Lentement mais surement Turkish Airlines s’installe comme un acteur majeur du paysage aérien mondial avec une flotte qui devrait doubler dans les 10 prochaines années. Mais cette ambition est-elle réaliste ?
C’est amusant mais lorsque nous évoquons Turkish Airlines avec des gens qui ne suivent pas l’actualité du transport aérien nous faisons souvent face à des regards incrédules et avons même droit à des questions du genre « c’est sérieux comme compagnie ? ». Cela s’arrange un peu avec les nombreuses campagnes de communication visant à améliorer le soft power de la compagnie turque (sponsor de la Ligue des champions de football et de l’Euroleague de basket) mais nous avons l’impression qu’à part ceux qui ont volé avec elle les gens n’ont qu’une vague idée de la qualité de son produit et surtout de sa taille et de son ambition.
Un changement de statut récent
Si la compagnie a été fondée en 1933 sous le nom de Havayolları Devlet İşletme İdaresi (Administration d’État des voies aériennes) elle a longtemps stagné et est restée une compagnie de second ordre avant d’entreprendre sa marche en avant.
Jusqu’en 1956 elle sera une compagnie plutôt mal équipé, exclusivement dédiée aux lignes intérieures. Ca n’est qu’alors qu’elle décide d’accroitre et moderniser sa flotte et le nom de « Société anonyme des lignes aériennes turques » (Türk Hava Yollari anonim ortakligi). Un nom qu’elle a d’ailleurs envisagé reprendre dernièrement mais il semble que cette initiative soit restée sans suite mais le code OACI de la compagnie est de toute manière resté THY et il est fréquent qu’on la désigne ainsi. Elle deviendra Turkish Airlines en 1964 dans une volonté d’internationalisation qui nécessitait un nom lisible à l’étranger.
Mais la compagnie stagne et connait de nombreux problèmes de sécurité qui entachent sa réputation et freinent sa croissance. En 1974 un DC 10 de la compagnie s’écrase peu après son décollage d’Orly (vol 981) et les 346 passagers et membres d’équipage périssent dans l’accident. Puis de 1975 à 1984 l’ASALA (Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie) commet des attentats contre les intérêts turcs à travers le monde. Les bureaux de la compagnie sont visés à plusieurs reprises et, encore une fois, c’est à Orly qu’un attentat contre les guichets d’enregistrement de Turkish Airlines fait 8 morts et 56 blessés. Quand on y ajoute l’instabilité politique que connait le pays l’image de la compagnie n’est pas bonne et son développement est des plus laborieux.
C’est au début du XXe siècle que tout change. La compagnie est partiellement privatisée et bénéficie de l’essor du transport aérien mondial. Elle renouvelle sa flotte avec l’achat de Boeings 737 et d’Airbus A340. Dès lors sa croissance sera ininterrompue malgré les crises qui ont touché le secteur. En 2008 elle est la 7e compagnie européenne en taille de flotte.
Turkish Airlines aujourd’hui
Selon les classements les données varient un peu selon les critères et la période prise en compte mais aujourd’hui Turkish Airlines est dans le top 3 des compagnies aériennes européennes en termes de flotte et de passagers transportés (certains classements comptent par exemple Air France et KLM ou l’ensemble du Lufthansa Group comme une seule compagnie ). Elle est, en taille de flotte aux alentours du 10e rang mondial.
Par contre il y a un record que la compagnie détient sans aucun conteste c’est du record du nombre de pays desservis avec 269 destinations dans 121 pays, ce qui lui donne le plus important réseau international au monde (certaines compagnies US desservent plus de destinations mais ont beaucoup moins de liaisons internationales).
Mais s’il y a une chose à noter à propos de Turkish Airlines, c’est que ça n’est plus la compagnie de seconde zone à la qualité douteuse qu’on a connu dans les années 80. S’il y a une chose sur laquelle tout le monde s’accorde et que vous avez pu noter en lisant nos revues de vols sur Turkish Airlines c’est la qualité de son service.
C’est un sujet sur lequel elle collectionne les récompenses. Du côté des Apex Awards elle a le label « Compagnie aérienne de classe mondiale » et elle reçoit 5 étoiles. Du côté de Skytrax et même si nous prenons ce classement avec des pincettes et même si les relations entre Skytrax et Turkish Airlines n’ont pas toujours été au beau fixe : en 2022 7e meilleure compagnie aérienne mondiale, meilleure compagnie européenne, meilleur catering en business class.
Ce qui, selon notre expérience avec la compagnie, est tout sauf démérité.
Mais Turkish Airlines c’est également un bel outil de travail : le nouvel aéroport d’Istanbul qui remplace avantageusement le vieil Ataturk qui était un frein au développement de la compagnie.
Aujourd’hui il est classé 6e meilleur aéroport au monde par Skytrax mais, preuve que ces classements sont à prendre avec des pincettes, Paris CDG est 5e.
Quoi qu’il en soit cet aéroport, fort joli, immense (c’est d’ailleurs le principal reproche qui lui est fait, on y marche beaucoup), totalement surdimensionné pour les besoins actuels de la compagnie a justement été conçu pour accompagner sa croissance. Quand Air France-KLM voit Schiphol comme un handicap, que la construction d’une nouvelle piste à Heathrow se fait attendre, c’est un avantage majeur pour l’avenir.
A terme l’aéroport d’Istanbul aura une capacité annuelle de 200 millions de passagers, à comparer aux 92 millions de Dubai ! Et sa position géographique lui permet tout autant de revendiquer le rôle de plaque tournante entre l’Europe et l’Asie.
