Pendant des années on a pensé que la sécurité aérienne était un concept essentiellement technique : avec des avions fiables et des pilotes qualifiés on allait approcher du risque zéro. Et pourtant dans les années 70 les accidents n’ont cessé de se multiplier alors que le trafic croissait, mettant cette croyance à mal.
100% des accidents aérien sont d’origine humaine
La cause a fini par être trouvée : les accidents étaient d’origine humaine. Je dirais même profondément humaine. Ca n’était pas un problème de fiabilité du matériel, pas une question de capacité du personnel navigant à gérer certaines situations pour ce qui relève du pilotage pur, mais cela posait la capacité qu’avaient des êtres humaines à travailler ensemble pour résoudre un problème.
Vous lirez souvent que 85% des accidents sont d’origine humaine mais après en avoir discuté avec des pilotes expérimentés nous pensons en fait que ce sont quasiment 100% des accidents aériens qui ont une cause humaine. En effet par cause humaine on entend souvent « quelque chose qu’à fait ou pas fait un pilote dans un cockpit ». Mais lorsqu’un logiciel ou une pièce est mal conçue et dysfonctionne c’est également un humain qui l’a conçu, fabriqué, vérifié sa qualité, installé etc. Bref l’erreur humaine ne vient pas que des occupants du cockpit même si en général ils sont les premiers désignés car les morts ont plus de mal de défendre devant un tribunal.
Aussi loin que l’on remonte la chaine de causalité à un moment il y a un humain. Ensuite le reste s’enchaine.
Un problème de communication interpersonnelle avant tout
Le monde de l’aérien en est donc venu à s’intéresser aux facteurs humains et admettre que la cause d’un accident ne pouvait pas être que mécanique.
Avoir du matériel fiable et du personnel compétent et entrainé ne suffit en effet pas à une sécurité optimale : il faut que tout cela s’articule bien et donc que le personnel navigant communique et collabore mieux ensemble.
Mais il a fallu quelques accidents dramatiques pour arriver à cette prise de conscience avec comme point d’orgue le vol United Airlines 173 du 28 décembre 1978 que beaucoup considère comme un moment pivot dans la prise en compte des facteurs humains dans la sécurité aérienne.
Le vol UA 173 s’approchait de sa destination, Portland, lorsqu’un dysfonctionnement est identifié lors de la sortie du train d’atterissage.
Le commandant joue la carte de la sécurité et décide de bruler un maximum de fuel avant de tenter un atterissage de fortune avec un train mal sorti. Il est 17h00.
À 18h06, le copilote a dit au commandant de bord : « Nous allons perdre un moteur… » Le commandant a répondu : « Pourquoi ? Le copilote a de nouveau déclaré : « Nous perdons un moteur. » Le commandant a de nouveau demandé : « Pourquoi ? ». Le copilote a dit : « Le carburant ».
Le vol UA 173 s’est écrasé à 18h15 dans la banlieue de Portland. Une situation critique était devenue fatale.
Le NTSB (Le Conseil national de la sécurité des transports au USA) a identifié la cause probable de ce crash :
« L’incapacité du commandant de bord à surveiller correctement le niveau du carburant de l’avion et à réagir correctement à un faible niveau de carburant et aux avis des membres d’équipage concernant le niveau de carburant. Cela a entraîné l’épuisement du carburant de tous les moteurs. Son inattention est due à sa préoccupation concernant un dysfonctionnement du train d’atterrissage et les préparatifs d’un éventuel atterissage de fortune.’
Le NTSB a également déterminé le facteur contributif suivant :
« L’incapacité des deux autres membres de l’équipage à comprendre pleinement la criticité du niveau de carburant ou à communiquer avec succès leur inquiétude au commandant de bord. »
Si vous voulez revivre l’histoire du vol UA 173 cette vidéo est faite pour vous. Vous y verrez que le crash aurait pu être évité si le commandant avait prêté attention à l’alerte carburant de son copilote et s’était posé au lieu de refaire un dernier tour au dessus de l’aéroport alors qu’il n’avait qu’à s’aligner sur la piste (31:35).
Vous verrez que malgré les alertes le commandant ne prend absolument pas conscience du problème de carburant, concentré qu’il est sur le problème de train. Ou, autre point de vue, que le copilote ou l’officier mécanicien n’ont pas réussi à capter son attention et faire passer leur message.
