbus A319 Air France à Paris de Lukas Wunderlich via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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