Programmes de fidélité : la perte de statut du client, un risque industriel pour le secteur du travel

Ca ne sera une surprise pour personne, cette année les gens vont beaucoup moins voyager. Pour beaucoup il y aura le regret d’avoir raté ses vacances mais pour d’autres il y aura ici la réalisation d’un cauchemar : perdre son statut dans un ou plusieurs programmes de fidélité hôteliers et aériens.

Le programme de fidélité : anecdotique pour certains, graal pour d’autres

Soyons clairs : chez TravelGuys on pense qu’à part pour de très gros voyageurs les programmes de fidélité dans le travel n’ont que peu d’intérêt. Enfin presque.

Etre membre, oui ! Cela donne quelques avantages comme parfois du wifi gratuit ici où là et tout simplement cumuler des points/miles pour un jour espérer s’offrir un billet ou une nuit gratuite.

S’investir totalement pour espérer un statut, non ! En général les programmes ont 3 ou 4 niveaux de statuts et seuls les 2 premiers sont intéressants. Passer 10 nuits chez Accor pour une boisson de bienvenue ou 30 pour un éventuel surclassement en chambre de catégorie supérieure c’est beaucoup demander à un client « normal » pour lui offrir peu. Pas mieux chez Marriott pour le silver et le gold. Et dans l’aérien c’est encore plus pingre. Bref a moins de 50 nuits d’hôtel par an strict minimum et 12 longs courriers en business sur Air France pour devenir gold si vous partez de zéro cela demande beaucoup d’efforts, une fidélité à toute épreuve pour pas grand chose.

Par contre certains par nécessité ou passion en ont fait leur terrain de jeu. Avec une demi douzaine de longs courriers en business par an ou 75/100 nuits d’hôtel les privilèges commencent à tomber, a fortiori dans l’hôtellerie.

Autant vous dire que pour 90% de ces personnes détenteurs de statuts Diamond, Platinum voire gold la descente risque d’être très sévère même si certains programmes ont une clause de « soft landing » qui permet de ne pas descendre de plus d’un niveau par an.

Ca n’est qu’une estimation « au pif » mais je pense qu’en l’état actuel des choses c’est à minima 75% des plus hauts statuts qui ne seront pas conservés (peut être un peu moins car dans certains cas la période de requalification n’est pas calée sur l’année civile).

Il y a plus important que les statuts non ?

Alors à l’heure où j’écris je suis bien d’accord pour dire que c’est le dernier des soucis des passagers et du secteur. Aujourd’hui l’important pour les acteurs du secteur c’est comment faire le dos rond en attendant que ça passe et certains vont y laisser beaucoup de plumes, notamment dans l’aérien. Pour le passager c’est de savoir qu’à la sortie de l’épreuve lui et ses proches n’auront pas souffert.

Oui mais à un moment il faudra remettre l’industrie en marche. Remplir des hôtels et des avions le plus rapidement possible, parler à des personnes qui aura sûrement encore un peu peur de voyager juste pour le plaisir.

Et dans cette perspective cette clientèle là est essentielle ! Ce sont les gens qui pour le travail ou pour le plaisir seront les premiers à revoyager et revoyager loin ! Ce sont ceux qu’un groupe hôtelier ou une compagnie aérienne n’ont pas besoin de convaincre d’aller chez eux plutôt qu’à la concurrence.

Mais que se passe-t-il si le passager en question a perdu ou peur de perdre son statut si durement acquis ?

Le statut : entre business et affect

Cela va en amuser certain mais le programme de fidélité, notamment pour les détenteurs de hauts statuts, est un lien quasi affectif entre le client et un groupe hôtelier ou une compagnie aérienne. C’est ce côté affectif qui fait qu’ils réservent sans même regarder la concurrence, qu’ils réservent en direct et non par une agence en ligne qui mange la marge du professionnel.

La perte du statut c’est un peu comme une rupture affective, comme être obligé d’aller dormir dans le canapé du salon car la porte de la chambre s’est fermée. Une vraie injustice car le statut n’est pas perdu du fait du client, pas parce qu’il a été un peu trop « voir ailleurs », mais parce qu’on l’a empêché.

Alors oui la relation sera endommagée mais il y a pire. Quitte à démarrer l’année sans aucun bénéfice pourquoi finalement ne pas regarder la concurrence car on n’a plus aucun intérêt à aller là où était fidèle jusqu’à présent.

Autre conséquence : le client qui n’a pas perdu son statut qui expire un peu plus tard mais sait qu’il n’a aucune chance de le conserver va repousser ses intentions de voyages. « J’ai un potentiel de 20 nuits jusqu’à la fin de l’année, il m’en faut 75, autant ne rien faire et économiser de toute manière je repars de zéro l’an prochain ».

