Le voyage sans passeport, bientôt une réalité ?

L’usage de la biométrie se généralise pour permettre des parcours plus fluides en aéroport. Pour en arriver au voyage 100% dématérialisé et sans passeport ? On peut y croire.

La lente dématérialisation du dossier client

Commençons par rappeler d’où on vient : au début des années 2000 (oui cela fait 20 ans) le papier était partout dans le parcours du voyageur. Billet d’avion, carte d’embarquement, voire « voucher » pour l’hôtel. Et les « vieux de la vieille » vous confirmeront qu’à l’époque très peu de personnes dans l’industrie croyaient au parcours 100% dématérialisé.

Manque de vision ? Pas vraiment. Dématérialiser le parcours oui, mais pour remplacer le papier par quoi ? Rappelons que l’iPhone qui a ouvert la voie à une transformation massive des usages n’a vu le jour qu’en 2007 et qu’en attendant l’internet mobile n’était ni abordable, ni simple et encore moins massivement généralisé.

Bref si aujourd’hui il nous semble évident de voyager sans autre document de voyage papier que nos passeports il a fallu du temps pour en arriver là et que ce fut tout sauf simple. La preuve : il nous arrive encore souvent d’être surpris de ne pouvoir obtenir une carte d’embarquement électronique soit parce pour des raisons administratives tel pays de départ ou de destination, les particularités d’un passager ou d’un voyage ou je ne sais quoi imposent de passer physiquement à un guichet pour retirer son précieux sésame soit parce que la compagnie ou l’aéroport ne peuvent pas le faire en raison de leur infrastructure informatique ou parce que tel pays ne l’autorise pas.

A des quelques exceptions (pas si marginales que cela ceci dit) près, du côté des compagnies le boulot est globalement fait.

L’aéroport, dernier point de friction

Si du côté des « industriels » du secteur le travail est fait, l’aéroport, lui reste un point de friction majeur dans un monde dématérialisé. Non pas qu’il soit techniquement mal équipé mais parce que les procédures de sécurité et de police sont ce qu’elles sont et qu’elles imposent de montrer plusieurs fois les mêmes documents tout au long du parcours et que c’est aujourd’hui un point de friction majeur pour le client mais aussi un point inefficacité notable aussi bien pour les aéroports, les autorités concernées et les compagnies qui mobilisent des ressources et perdent un temps fou à faire ce qui n’est ni plus ni moins que du contrôle administratif et de la réconciliation de documents.

Aujourd’hui, technologie aidant, la réponse à ce problème est assez évidente et s’appelle la biométrie. A partir du moment où on sait identifier à coup sûr que la personne présente au guichet, au comptoir, dans la file, à la porte d’embarquement est « untel », tout le reste en découle.

Est-elle autorisée à passer, à voyager, a-t-elle un billet sur ce vol etc. etc. Plus de documents à produire : on avance tant qu’on est dans le bon parcours et qu’on est « à sa place ». Dans le cas contraire une porte ne s’ouvre pas et l’humain intervient pour gérer la situation. Nous avons déjà parlé il y a quelques temps des premières expériences d’embarquement biométriques menées conjointement par des compagnies et des aéroports.

Les limites de telles approches ? Elles ne peuvent à ce jour être que restreintes à un périmètre donné (pays d’origine, de destination, nationalité du passager). Pourquoi ? Parce que pour que le système fonctionne il faut une base de donnée des passagers qui aujourd’hui n’existe pas à l’échelle mondiale. Par exemple l’expérimentation de Lufthansa s’appuyait sur la base de données de la “Customs and Border Protection” US, certainement riche mais loin d’être exhaustive.

Le mobile comme avenir du passeport ?

Une expérimentation est en cours entre le Canada et les Pays-Bas, impliquant Air Canada et KLM. Elle repose sur le projet Known Traveller Digital Identity (KTDI), lancé par le Forum économique mondial, qui consiste à stocker les données relatives au passager non plus dans la puce du passeport mais dans son mobile !