L’enquêteur du NTSB qui a travaillé sur ce vol a alors rouvert les dossiers de deux accidents passés (Eastern Air Lines 401 et la collision à Tenerife d’un 747 de la Panam et un autre de KLM) pour se rendre compte qu’ils avaient tous des causes similaires.
C’est à la suite de ces 3 accidents notamment que le concept de CRM (Crew Relationship Management) a été introduit et généralisé. La CRM se concentre sur la communication interpersonnelle, le leadership et la prise de décision dans le cockpit d’un avion de ligne.
Qu’est ce que le CRM
Ce qui suit est vraiment un effort de vulgarisation et les « Avgeeks » et autres pilotes n’y apprendront absolument rien. Par contre cela répond aux questions de beaucoup de nos lecteurs néophytes qui s’imaginent que dans le cockpit, en cas de problème, l’improvisation règne.
C’est un ensemble de procédures que doit suivre l’équipage afin de faciliter l’écoute et la collaboration dans la prise en compte et la résolution des problèmes.
Les domaines couverts par le CRM sont :
Communication et compétences interpersonnelles
Ca n’est pas parce qu’on donne une information qu’elle est entendue, comprise et par la bonne personne. Donner une opinion au lieu d’énoncer des faits peut biaiser la réflexion et l’action des autres.
Un expert en CRM nommé Todd Bishop a mis au point un processus de déclaration assertive en cinq étapes qui comprend des étapes d’enquête et de plaidoyer :
Capter l’attention – S’adresser à la personne en la nommant par son nom ou son poste.
Exprimer une préoccupation – Exprimez votre analyse de la situation de manière directe de manière « dépassionnée »
Exposer le problème tel qu’il est vu
Énoncer une solution
Obtenir un accord – l’acceptation de la solution par les autres doit être formelle et pas implicite
Conscience de la situation
La conscience de la situation fait référence à la capacité d’une personne à percevoir avec précision ce qui se passe dans le cockpit et à l’extérieur de l’avion. Elle s’étend en outre à la planification de plusieurs solutions pour toute situation d’urgence qui pourrait se produire dans un avenir immédiat.
Résolution de problèmes, prise de décision et jugement
Pendant la phase de demande et de fourniture d’informations, certains points de vue contradictoires se manifester. Les compétences en matière de résolution des conflits sont donc particulièrement utiles. Le fait de vérifier l’impact d’une décision tout de suite après son exécution
Leadership et « followership »
La crédibilité d’un leader se construit au fil du temps. De même, chaque membre d’équipage qui n’est pas en position de leadership a la responsabilité de contribuer activement à l’effort d’équipe, de suivre l’évolution de la situation et de s’affirmer lorsque cela est nécessaire.
Gestion du Stress
Les compétences liées à la gestion du stress ne concernent pas seulement la capacité d’une personne à percevoir et à gérer le stress des autres, mais surtout à anticiper, à reconnaître et à gérer son propre stress. Cela comprend les choses liées aux tâches quotidiennes au travail, les problèmes interpersonnels avec les membres de l’équipage, les problèmes domestiques et les « accidents de la vie ».
Critique et autocritique
La critique fait référence à la capacité d’analyser un plan d’action, qu’il soit futur, actuel ou passé.
Voila donc des domaines dans lesquels tous les pilotes sont formés, régulièrement entrainés et testés afin de limiter au maximum les risques liés aux facteurs humains dans l’entreprise.
Le 100% sans risque n’existe pas !
Quoi qu’il en soit et même si l’avion est de loin le moyen de transport le plus sûr au monde, le risque zéro n’existera jamais.
Le CRM peut avoir des défaillance, le personnel être mal formé ou, tout simplement, des questions culturelles peuvent venir jouer les troubles-fêtes.
Ce fut le cas lors du crash du vol Asiana 214 lors d’un atterrissage à San Francisco. Dans la culture asiatique il est difficile de remettre en cause l’autorité du chef. Conséquence : le co-pilote voyait que le commandant de bord allait rater sa manoeuvre mais n’a osé ni le contredire ni reprendre les commandes avant qu’il ne soit trop tard.
A l’inverse on cite l’accident du vol 42 de Qantas, dont un moteur a explosé en vol après le décollage, comme un excellent exemple d’application du CRM et de collaboration au sein de l’équipage.