Demain des compagnies aériennes plus maigres mais pas forcément plus faibles

Il ne fait aucun doute que beaucoup compagnies aériennes vont ressortir considérablement « allégées » de la crise du COVID. Moins d’avions, moins de personnel, moins de routes. La seule chose qui aura grossi risque bien d’être leur dette. Des compagnies allégées, soit, mais seront elle pour autant amoindries ou affaiblies.

Quelle différence entre une compagnie « legacy » et une low-cost ?

On remarquera que le plus souvent la cure d’amaigrissement sera plus violente chez les « anciennes » compagnies que chez les plus jeunes et a fortiori chez les low cost.

Cela s’explique facilement : au fil des années une entreprise tendance à accumuler du « gras », peu importe son secteur d’activité et dans le cas de l’aérien c’est facilement compréhensible.

Ce « gras » peut être constitué de personnes surnuméraires par rapport aux besoins.

Beaucoup des anciennes compagnies étaient auparavant des compagnies nationales au sens premier du terme, c’est à dire des entreprises publiques. Elles étaient un instrument d’image et de souveraineté, la rentabilité était secondaire.

Puis elles ont du devenir rentable. Mais il est toujours resté, au niveau culture, un petit quelque chose qui faisait qu’on ne sacrifierai pas l’emploi à n’importe quel prix.

Lorsqu’on trouve un moyen pour faire avec 3 personnes ce qu’on faisait avant avec 5, les deux personnes « en trop » sont conservées au même poste ou ailleurs mais finalement peut importe qu’on ait vraiment besoin d’elles ou pas. On compensera avec les départs « naturels ». Quelque chose qui vaut dans tous les secteurs d’ailleurs.

Cela peut se traduire également par des personnes aux mauvaises places.

C’est un peu une conséquence de ce qui précède mais ces compagnies souvrent souvent d’une abondance de personnel administratif ou d’une armée mexicaine de managers. Par contre elles n’ont pas la capacité à investir pour embaucher (ou pas autant qu’elles le voudraient) dans un secteur nouveau justement parce qu’il y a trop de monde « ailleurs ». Ca n’est pas le nombre de salariés qui est en question, c’est leur métier.

Cela peut se traduire par une complication contreproductive.

C’est un mal commun à trop d’organisations et encore davantage quand on parle d’anciennes entreprises publiques. Des chefs, du reporting, des comités Théodule, des process de prise de décisions trop longs etc. Mais pour simplifier il faut admettre qu’il faut alléger les effectifs et hors crise cela n’est pas bien vu.

Cela peut se traduire par la présence malsaine d’un actionnaire public.

Etre une entreprise privée ne veut pas dire que l’Etat n’a pas son mot à dire dans vos affaires. Parfois il est là en tant qu’actionnaire et siège à votre conseil d’administration. Parfois il a d’autres moyens de pression. Et dans tous les cas il entend que vous préserviez un certain modèle social dont lui seul croit en l’existence, il veut que vous montriez l’exemple. En deux mot : l’Etat fait sa communication sur le dos de votre rentabilité.

Cela peut enfin se traduire par une flotte âgée donc peu efficace.

Les compagnies jeunes ont des appareils neufs et rentables à exploiter. Les plus anciennes également mais elles ont également des appareils beaucoup moins performants d’un point de vue économique. Mais remplacer une flotte prend du temps donc on les change « au fur et à mesure ». Et puis il y a un réseau existant, des clients et une demande.

Une compagnie « legacy » qui a assez de demande pour remplir un avion pour desservir une destination donnée le fera pour maintenir son réseau et satisfaire ses clients, quitte à y envoyer un A340. Une low cost supprimera la ligne si elle n’arrive pas à un certain niveau d’efficacité économique et enverra le 340 à la retraite. Pour elles vaut ne pas voler que de le faire d’une manière insuffisamment rentable alors que pour les autres on essaiera de satisfaire le client, le marché, l’Etat…avec ce qu’on a sous la main.

Bref une compagnie traditionnelle doit préparer le futur en permanence tout en s’accommodant d’un historique humain, culturel, commercial, matériel auquel elle aimerait dire au revoir mais ne peut pas se le permettre.

Rien de tel qu’une bonne crise

Elles ne peuvent se le permettre sauf en cas de crise. Là tout le monde comprend qu’il y a des choix à faire. Lors des grandes crises les compagnies aériennes font ce qu’elles auraient aimé faire plus tôt mais n’aurait pas été acceptable.

On supprime le personnel surnuméraire, on ferme les lignes peu rentables, on met à la retraite des appareils trop âgés. A part peut être chez British Airways à une époque, l’attrition n’a jamais été été une stratégie délibérée en temps « normaux » pour une compagnie, on attendant une crise pour la justifier.

Plus léger peut rimer avec plus musclé

Perdre du poids est une chose, reste à savoir où on le perd. Perdre du gras c’est bien, perdre du muscle non. Comme nous le disions déjà il y a plusieurs semaines cette crise peut être une vraie opportunité.

A condition de couper où il faut, au bon endroit. Ne pas dégraisser pour perdre du poids mais pour revenir plus musclée et agile. Delta ne disait pas autre chose en Mars. Son directeur financier disait « [Nous sortirons de la crise] certainement un peu plus petit que lorsque nous y sommes entrés, et nous aurons ensuite la possibilité de nous développer« , parlant également d’une « flotte plus moderne et flexible ».

Il est dommage de devoir attendre une crise pour ainsi faire subir une cure de remise en forme à une entreprise sachant que la dite cure aurait été moins violente sans la crise mais il en a toujours été ainsi et ça n’est pas prêt de s’arrêter.

Selon les choix qui seront faits, selon que certains actionnaires pèseront en faveur de leur propre image ou du développement économique d’une compagnie, toutes ressortiront de la crise plus légères qu’avant. Mais certaines seront plus faible et d’autres musclées.

On fait le bilan dans deux ans.

Photo : avions Lufthansa à Francfort de Nate Hovee via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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