Je rappelle qu’on parle de clients captifs qui sont ceux qui ont le plus haut niveau de dépense moyen par séjour. En pour être précis de clients qui étaient captifs.

On est au milieu du business et de l’affect et les deux sont liés. Mettez vous à la place d’un hôtel ou d’une compagnie aérienne : c’est la clientèle sur laquelle on va compter pour repartir, si on commence par décevoir le redémarrage de l’activité sera plus long et on aura peut être perdu les meilleurs clients au profit d’un concurrent. Double peine car si je les nomme « hauts statuts » ici, le secteur les nomme « haute contribution ». Vous comprenez pourquoi ?

Quelle stratégie pour les professionnels du secteur ?

Le secteur a pris la mesure du danger. On pourrait croire de prime abord que « moins de statuts élevés = moins de bénéfices à distribuer = moins de coûts » mais lorsqu’on comprend qu’on ne parle de coûts mais d’investissements on comprend qu’il s’inquiète.

On a vu des hôteliers dès le départ faire des mesures spéciales. Par exemple Marriott a dès le début de la crise annoncé que les statuts de ses clients chinois seraient prolongés d’un an. Dit autrement même s’ils ne font pas une nuit dans l’année ils garderont leur statut quand même. Mais maintenant c’est tout le monde qui est concerné.

Mais voici ce que peuvent faire les industriels du secteur pour ne pas « perdre » leurs hauts statuts et s’en servir de levier de redémarrage de l’activité une fois la crise passée. Des gestes d’autant plus importants qu’ils seront vus comme une preuve d’attention et contribueront même à renforcer la fidélité.

1°) Maintient des statuts sans condition

Vous aviez un statut avant la crise Coronavirus, vous n’arrivez pas à le conserver, et bien on le maintient. Le geste le plus fair play.

Autre dimension à prendre en compte pour les programmes qui offrent un statut à vie : inclure ce statut dans le décompte et pas comme un geste commercial.

Je m’explique, il peut arriver qu’à titre de geste commercial on vous décerne/proroge un statut mais il ne compte pas dans le nombre d’années de détention du statut qui décide de l’attribution d’un statut à vie.

Pas grave par exemple chez Marriott pour qui les années n’ont pas à être consécutive donc une interruption n’a pas d’autre conséquence que repousser le statut à vie d’un an. Par contre chez SAS ou Air France qui demandent 10 années consécutives il est clair que le passager qu’on remet à zéro après 4,5,6 ou 7 ans n’aura aucune envie de recommencer la partie en partant de rien et sera aussi enclin à l’infidélit.

2°) Baisser les seuils

On peut aussi décider d’abaisser les seuils permettant d’atteindre tel ou tel statut. Il se dit que Flying Blue va ainsi les baisser de 25%. A mon sens vu l’impact de la crise ça ne changera pas grand chose. Bien sur tout dépend des programmes et même du secteur (ce sera peut être plus simple sur de l’hôtellerie que sur de l’aérien) mais 50% me semblerait plus approprié.

3°) Allonger la période de qualification

Au lieu d’avoir un an pour conserver son statut on aurait 15 ou 18 mois. Mais là encore vu la situation actuelle et le manque de perspectives je pense que 24 mois seraient mieux…ce qui ramène de fait à la première hypothèse de maintien des statuts sans condition.

4°) Promotions et challenges

C’est une pratique qui a parfois cours lorsqu’on se rend compte qu’un client est un peu en retard sur son rythme habituel. Retard passager ? Passage à la concurrence. Pour le motiver on lui annonce que sur une période donnée, par exemple, tous ses séjours à l’hôtel comptent double. Utile pour booster les séjours des clients attentistes qui ne savent si ça vaut la peine de courir après un statut.

5) Soft landing

On l’a évoqué plus haut. Certains programmes prévoient déjà qu’on ne puisse pas perdre qu’un niveau de statut à la fois mais d’autres non. Pour ces derniers l’introduire de manière exceptionnelle ou définitive serait une manière de limiter la casse.

6°) Rien

Suicidaire ? Et bien je pense que certains vont le faire, notamment dans l’aérien.

Allez, on suit tout cela et on en reparle une fois qu’on y verra plus clair. Mais il est certains qu’une fois l’orage passé compagnies et hôteliers ne pourra laisser leur programme de fidélité décevoir 75% de ses membres a minima et démarrer 2020 sans quasiment aucun client à ses deux ou trois niveaux les plus élevés.

Photo : passager désespéré de Ljupco Smokovski via Shuttertock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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