Non seulement il dispense de se munir d’un passeport papier mais en plus au fil de l’avancement du voyage et au fil des voyages, les données sont enrichies grâce à l’accumulation d’attestations fournies par des partenaires de confiance comme des agences frontalières et des transporteurs aériens reconnus. Ce système, basé sur la blockchain, permet donc à force d’accumulation et de recoupement de données provenant d’organismes de confiance d’accéder à un statut de « voyageur connu ».

« Trop connu » même selon moi car à l’heure de la RGPD le dispositif n’est pas sans poser des questions. Et il reste, de plus, tributaire du mobile. Que faire si on le perd ? Y-a-t-il des risques de hacking ? Autant de questions auxquelles je n’ai pas aujourd’hui les réponses.

« One ID « : Vers une base de donnée mondiale des passagers ?

Autre approche du côté des Emirats.

Emirates va lancer un pilote similaires sur des vols sélectionnés entre Dubaï et l’Australie, suite à un premier essayé concluant entre Londres Gatwick et les Emirats.

La reconnaissance faciale automatisée remplacerait les contrôles de documents partout, depuis le comptoir d’enregistrement et les comptoirs de contrôle des passeports jusqu’aux boutiques hors taxes, aux salons d’aéroport et aux files d’attente pour l’embarquement, en se reposant sur « One ID « .

Qu’est ce que « One ID ». C’est une initiative de l’IATA (International Air Transport Association) visant en quelque sorte à construire une base de donnée mondiale des passagers à la place du système totalement éclaté qui prévaut aujourd’hui.

Selon Alexandre de Juniac, CEO de l’IATA, « La vision de One ID est une expérience de voyage sans papier où les passagers peuvent voyager autour du monde en toute sécurité et en toute sécurité en utilisant uniquement leurs données biométriques individuelles. Cet objectif sera atteint grâce à une identité numérique fiable, une technologie de reconnaissance biométrique et une plate-forme collaborative de gestion de l’identité accessible aux différentes parties prenantes autorisées.« 

La collecte de données ne serait faite qu’une fois dans une vie et permettrait ensuite de s’abstenir de documents papiers tout au long du parcours du voyageur.

Visiblement elle a l’avantage sur KTDI de s’affranchir du mobile mais n’est pas sans poser des questions non plus sur l’utilisation des données personnelles.

Selon la direction de l’aéroport de Dubai : »D’après l’essai précédent des passagers d’Emirates qui se déplaçaient entre Gatwick et Dubaï, 82 % des participants  » n’avaient aucun problème pour partager leurs données avec un tiers, à condition qu’il y ait un avantage pour le client. » Et, sans surprise, une grande partie des passagers qui ont accueilli favorablement cette expérimentation et qui étaient heureux de partager les données qui leur étaient demandées étaient des « passagers premium » – en classe affaires ou en première classe – ainsi que des voyageurs réguliers comme les membres Emirates Skywards aux statuts les plus élevés.

Bien sur…mais là on parle de la perception du passager, on ne parle pas de la manière dont on gouverne les données, prévient les risques voire se tient prêt à réagir en cas de brèche de sécurité.

Une histoire à suivre

Nulle doute qu’on avance vers un monde où la biométrie va nous permettre de nous affranchir de plus en plus de tout document papier et c’est quelque chose que nous attendons avec impatience du point de vue de l’expérience passager.

Mais ces sujets posent des questions majeures quant aux données personnelles des passagers. On se souvient du tollé qui a accompagné le partage de ces données entre gouvernements pour motifs de sécurité qu’on peut considérer comme relativement légitimes, on ne peut pas imaginer que cela se fasse sans douleur lorsqu’on étend à la fois le périmètre des données et celui des acteurs concernés, a fortiori lorsque des acteurs privés sont parties prenantes au projet.

Bref, un sujet dont on va reparler souvent à l’avenir.

Photo : reconnaissance faciale de metamorworks via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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