Les pilotes doivent ils porter un masque dans le cockpit ?

Depuis le début de la crise du COVID-19 ou en tout cas depuis qu’on en sait davantage sur le virus le port du masque en avion est devenu la règle pour les passagers et pour le personnel.

Ceci dit la règle n’est pas aussi absolue que cela dans la mesure où l’obligation n’est pas toujours légale. Oui l’OMS recommande le port du masque mais personne ne peut être sanctionné pour ne pas obéir à l’OMS.

Le port du masque : pas toujours une obligation légale

On l’a bien vu aux Etats-Unis : faute d’une loi imposant le port du masque les compagnies aériennes ont le plus grand mal du monde de se faire obéir de certains passagers récalcitrants.

A l’inverse en Europe de nombreux pays dont la France et le Royaume-Uni ont imposé le port du masque dans les transports, ce qui inclut bien sur l’avion.

A priori cela revient au même. Qu’il s’agisse d’une loi ou d’une simple directive de la compagnie le résultat est le même : l’équipage est seul maitre à bord et quiconque n’obéit pas aux ordres de l’équipage peut être débarqué (par exemple sur le fameux sujet de la fermeture des cache hublots) voire sanctionné a posteriori.. Et toutes les compagnies demandent aujourd’hui aux passagers et aux équipages de porter le masque. Simplement c’est plus simple de se faire respecter quand il y a une loi derrière et que la personne risque une amende alors que certains reconnaissent moins facilement l’autorité de l’équipage.

Si pour les équipages le port du masque ne pose absolument aucune question ni problème, vous avez été nombreux à nous demander si c’était également le cas dans le cockpit.

[MAJ] l’EASA (Agence Européenne pour la sécurité aérienne) a établi un protocole qui précise bien (p25) que pour des raisons de sécurité « Les masques faciaux ne doivent pas être portés par l’équipage dans le compartiment de l’équipage après l’embarquement et pendant l’exploitation pour des raisons de sécurité » (« Face masks should not be worn by the flight crew in the flight crew compartment after boarding and while operating due to safety reasons« ). Mais cela ne s’applique donc qu’à l’Europe. Pour mémoire (voir infra) l’OACI n’évoque que la possibilité d’enlever le masque là où l’EASA est plus incitative dans sa formulation.

Le non port du masque dans le cockpit interroge voire inquiète

Si pour certains cela relève de la simple curiosité il y a des gens que le non port du masque dans le cockpit inquiète et pas seulement parmi les passagers. Dans ce document du syndicat de pilotes ALPA vous verrez page 9 (Airline 11) que certains membres d’équipage ont été surpris et inquiets d’apprendre qu’une fois la porte du cockpit fermée les pilotes tombaient le masque.

« Rapport du 27/05/2020 : J’ai l’impression que la compagnie fait du bon travail en fournissant des masques faciaux.
Le problème de santé ne concerne pas la compagnie mais plutôt le personnel navigant qui ne porte pas de masque. Les masques ne protègent pas que le porteur. Ils protègent principalement les personnes qui se trouvent autour de la personne qui porte le masque. Par conséquent, si le commandant choisit de ne pas porter de masque même si le copilote le fait, le copilote est toujours en danger.

J’ai parlé avec un autre copilote qui a volé en mai et il dit que les masques sont ôtés dès que les portes du cockpit se ferment.
Si je ramène le virus du travail j’ai des membres de ma famille qui pourraient être hospitalisés ou
pire à cause du virus.

Je suis de réserve en juin. Comment puis-je me protéger si les membres d’équipage
ne choisissent pas de porter un masque ? Je crois savoir que la spécialité du syndicat est la médiation avec l’entreprise mais que faire si le problème se situe dans nos propres rangs parce que les gens ne font pas de recherche/comprennent comment le port de masques est un outil efficace pour atténuer ce virus ?
« 

Pour autant autant qu’on puisse chercher il n’existe aucune directive officielle sur la tenue à adopter dans le cockpit. Dans l’aéroport et la cabine les choses sont claire : le masque est obligatoire pour tous. Mais dans le cockpit il existe une sorte de zone grise.

