Depuis le début de la crise COVID les acteurs du secteur du voyage, aérien et hôtellerie en tête, multiplient les cadeaux à leurs clients les plus fidèles. Et à peine 2020 est elle finie qu‘on semble s’acheminer vers des pratiques identiques en 2021 quand bien même on commencerait à voir le début du tunnel. Une pratique qui peut étonner en ces temps où il n’y a pas de petites économies mais qui est pourtant vitale. Faire plaisir à ses clients fidèles quoi qu’il en coûte ? Et bien vous allez voir qu’il n’en coute pas tellement que ça.
Les clients fidèles : le booster d’après crise
Comme nous l’écrivions au début de la crise, faute de pouvoir voyager, des centaines de milliers de « voyageurs fréquents » risquaient de perdre leur statut dans leur(s) programme(s) de fidélité favoris et cela représentait un vrai risque industriel pour le acteurs du voyage.
Pourquoi ? Car on parle de personnes qui voyagent beaucoup, que ça soit par goût ou obligation (et parfois les deux) et donc qu’il sont une source de revenus majeure. Ensuite parce que c’est parmi eux que l’on retrouve les personnes qui voyagent le plus en « premium » (business class en avion, hôtels 5*…), donc ceux qui génèrent non seulement le plus de revenu mais également les plus grosses marges.
Pendant que le secteur était à l’arrêt ils étaient majoritaires dans les très rares personnes « autorisées » ou « obligées » (selon les cas) de se déplacer. Une goutte d’eau dans l’océan mais c’était mieux que rien.
Par contre lorsque le secteur repartira enfin (dans 3 mois, dans un an ???) ce sont eux qu’on attend pour être les premiers à massivement reprendre le chemin des aéroports et des hôtels. Soit parce qu’ils devront le faire pour motifs professionnels, soit parce que voyager leur aura beaucoup manqué…soit les deux.
Mais qu’ils volent est une chose, encore faut il qu’ils ne volent pas chez le concurrent. Et là plus que que jamais rentrent en compte les programmes de fidélité.
Un programme de fidélité donne à un passagers, selon son niveau de « consommation » des avantages l’incitant à ne pas aller voir la concurrence. Files prioritaires, franchises bagage, accès au salon, surclassements (ou plutôt priorité lorsque surclassement il y a), choix préférentiel du siège… Autant de choses qui font que les passagers « à statut » n’ont en général aucune envie d’aller à la concurrence et se retrouver traités comme le commun des mortels.
Si en temps normal cette arme est déjà stratégique pour les industriels du secteur elle va être encore plus importante pour capter cette clientèle à la reprise et, en toute logique, avant de la capter le plus efficace est déjà de ne pas laisser filer à la concurrence ses clients captifs, ses propres passagers fidélisés.
Mais que se passe-t-il si un client, en raison des restrictions, n’a pas la possibilité de voyager ou de voyager autant qu’avant (on parle de personnes qui font au moins 75 vols par an voire plus de 100 et au moins autant de nuits d’hôtels…même avec la meilleure volonté du monde en 2020 atteindre de tels niveaux était impossible) ces clients perdent leur statut ? Par statut comprenez le « fil à la patte » qui les ramène toujours au bercail…la compagnie ou la chaine où ils ont un statut.
Et bien ils vont pouvoir comparer les offres, les prix, les services et aller au mieux disant (oui car le propre du passager fidélisé ça n’est pas de choisir le meilleur produit ou le meilleur tarif…c’est de maximiser ses avantages là où il va le plus, quitte à ce que ça ne soit pas pour le meilleur produit…tout est affaire de compromis).
Inconcevable… donc compagnies aériennes et hôtels ont tout fait pour que leurs clients fidèles ne soient pas « dégradés ».
Une année blanche pour les statuts de programmes de fidélité
Ainsi 2020 a été une année « blanche » pour les statuts des programmes de fidélité. Entendez que même si une personne n’a pas voyagé du tout elle a conservé le statut qu’elle avait en début d’exercice. Parfois de manière très transparente, parfois au prix de calculs pas trop clairs (suite à de nombreuses alertes de client on investigue d’ailleurs sur la réalité de la « promesse » de Flying Blue sur le sujet).
Et c’est parti pour durer. Même si un vaccin devait voir le jour fin 2020 on ne voit pas comment un vrai redémarrage pourrait arriver avant au moins l’été. De nombreux clients devraient rester à quai mais on se doute que les cadeaux de 2020 seront prolongés, peut être avec quelque modération en 2021. Pour preuve Hilton qui annonce déjà que les seuils à atteindre en 2021 pour les statuts 2022 seront divisés de moitié…ce qui laisse de la marge pour être encore plus généreux si la situation ne s’améliore pas. Et il est certain que tout le monde a de telles mesures prêtes à être dégainées si la situation ne s’améliore pas.
Mais ça coute combien ces cadeaux faits aux voyageurs fréquents ?
Ces cadeaux, enfin ces statuts ont un coût qu’on ne cesse d’ailleurs de rappeler. Les miles qui ne disparaitront pas car leur date de validité a été prolongée pèseront sur les bilans des compagnies. Un accès salon ça a un prix (locaux, nourriture etc). Une file prioritaire ça a un prix (oui les compagnies paient aux aéroports une certaine somme par passager qui les emprunte). Autant de coûts qui auraient pu être balayés facilement à une époque où les recettes sont en chute libre. D’ailleurs c’est assez paradoxal de voir qu’avant le COVID on s’inquiétait d’une course à la dévaluation des programmes de fidélité alors que maintenant on essaie de maintenir les statuts coute que coute.
Donc à combien se montera l’addition ? Et bien à pas grand chose !
La première raison est, on l’a vu, qu’il s’agit d’un investissement sur l’avenir. Sachant qu’il coûte beaucoup plus cher d’aller « voler » des clients à la concurrence plutôt que de garder les siens, c’est le moyens le moins cher de repartir avec une clientèle « captive » quand les cieux seront meilleurs.
Mais surtout (en dehors des miles qui ne périmeront pas) ce sont des bénéfices qui ne coûtent que si on s’en sert. Les files prioritaires ? Un passager qui ne voyage pas ne les utilise pas. Les salons ? A l’heure actuelle fermés en France. Ailleurs, en fonction des restrictions locales et/des politiques des compagnies le catering est parfois réduit à sa portion congrue. Les lounge des hôtels ? Fermés. Un surclassement hôtelier ? Coût zéro pour l’hôtelier.
Bref nombre des coûts associés au maintient des statuts des passagers qui auraient dû perdre le leur sont nuls soit parce que la personne ne peut voyager, donc en profiter, soit parce que bénéfice en question est suspendu ou dégradé par obligation ou par choix.
Alors si on applaudit les gestes des compagnies aériennes ou hôtels qui n’ont pas laissé tomber leurs clients fidèles, il ne faut oublier que ce geste commercial était plus tactique qu’autre chose et n’a pas coûté grand chose par rapport au coût de la passivité et pourrait même rapporter gros demain.
Photo : touriste qui voit passer un avion de Denis Belitsky via shutterstock