Sous la pression de plusieurs compagnies aériennes et Etats membres de l’UE, IAG pourrait être contrainte de se séparer de British Airways pour se conformer aux règles du Brexit. Et, logiquement les anglais ne voient pas les choses de cette manière.
Après la crise on revient aux sujets terre à terre
La crise sanitaire avec relégué certains sujets au second plan mais maintenant que le bout du tunnel s’approche on voit le retour de certaines manœuvres d’arrière boutique et notamment l’application des conséquences du Brexit à IAG, société mère, entre autres, de British Airways, Iberia et Aer Lingus.
Certains états dont la France et l’Allemagne, poussent pour une application stricte des règles qui pourrait conduire IAG à devoir se séparer de British Airways pour rentrer dans les clous des règles de Bruxelles.
Que dit la loi ?
Comme nous l’avions expliqué lorsque avions évoqué à l’époque les possibles conséquences du Brexit sur le transport aérien, la réglementation européenne est claire : une compagnie qui opère des vols entre deux pays de l’UE doit être majoritairement détenue par des européens. Raison pour laquelle Easyjet a par exemple créé une filiale en Autriche.
La question se pose donc pour Iberia, Aer Lingus mais également Level et Vueling qui opèrent des vols intra-européens et sont propriété d’IAG, si on part du principe qu’IAG n’est pas une entreprise européenne au sens de la loi, c’est à dire avec une majorité du capital détenue par des européens.
IAG est elle Européenne ?
Car c’est bien là le vrai sujet : IAG est-elle une entreprise européenne ? A cette question a priori simple la réponse n’a pas l’air d’être aussi évidente. Comme nous l’écrivions à l’époque, IAG et l’UE ne sont pas sur la même longueur d’onde et ont une lecture radicalement différente des textes.
Rappelons ce qu’est IAG pour commencer. International Airlines Group, car c’est son nom, a été fondée en 2011 dans le cadre de la fusion entre British Airways et Iberia. A cette occasion les actionnaires des deux compagnies ont pris des part dans IAG qui, elle, est devenue leur actionnaire à 100%, les filiales devenant co-propriétaires de la holding qui les possède.
IAG est une entreprise de droit Espagnol, avec toutefois un siège social à Londres, et, chose importante, plus de la moitié de ses administrateurs sont désormais européens. Et c’est l’argument du groupe pour justifier de son statut européen : « si notre capital n’est pas européen, nos administrateurs le sont ».
Rappelons que la même technique avait été utilisée pour Iberia et c’est déjà l’argument qui était invoqué avant le Brexit. Grâce à un habile montage juridique qui avait pour but à l’époque de ne pas froisser les susceptibilités ibériques, les droits de votes étaient dissociés de la détention du capital. Iberia était propriété d’une entreprise qui n’a pas une majorité de capitaux européens mais comme les droits de vote appartiennent majoritairement à des espagnols, l’entreprise est dirigée par des espagnols, donc est espagnole, donc est européenne.
Ce qui nous amène donc à parler du capital d’IAG. Ce dernier est détenu par une majorité d’investisseurs européens et britanniques mais le plus gros actionnaire se trouve être l’état du Qatar avec 20% des actions. Avant le Brexit cela ne posait pas de problème, aujourd’hui maintenant que les investisseurs britanniques ne sont plus européens, seul 30 à 40% de son capital serait européen aujourd’hui, ce qui ne respecte pas la législation.
D’où le fameux débat sur les droits de vote et les administrateurs. Si on considère qu’une entreprise est européenne si elle est majoritairement détenue et contrôlée par des européens alors IAG peut tenter de faire valoir qu’elle est bel et bien sous contrôle européen. La question étant dès lors de savoir si détention du capital et contrôle sont des conditions cumulatives ou alternatives.
Et, pour finir, IAG conteste même le bien fondé de ces griefs. Selon elle l’Europe a validé sa conformité avant le Brexit et il n’y a plus besoin de revenir sur le sujet. Selon l’Europe il y a juste eu une pause dans sa demande de conformité en raison de la crise et de la volonté de laisser à IAG le temps de trouver une solution mais elle n’a jamais abandonné sa volonté de faire respecter la réglementation.
British Airways, victime collatérale
Et c’est ainsi que ressurgit la possibilité d’une scission entre IAG et British Airways. Pourquoi British Airways ? Honnêtement après avoir lu les explications de certains médias français on ne comprenait pas vraiment mais c’étaient les explications qui étaient mauvaises, pas la solution.
Nous avons effectivement lu des choses comme « une compagnie opérant entre deux pays européens devant être européenne, IAG réfléchit à se séparer de British Airways ». Mais British Airways n’opère aucun vol entre deux pays de l’UE ! Cela aurait été le cas si elle pratiquait le cabotage (par exemple un vol Londres-Paris-Lisbonne) mais ça n’est pas le cas. Au contraire ce sont des compagnies comme Iberia qui ici visées.
Alors, pourquoi British Airways ? Parce que, rappelons le, lors de la constitution d’IAG les investisseurs qui détenaient la compagnie britannique sont devenus actionnaires d’IAG et qu’ils sont principalement britanniques eux-mêmes. Si British Airways et IAG se séparent, la part du capital d’IAG détenue par des non européens va mécaniquement diminuer et repasser sous le seuil fatidique des 50%.
