La date limite de dépôt des dossiers pour le rachat d’ITA Airways est passée et on connait désormais les deux prétendants : Air France-KLM et Lufthansa Group. Une décision devrait être prise d’ici la fin du mois et un accord signé mi septembre. Regardons les forces en présence
Certares Management et Air France
La première offre vient du fonds d’investissement américain Certares Management, accompagné par Air France-KLM et Delta Airlines. Elle est de 650 millions d’euros et porte sur 60% du capital de la compagnie italienne.
Partenaire histoire de feue Alitalia et d’Italia aujourd’hui, partenaires au sein de l’alliance Skyteam, il était évident qu’Air France KLM ne pouvait pas laisser ITA passer à la concurrence après avoir même failli la racheter il y a quelques années si le gouvernement Berlusconi n’avait pas fait capoter l’affaire au dernier moment.
Mais le groupe franco-néarlandais n’a visiblement pas encore les moyens de mener cette opération seul à moins que n’ayant pas encore totalement remboursé des « aides COVID » (contrairement à ce qu’on pouvait penser) il ne soit pas autorisé à opérer une prise de participation supérieure à 10%. L’offre d’achat est donc véritablement portée par Certares qui prendrait un peu moins de 50% du capital, Air France et Delta se partageant 10% des parts.
Il y a également une autre lecture : Certares et Delta, en tant qu’actionnaire non européen ne peuvent détenir plus de 49% d’une compagnie européenne. La présence même symbolique d’Air France dans le tour de table et le fait de laisser 40% des parts au gouvernement Italien permettrait de garantir à ITA un actionnariat européen majoritaire.
On peut même imaginer qu’Air France-KLM compte d’ores et déjà racheter tout ou partie des parts de Certares une fois libérée de ses « contraintes COVID ».
En tout cas et même si ça n’est pas le groupe européen qui est aux manettes, voir ITA rester dans le giron d’Air France-KLM est comme une évidence au regard de l’histoire.
Mais tout le monde ne voit pas les choses ainsi, à commencer par Lufthansa Group.
Lufthansa Group et MSC
La seconde offre est donc portée par MSC (un armateur italien propriétaire de MSC Croisières entre autres) et Lufthansa et porte, elle, sur 80% du capital (60% pour MSC, 20% pour Lufthansa) pour une valeur de 850 millions d’euros.
Si elle peut sembler moins évidente que celle d’Air France-KLM au premier regard elle n’en a pas moins de sens. MSC est un groupe Italien, ce qui éviterait de froisser les égos locaux. Et si Lufthansa n’a jamais été un partenaire d’Alitalia / ITA au contraire d’Air France, le groupe allemand a toujours fait les yeux doux au marché italien et la réussite de cette opération lui ferait oublier l’échec cuisant de Lufthansa Italia, brève tentative de prendre pied sur ce marché au travers d’une filiale locale.
Deux offres de nature différente
Pour donner un favori il faut bien comprendre la nature de ces offres. Il n’y a pas que l’argent qui rentre en compte, il y a des questions d’égos, de susceptibilités et, donc, en un mot des enjeux polititques.
Comme Lufthansa l’a toujours proclamé à l’époque où il s’agissait de racheter Alitalia, il n’est pas question pour le groupe Allemand de mettre un centime dans une compagnie sans avoir le plein contrôle de sa stratégie afin de la piloter et la (re)structurer à sa guise comme cela a été fait pour Swiss, Austrian ou encore Brussels Airlines. Le message implicite est « on met le prix fort mais ensuite laissez nous tranquilles ». Une approche que l’on qualifiera d' »industrielle ».
L’offre à laquelle participe Air France est, elle, plus politique. Le gouvernement italien gardera 40% du capital, aurait le droit de nommer le président de la compagnie et aurait un droit de véto sur les choix stratégiques de l’entreprise. Un bon moyen d' »italianiser » l’offre face à MSC. Mais on voit que Certares et Air France-KLM jouent un autre jeu que MSC et Lufthansa.
En effet alors qu’on voit bien que Lufthansa veut prendre le contrôle pour étendre son groupe, il semble plus qu’Air France KLM veuille surtout ne pas voir ITA passer sous le contrôle d’un concurrent, quitte à devoir composer avec une gouvernance difficile. Le message implicite est « on rachète mais promis on ne fait pas de vagues et vous aurez toujours votre mot à dire sur la stratégie de l’entreprise« .
Un jeu risqué pour Lufthansa et Air France-KLM
Les deux compagnies prennent des risques dans cette affaire mais Air France-KLM encore plus que Lufthansa.
Lufthansa prend le risque de racheter une compagnie bâtie sur les cendres d’Alitalia et dont on peut craindre qu’elle ait hérité de ses mauvais côtés et s’avère très difficile à manager.
Pour Air France-KLM le risque et le même mais s’y ajoute la possibilité pour les italiens de peser assez pour faire échouer sa stratégie si elle ne leur plait pas. Le groupe franco-néerlandais fait un chèque en blanc et peut se retrouver aux commandes d’une compagnie impilotable et irréformable si cela devait être nécessaire. Peu importe, encore une fois, tous les signaux semblent dire « on ne veut pas la réussite économique, juste barrer la route de Lufthansa ». Très, très risqué.
Un choix économique ou politique ?
Quelle est la meilleure offre pour le gouvernement italien ? Tout dépend des critères.
Economiquement parlant la meilleure offre est celle de Lufthansa. Non seulement parce qu’elle rapportera plus d’argent mais parce que l’objectif du groupe allemand est de développer le Hub de Rome à destination de la méditerranée.
A l’inverse la perception, justifiée à notre avis, du gouvernement italien est qu’Air France-KLM va utiliser ITA pour alimenter le hub de Roissy et donc moins investir dans son développement,. ITA est là pour servir Air France et pas l’inverse.
Mais il y a une dimension politique forte, a fortiori lorsqu’on sait qu’un nouveau gouvernement sera nommé fin septembre qui peut potentiellement tout remettre en cause, notamment s’il penche un peu trop du côté des nationalistes. On a déjà vu ce que ça a donné à l’époque Berlusconi. Dans ce cas l’approche Certares/Air France-KLM ménage beaucoup plus les susceptibilités et rassurera ceux qui ne veulent pas voir un groupe étranger « saigner » une entreprise qu’ils considèrent comme un patrimoine national.
Conclusion
Lufthansa et Air France-KLM participent à deux offres de reprises d’ITA Airways avec deux optiques différentes : l’une industrielle, l’autre plus politique qui n’a visiblement d’autre raison d’être que de barrer la route à la première quitte à se retrouver avec une gouvernance pour le moins compliquée.
Aucune n’est meilleure que l’autre en soi : tout dépend de savoir si le choix du repreneur se fera sur des critères économiques ou politiques.
Image : ITA de Davide Calabresi via Shutterstock