Il faut être au choix inconscient ou optimiste pour se dire que le COVID-19 peut, sous une forme ou une autre, représenter une alternative pour le secteur du voyage. Pour autant, et comme tout secteur, il doit bien faire avec et dès lors deux options peuvent se présenter.
La première est de de pleurer devant des années de croissance réduites à néant, les finances qui s’effondrent sans aucun revenu à mettre en face, des commandes d’avions qui semblent d’un seul coup démesurées….Même si se présenter en victime expiatoire et attendre la fin du déluge pour voir si on est encore vivant est une attitude très commune, ça n’est pas – et toutes les crises passées le montrent – le meilleur moyen de saisir le peu de chances d’améliorer les choses pourvu qu’elles existent.
La seconde est de se dire que dans chaque crise réside une opportunité (d’ailleurs, ironiquement, en chinois on utilise le même mot pour les deux) et faute d’avoir prise sur ce qui se passe autant essayer de tirer profit de ce qu’on peut. Ca ne sera souvent pas grand chose, parfois on espérera juste que ça porte ses fruits à long terme mais perdu pour perdu autant mourir les armes à la main.
Mettre au rancart les appareils les moins rentables
Une chose est sûre c’est que les compagnies aériennes vont ressortir de la crise amaigries en termes de flotte, le retour à la « normale » du trafic n’étant pas à espérer avant…longtemps. Mais perdre du poids n’est pas toujours une mauvaise chose car maigrir ne veut pas toujours dire s’affaiblir. On même ressortir d’un régime en meilleure forme qu’avant, la question est de savoir si on perd du muscle ou du gras.
Dans l’état actuel des choses ce qu’on a vu c’est que de nombreuses compagnies ont d’ores et déjà décidé de sortir certains appareils de leur flotte, sans espoir de les revoir en service. B747, A380, A340 et même des A320 « ancienne génération » qui devaient être remplacés à terme par des version plus efficaces niveau carburant.
Pourquoi les gardait on ? Parce que les appareils plus efficaces devant les remplacer n’allaient être livrés que dans quelques années et qu’en attendant, vu la demande, il fallait bien faire face à la demande même avec des appareils peu ou moyennement efficaces.
La le problème est réglé : en attendant l’arrivée des nouveaux appareils dans 1 ou 2 ans il n’y a plus de raisons de maintenir le même niveau d’offre donc autant se débarrasser des appareils les moins rentables.
A la reprise on ne retrouvera pas de sitôt le même nombre de clients ni le même niveau de revenu. Par contre la rentabilité moyenne de chaque siège vendu sera supérieure. Moins de revenus mais plus rentable.
Ca n’effacera tout ce qui a été perdu et on s’en serait bien passé mais quitte a chercher une opportunité pour sortir de vieux appareils sans trop y perdre elle est là.
Anticiper des investissements
Alors là c’est sur il faut avoir du cash devant soi mais c’est possible, notamment pour les infrastructures lourdes.
Quand j’ai vu que l’aéroport de Singapour allait fermer son terminal 2 pour 18 mois j’ai failli tomber de ma chaise. Oui la situation est dramatique mais 18 mois de manière irrévocable…c’est quand même un peu beaucoup.
En fait le T2 devait fermer pour agrandissement et rénovation pour près de 4 ans. La réduction du trafic attendue a permis d‘anticiper les travaux et de les accélerer pour qu’ils durent moins longtemps et avec un impact moindre sur le trafic et l’expérience des passagers qui fréquenteront l’aéroport à sa réouverture.
On commence à voir des hôtels anticiper des travaux et rénovations également. Quitte à tourner avec un taux de remplissage nul ou faible pendant 1 ans autant faire aujourd’hui les travaux qui étaient prévus dans 1 ans histoire de ne pas avoir la double peine : une année 2020 horrible et être fermés quand ça reviendra à la normale.
De la même manière Etihad ne se contente pas d’immobiliser 80% de sa flotte mais en profite pour anticiper toutes ses opérations de maintenance. L’idée là encore est de ne pas, lorsque le trafic reprendra, avoir à immobiliser des appareils pour des opération mineures ou majeures alors que cela aurait pu être fait lorsqu’ils ne pouvaient pas voler. Il s’agit là de la plus grosse opération de maintenance de son histoire.