[MAJ] Des professionnels nous signalent que l’OACI interdit le masque dans le cockpit. Pour l’instant la seule source que nous avons trouvé évoque juste la possibilité d’ôter le masque, pas son interdiction (voir infra).

Pas de masque dans le cockpit mais uniquement entre pilotes

Alors pour en avoir le coeur net nous avons posé la question à des pilotes qui nous ont confirmé la chose. Une fois dans le cockpit les pilotes retirent leur masque (sauf ceux qui tiennent absolument à le garder) mais uniquement lorsqu’ils sont seuls et que la porte du cockpit est fermée. A chaque fois que la porte s’ouvre par exemple pour laisser rentrer un membre d’équipage (pour leur servir un repas par exemple) ils le remettent.

Cela semble au final assez logique et nous allons vous expliquer pourquoi.

Le cockpit est un endroit « sûr » par nature

Je ne m’étendrai sur le fait que le cockpit dispose bien sûr du même système de renouvellement et filtrage de l’air que le reste de la cabine et qui est largement plus performant que ce qu’on trouve dans d’autres lieux et moyens de transport.

De l’avis de beaucoup on peut considérer qu’une fois assis l’écartement entre les fauteuils est suffisant pour garantir un minimum de sécurité. Mais, surtout, les pilotes regardent toujours devant eux, ne se font quasiment jamais face, ne se parlent pas face à face, ne se regardent pas (à part en cas de problème mais on en parlera justement plus loin). Cela peut sembler évident vu leur rôle mais encore faut le rappeler.

On peut donc estimer que dans le cockpit la distanciation sociale est effective par principe.

Les pilotes doivent réagir vite en cas d’incident

En cas de dépressurisation, d’émission de fumées en de manière générale de doute quant à une bonne oxygénation de l’air ou de présence de substance toxique les pilotes sont tenus de porter un masque à oxygène, tout comme les passagers d’ailleurs.

De telles circonstances sont très rares mais lorsqu’elles arrivent la différence entre vol qui se termine bien et un vol qui vire au drame tient à la vitesse de réaction. Tout ce qui peut réduire le temps nécessaire à enfiler le masque à oxygène est donc à proscrire. Donc enlever le masque pour enfiler le masque à oxygène est un facteur d’aggravation du risque en cas d’incident.

De la même manière les pilotes disposent d’un équipement respiratoire portable (Portable Breathing Equipment) qui leur permet de se déplacer dans une cabine dépressiurisée ou enfumée, par exemple pour éteindre un incendie ou aller procéder à des vérifications de sécurité suite à un incident.

Là encore c’est la vitesse qui prime et la différence entre un incident bien géré et un drame peut se jouer sur quelques secondes de temps de réaction du pilote. Donc là encore, enlever un masque pour en enfiler un autre est un facteur d’aggravation du risque.

[MAJ] : Confirmé par nos lecteurs professionnels du secteur : le masque à oxygène doit être enfilé en moins de 5 secondes, ce qui rend impossible le port du masque « anti covid ».

Le masque altère-t-il les capacités du pilote en vol ?

Si certains ont tenté de faire valoir qu’on risquait l’asphyxie en portant un masque trop longtemps au niveau du sol il a été démontré que la chose étaient hautement improbable si ça n’est impossible. Par contre qu’en est il en vol où l’oxygène est raréfié ?

Au niveau du sol nous respirons un air comportant 21% d’oxygène. En avion ce niveau est maintenu jusqu’à 2400m puis baisse au dessus. Aujourd’hui dans les avions modernes, à leur altitude de croisière, l’air respiré contient environ autant d’oxygène que celui qu’on respire à 2400m dans des conditions « normales » comme en montagne.

Autrement dit cela ne représente absolument aucun danger en soi hormis pour des personnes souffrant de certaines maladies respiratoires.

Par contre certains se demandent si le masque est un facteur aggravant et, dans l’affirmative, si l’importance des pilotes pour le bon déroulement du vol (!) fait qu’un risque acceptable pour un passager ne l’est pas pour eux.