Mais cela ne sous semble pas aussi simple : il ne s’agit pas de uniquement de faire de British Airways une spin-off, la faire rentrer en bourse et vendre son capital. Il faudrait à notre avis que les actionnaires britanniques d’IAG vendent leurs parts d’IAG pour acheter des parts BA et donc que soit les actionnaires européens d’IAG soit de nouveaux investisseurs, européens eux aussi, les leurs rachètent. Car, au final, le problème n’est pas qu’IAG détienne BA mais que les anciens actionnaires de BA détiennent IAG. On pourrait même envisager que BA reste dans IAG mais que ses actionnaires en partent.
Donc contrairement à ce que vous avez pu lire ça et là, British Airways et en tout cas ses opérations ne sont pas vraiment le problème mais la solution. Et lorsqu’on parle de créer une filiale européenne pour les activités européennes de BA cela n’a aucun sens : elle n’en a pas !
Quelles options pour IAG ?
Vu que l’UE n’a visiblement pas l’intention d’abandonner la partie et que, au travers de leurs gouvernements respectifs, Air France et Lufthansa ont grand intérêt à voir leur plus gros concurrent démantelé, essayons d’examiner les options qui s’offrent à IAG.
1°) Se séparer de British Airways et en faire une « spin off ».
On vient d’en parler.
2°) Faire valoir ses arguments.
IAG peut également aller plaider devant les tribunaux et faire valoir qu’à défaut d’être détenue majoritairement par des européens, elle est contrôlée par des Européens. La procédure sera longue ce qui permettra de gagner du temps mais l’issue très incertaines.
3°) Faire rentrer des investisseurs européens à son capital
Ca serait l’option la plus simple sur le papier…mais pas en réalité. Il faudrait en effet soit convaincre des actionnaires non européens de vendre soit augmenter le capital.
Il n’y a aucune raison pour que les non-européens aient envie de vendre leurs actions, surtout les britanniques si British Airways reste dans IAG. De plus alors que les conséquences de la crise sont loin d’être finies, aucun n’aura envie de sortir avec une moins value. Le plus simple serait que le Qatar vende ses 20% à des européens mais on doute qu’il en ait envie et on ne voit qui en Europe serait disposé à prendre 20% d’IAG dans le contexte que connait le secteur.
Quant à augmenter le capital cela suppose de réserver cette augmentation à des européens et que les actionnaires actuels acceptent soit de suivre cette augmentation soit d’être dilués. Encore une fois on ne voit pas le Qatar accepter d’être dilué et s’il suivait l’augmentation de capital, vu son poids, il ne ferait qu’accoitre le problème.
Mais jouer sur l’actionnariat pourrait permettre de garder British Airways en changeant simplement les investisseurs…si ceux ci acceptent de partir sans leur bébé.
4°) Trouver un nouveau montage
Sans être juristes on pense que c’est compliqué et que tout ce qui était possible a déjà était fait. En effet des mécanismes comme le « Sandwich hollandais » ou le « double irlandais » qui ont connu un grand succès en termes d’optimisation fiscale jouent justement sur les règles fiscales mais pas sur la nationalité des entreprises qui est le sujet ici.
5°) Négocier avec l’UE
Une solution serait de convaincre l’UE d’appliquer les règles de manière moins stricte et certains pays comme l’Irlande ou l’Espagne (quelle surprise !) plaident dans ce sens. Mais avec l’Allemagne et la France qui plaident pour une application stricte cela semble compliqué.
6°) Racheter une compagnie aérienne européenne.
Souvenez vous qu’à la naissance d’IAG, les actionnaires d’Iberia et British Airways ont abandonné leurs actions contre des actions IAG. La même opération pourrait-elle voir le jour aujourd’hui ? Possible mais très improbable.
On aurait pu penser par exemple au rachat de Air Europa, initié avant la crise mais visiblement abandonné dans le contexte actuel. Globalia, qui est propriétaire d’Air Europa, aurait pu rentrer au capital d’IAG et faire ainsi monter la part du capital détenue par des Européens. Mais est-ce que cela vaut 20% ? On en doute. Et la volonté de Globalia était de rentrer du cash, pas d’investir.
On peut penser à ITA également mais là encore la volonté du gouvernement italien est de vendre et ne garder qu’une participation minoritaire, pas d’investir. Et pour le coup, sauf à surévaluer la valeur de la compagnie dans des proportions suspectes, jamais cela ne suffira. Et en plus c’est Lufthansa qui semble tenir la corde.
Conclusion
On pourra toujours critiquer le fait que des concurrentes de British Airways essaient de gagner sur le tapis vert une bataille de compétitivité qu’elles devraient gagner dans les airs, il n’en reste pas moins qu’il existe une réglementation qui a vocation a s’appliquer.
IAG fait face à un challenge qui n’est pas opérationnel mais qui concerne son actionnariat et sa gouvernance et pourrait ressortir transformée et amoindrie de cette séquence dont on n’imagine pas une issue proche.
Image : avions british Airways de Ondrej Zabransky via Shutterstock