Améliorer l’expérience client
Il ne fait guère de doute que pendant une durée plus ou moins longue et pour des raisons sanitaires il ne sera pas possible d’utiliser les cabines des avions à leur pleine capacité et qu’il faudra laisser davantage d’espace entre les passagers. Là encore plutôt que s’effondrer devant des faits face auxquels on ne peut rien, ça peut être un très bon moyen de profiter de cette moindre densité pour améliorer le confort et le service, et pourquoi pas changer la perception du client qui percevra une sorte de premiumisation. Ici il n’est question que d’attitude et d’attention…ça ne coûte pas cher.
Et si la chose devait durer des années comme d’aucuns le pressentent ? En arriver là serait un désastre pour l’essentiel du secteur, il faudra composer avec une nouvelle donne : moins de passagers et un yield qui monte car on peut se retrouver à un moment où la demande sera largement supérieure à l’offre de sièges (si on enlève un siège sur deux en éco ça va aller vite) et il sera temps de se demander s’il ne faut pas redesigner les cabines en tirant profit de cet espace désormais inutilisable pour le valoriser aux yeux du client.
Prendre soin de ses clients, aujourd’hui
Elle est bien bonne celle-là ! Prendre soin de ses clients quand on en a plus… Et bien justement ! La question n’est pas tant de penser à aujourd’hui, la cause est déjà entendue mais à demain.
Combien de temps mettront ils à revenir ? Vont ils nous oublier et aller à la concurrence ? Le paradoxe de l’expérience client c’est qu’on est moins marqué par ce qui se passe bien que parce qui se passe mal et est impeccablement géré.
Il y a eu pour 35 milliards de dollars de billets d’avion annulés. Une fois la déception passée et entendu que les compagnies ne pouvaient faire autrement, le client ne se souviendra que d’une chose : comment les compagnies ont géré cela. Et là les politiques des différentes compagnies sont très disparates (même si on les voit bien converger à terme…justement pour les raisons que nous invoquons). Le client aura-t-il l’impression d’être pris en otage ? Volé ? Ou au contraire que dans un contexte difficile on a tout fait, commercialement, pour lui proposer l’option la plus adaptée : remboursement, report de vol, « voucher » avec un bonus qui peut s’élever à plusieurs centaines de dollars par vol ? Tout le monde n’attendra pas la même chose et plus les compagnies seront flexibles et accommodantes plus les clients s’en souviendront. A l’inverse celles qui se montreront rigides voire se désintéresseront du client…. (à tempérer avec la culture « locale » : selon les pays l’attente du client en termes de « care » est radicalement différente »). Bien joué Air France sur ce coup là.
Et les passagers fréquents, les membres du programme de fidélité ? Ceux là viennent par réflexe pour bénéficier des avantages lié à leur statut et il s’agit d’une clientèle captive ou presque pourvu qu’on ne commette pas d’impair. Comme attendu les plus hauts statuts qui sont également les meilleurs clients se sont émus de la situation et quasiment tous les programmes de fidélité hôteliers et aériens ont fini par prolonger d’un an la durée de validité des statuts et des miles… Car c’est cette clientèle dont on aura le plus besoin pour redémarrer et pas question de la défidéliser en la dégradant de 2 ou 3 niveaux pour lui donner des raisons d’aller à la concurrence.
C’est en ce moment que se joue le capital « affectif » des clients pour les compagnies aériennes et les hôtels. Ils ne voyagent pas mais se souviendront toujours de la manière dont ils ont été traités à cette époque. Surtout les meilleurs d’entre eux.
Se montrer solidaires
Oui c’est une question d’image mais ça compte à une période où le marketing est inaudible voire inacceptable. On n’oubliera pas les chambres qu’Accor, Marriott et d’autres mettent à disposition des personnes en quarantaine ou des soignants.
On n’oubliera pas non plus que si 130 000 français sont rentrés chez eux c’est principalement grâce à Air France et Qatar Airways. Les soignants se rappelleront qu’Air France leur a fait don de trousses de confort…à la fois peu et tellement vu ce qu’ils vivent.
On en parle peu aujourd’hui mais demain les passagers se souviendront de tout cela.
Alors oui ça ne réglera pas tout et beaucoup d’acteurs du secteur font face à un hiver thermonucléaire…et ça ne fait que commencer. Mais le peu qu’il y a à faire doit être bien fait. Pour l’image, pour le futur, les passagers qui n’oublieront pas, pour les équipes qui seront fières de leur employeur.
Photo : avion en papier de KieferPix via Shutterstock