Le fait est qu’il n’existe à ce jour aucune étude valable sur le sujet (et si vous en trouvez une nous sommes preneurs). Par contre une étude a été menée sur des chirurgiens travaillant en bloc opératoire. Elle ne traite pas des effets de l’altitude mais du port du masque en situation de travail impliquant du stress et exigeant une forte concentration. Elle a été menée par le et vous en trouverez les résultats ici.

L’étude montre que la saturation en oxygène (SPO2) diminue et que la fréquence cardiaque augmente chez des chirurgiens qui opèrent avec un masque par rapport aux mêmes personnes lorsqu’elles ne portent pas de masque. Un phénomène amplifié chez les personnes de plus de 35 ans.

Coeur qui bat plus vite, moins d’oxygène dans le sang, cela signifie donc que les capacités des pilotes seraient altérées par le seul port du masque, indépendamment de l’altitude qu’on peut de plus voir comme un facteur aggravant.

Pas si vite.

L’étude compare des personnes « en situation normale » sans masque et lorsqu’elles opèrent avec un masque. On ne dispose d’aucune mesure sur une opération pratiquée sans masque car cela est interdit est donc n’existe pas.

On ne peut pas tirer de conclusion de cette étude car selon ses propres dires, on ne sait si la diminution de la saturation en oxygène et l’augmentation du rythme cardiaque sont dus au port du masque où simplement au fait de pratiquer une opération ! Et si les deux y contribuent on ne sait pas dans quelles proportions.

Il n’y a donc aucune preuve scientifique à ce jour que le port du masque altère les capacités des pilotes plus que le stress et la concentration « normales » liés à certaines séquences de leur métier.

Après libre à vous de penser qu’on doit ou non appliquer le principe de précaution.

Le masque accroit les risques d’accident

La semaine dernière nous parlions du CRM (Crew Resource Management) et ça n’était pas hasard. Une comme communication/collaboration entre les pilotes est essentielle à la sécurité d’un vol. Ou, dit autrement, alors que le matériel est de plus en plus fiable et performant, les système informatiques de plus en plus évolués et les pilotes de mieux en mieux formés, le principal risque aujourd’hui réside dans la manière dont les humains interagissent entre eux pendant le vol.

Le port du masque « casse » le CRM dans la mesure où en cas de problème un navigant ne peut percevoir les expression du visage d’un autre simplement en le regardant. Il ne peut pas voir les expressions de son visage qui peuvent à un moment traduire une difficulté, un problème, un malaise qui ne sera pas toujours verbalisé. Alors bien sur la personne n’a qu’à s’exprimer mais, en fait de sécurité, l’enjeu est justement d’éviter tout motif de déconcentration quand on gère une situation difficile.

On peut également envisager qu’un navigant ne parle pas sa difficulté ou son inquiétude, chose que son visage, lui, trahira. Alors bien sur si les règles du CRM sont respectées une telle situation ne doit pas arriver. Mais dans la pratique l’humain reste faillible et un tel cas est plausible. Dans le même ordre idée le copilote du vol Asiana 214 qui s’est écrasé à San Francisco aurait du alerter le pilote et faire une remise de gaz quand il a compris que le pilote menait l’avion droit à sa perte mais il ne l’a pas fait simplement car l’autre était son supérieur. Deux précautions valent toujours mieux qu’une.

[MAJ] : L’OACI dit que le les pilotes peuvent ôter leur masque dans le cockpit pour des raisons de sécurité (point 7.5).

De toutes les raisons invoquées le bon fonctionnement du CRM est celle à laquelle j’avais pensé spontanément avant l’écriture de cet article. Non que les autres ne soient pas aussi critique en cas de problème, mais parce leur probabilité de survenance est moindre alors que le CRM, la communication dans le cockpit doit bien fonctionner tout le temps et pas uniquement lorsque les choses se gâtent.

Donc lors de votre prochain vol sachez qu’il y est fort probable que les pilotes enlèvent leur masque une fois seuls dans le cockpit et que cela n’aura aucun impact sur votre sécurité. Au contraire cela l’améliore.

Photo : pilotes avec un masque dans le cockpit De Safuan Salahudin via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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