Mais justement, pour que cet outil prenne tout son sens il faut que la compagnie croisse…
Une flotte doublée en 10 ans
Car même si on se doute que le COVID a, chez Turkish Airlines comme ailleurs, repoussé certaines ambitions à plus tard, on ne voyait rien venir en termes de commandes d’avion ou même de message quant aux ambitions de la compagnie. Un manque réparé depuis la semaine dernière où la compagnie a dévoilé ses plans pour les 10 prochaines années qui la mèneront à l’année de son centenaire en 2033.
• La compagnie ambitionne d’opérer 435 appareils en 2023 et 800 en 2033. Aujourd’hui sa flotte est de 390 appareils. Il s’agit donc de doubler de taille.
• Elle compte desservir 400 destinations contre 269 aujourd’hui.
• Elle projette de transporter 170 millions de passagers contre 85 millions aujourd’hui.
• Elle vise un effectif de 150 000 employés contre 75 000 aujourd’hui.
• Elle compte améliorer la cabine de l’ensemble de sa flotte.
• Elle compte enfin faire passer sa filiale low cost AnadoluJet de 57 à 200 appareils.
Pour réaliser à quel point ces chiffres sont impressionnants il faut regarder les flottes des autres compagnies. Les compagnies qui ont les plus grosses flottes sont les compagnies américaines, ce qui se justifie par la taille de leur marché intérieur : 937 appareils pour American Airlines, 892 pour United, 943 pour Delta.
A côté de ça Emirates connue pour la puissance de son hub ne compte que 264 appareils mais principalement des gros porteurs. Lufthansa en a 326 et Air France 209.
Une ambition réaliste ?
Prenons les éléments de l’annonce un par un
Desservir 400 destinations
C’est ambitieux mais totalement réaliste d’autant plus que Turkish Airlines, contrairement à Qatar Airways dont nous parlions il y a peu ou Emirates, ne rechigne pas à ouvrir et opérer des lignes avec des petits modules (A320, B737…) quitte à multiplier les rotations et mélanger selon les créneaux des bicouloirs et des monocouloirs.
Beaucoup plus simple d’ouvrir de nouvelles destinations avec cette approche, encore faut il avoir les appareils pour le faire.
Quant à l’augmentation du personnel et du nombre de passagers c’est proportionnel, tout est lié.
Renouveler ses cabines
C’est une excellente nouvelle car c’est peut être le point faible du produit Turkish Airlines notamment sur les bicouloirs. Ses monocouloirs sont en effet, même pour les pires d’entre eux, aussi bons que ceux de n’importe quelle autre compagnie. Quant à leur business class elle est largement au dessus de celles de ces concurrentes européennes.
Par contre la situation n’est pas aussi rose pour ses bicouloirs. Alors que les cabines des récents B787 et A350 sont aux standards du marché, celles de ses A330 et B777 commencent à dater, principalement en business class. Au moins tout est full flat mais pas de full access et un design qui fait son âge. C’est donc une excellente chose d’apprendre qu’un retrofit est prévu.
Cela fait 70 appareils à rétrofiter, rien d’insurmontable.
Ajoutons juste une chose, c’est que peu importe l’appareil le soft product est de très haut niveau avec de très bons équipages et un excellent catering. Vous aurez également des plats chauds peu importe la durée du vol et la classe de voyage (même sur un Istanbul Izmir de 40 minutes en economy).
Passer à 800 appareils
C’est là que vous avons le plus de doute car cela signifie passer une commande de plus de 300 appareils car la compagnie en a très peu en commandes actuellement. Or, comme nous l’avons déjà expliqué les backlogs d’Airbus et Boeing sont déjà pleins pour les 10 années à venir. A cela s’ajoute des problèmes de supply chain et de production qui font que les deux constructeurs ne cessent d’annoncer des retards !
Même en passant une méga commande de immédiatement nous voyons mal comment ils pourraient être livrés à temps ! Et ça n’est pas en récupérant des appareils qui auraient dû être livrés à d’autres, comme Aeroflot, que cela changera beaucoup de choses.
Par contre dans 10 ans les A330 et B777 ne seront pas à remplacer immédiatement car ils sont encore jeunes : 8 ans en moyenne pour les 777, 11 pour les A330.
Aujourd’hui Turkish Airlines a une flotte équilibrée entre Airbus et Boeing : elle opère en effet des A319, A321, A321, A330, A350, B737, B777 et B787.
Cela ne va pas changer car la compagnie se félicite de cet équilibre qui fait que les problèmes d’un constructeur ne remettent pas totalement en case ses approvisionnements.
On peut donc s’attendre à des commandes probablement assez rapides de près de 200 appareils chez chacun des deux constructeurs, mais de là à ce qu’ils soient livrés à temps…nous avons des doutes.
Conclusion
Turkish Airlines a l’ambition de se positionner comme une des plaques tournantes du transport aérien mondial au même titre que Dubai et a des projets d’investissements conséquents pour y parvenir.
Toutefois si la compagnie se donne les moyens de ses ambitions nous voyons mal comment le calendrier pourrait être tenu. Cela suppose aussi qu’aucune crise n’intervienne entre temps ce qui dans l’aérien est une chose très rare.
Et vous ? Pensez vous que les plans de Turkish Airlines sont réalistes ?
Avez vous déjà voyagé avec eux ? Qu’en avez vous pensé ?
Dites le nous dans les commentaires.
Image : A330 Turkish Airlines de EvrenKalinbacak via Shutterstock