Accord UE- Qatar : bénéfices flous pour les uns, bouée de sauvetage pour les autres

Avant hier a été annoncé un accord de ciel ouvert entre le Qatar et l’Union Européenne, signé après de longues négociations. Cet accord, qui aura mis 8 ans à aboutir, permettra aux 27 membres de l’Union Européenne ainsi qu’au Qatar d’avoir un accès illimité et sans restriction aux territoires des autres signataires.

L’accord porte sur une concurrence loyale, le respect du consommateur et de l’environnement et devrait donc à terme favoriser la concurrence en supprimant certaines barrières protectionnistes actuelles. On devrait également s’attendre à voir Doha desservir et desservie depuis davantage de destination en Europe.

Quels bénéfices pour les compagnies européennes ?

Selon le PDG de Qatar Airways, Akbar Al Baker, « l’accord offrira aux compagnies aériennes d’Europe et du Qatar une plate-forme commune leur permettant de mieux se comprendre et de créer de nouvelles opportunités de collaboration et de coopération. Le principe de concurrence loyale est à notre sens très simple : accès équitable aux marchés, concurrence pour des parts de marché basées sur les produits et services, sur ce que le client souhaite et est prêt à acheter ».

On voit à la fois très bien là où cela va mener : plus de vols entre l’Europe et le Qatar et, en théorie, à des prix moindres. Mais je retiens surtout le terme « plateforme » : l’accord fixe un cadre dans lequel les compagnies vont pouvoir faire « des choses ». Lesquelles et jusqu’où ? L’avenir le dira.

D’un autre côté si la destination Doha est populaire je ne pense pas non plus que le marché soit extensible à l’infini. Malgré des efforts certains la destination Doha reste moins attractive que, par exemple, sa voisine Dubaïote et la taille de la population du pays fait qu‘il ne faut pas s’attendre non plus à voire des hordes de touristes Qataris déferler sur l’Europe.

Donc un intérêt limité sur le point-à-point mais….il n’y a pas que le point à point dans la vie.

Un atout pour Qatar et OneWorld

On peut bien sur passer par Doha pour prendre une correspondance et c’est le « feeding » de l’aéroport de Doha qui sera ainsi largement favorisé. Avec pour principaux bénéficiaires Qatar et ses partenaires OneWorld.

Car, en dehors des adeptes du self-connect, qui se rendraient à Doha sur un vol d’une alliance autre que OneWorld pour repartir sur du Qatar (je ne vois pas trop l’intérêt) c’est bien entendu Qatar qui va en profiter en pouvant multiplier ses vols en propre vers et surtout de l’Europe pour remplir son hub ou alors au travers de vols en code-share opérés par ses partenaires.

Une approche plutôt séduisante pour le passager vu la qualité du produit Qatar même s’il ne faut pas perdre de vue que l’espace aérien des pays voisins étant interdit à la compagnie Qatari, repartir de Doha en correspondance implique souvent des détours et des vols rallongés. Sans ajouter que, notamment, Dubai et Abu Dhabi sont inaccessibles depuis Doha.

Un pied de nez à Emirates

Un beau clin d’œil aux Emirats voisins et à Emirates qui profitait de l’isolement de son encombrant voisin. Le problème de Qatar n’en est pas pour autant réglé mais ce coup de boost donné au hub de Doha devrait logiquement en partie se faire au détriment de ceux de Dubai (Emirates) et Abu Dhabi (Etihad).

Une assurance anti-Brexit ?

On peut aussi voir la manœuvre dans la perspective d’un Brexit sans accord. En mésentente permanente avec OneWorld et notamment American, on prête à Qatar l’idée de sortir de l’alliance ou d’y rester mais dans le cadre d’une collaboration renforcée avec IAG, propriétaire de British Airways, Iberia et Vueling. Et les 21% d’IAG détenus par Qatar Airways ne sont pas neutres dans la constitution d’une alliance privilégiée.

Mais alors qu’IAG peut être le bras armé d’une stratégie sur le marché européen, l’utilité de ce partenaire viendrait subitement à chuter en cas de Hard Brexit. Nous en reparlerons bientôt sur TravelGuys mais dans cette hypothèse, si les conséquences pour les passagers seront minimes, elles peuvent être dramatiques pour British, Iberia et Vueling qui pourraient se retrouver clouées au sol même momentanément, ou en tout cas bannies des cieux européens.

L’accord de ciel ouvert permettrait donc à Qatar de se développer en Europe sans avoir à se reposer sur des codeshare des compagnies IAG, ce qui doit rassurer du monde à Doha.

Mais c’est un argument auquel je ne crois que modérément. En admettant qu’Iberia, British et Vueling se retrouvent clouées au sol (ce qui est possible mais loin d’être fait et certainement pas souhaitable….enfin ça dépend pour qui) cela ne saurait durer indéfiniment et l’accord ne rentrera pas en vigueur avant fin 2019. Et même dans les scénarios catastrophes les plus fous on n’imagine pas IAG incapable de desservir l’Europe pendant aussi longtemps.

Mais sur le long terme cet accord rend Qatar moins dépendant de son partenaire britanique (et à date lui confère même une position plus favorable faute d’un accord sur le Brexit).

Bref si on attendra de voir ce que les européens font de l’accord de ciel ouvert il est clair qu’il est une vraie bouffée d’air pour Qatar Airways. Suffisante ? L’avenir le dira.

Des contreparties?

On peut bien sur se demander si vu la beauté du deal pour le Qatar, il n’y pas un petit jeu politico-économique derrière. Alors que les premiers Rafales ont été livrés à l’Emirat hier, qu‘Emirates renonce au peu à peu à l’A380, suivie par Qantas, on peut aussi se dire que si ce coup de main à la compagnie Qatari l’était en échange de quelques commandes ça ne serait pas totalement illogique.

Photo : Qatar Airways De Fasttailwind via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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