C’est finalement Delta qui va faire une offre de rachat de Alitalia. Mais avec qui et dans quelles conditions, on en sait toujours rien. Retour sur un psychodrame qui dure depuis 2 ans et les différents dénouements possibles.
Bienvenue chez Etihad Partners
Cela fait bientôt 20 ans que la compagnie Italienne décline lentement mais surement, appelant tour à tour son gouvernement et des partenaires étrangers à la rescousse. C’est ce qui fait d’ailleurs qu’Air France-KLM a détenu jusqu’à 40% du capital d’Alitalia. Il avait même été question d’un rachat mais l’opération n’a pas été été jusqu’au bout. Certains avancent que Berlusconi, premier ministre à l’époque, n’avait pas voulu voir sa compagnie nationale passer sous pavillon étranger, d’autres avancent que vu la gestion catastrophique de la compagnie, Air France n’a pas voulu aller plus loin. Si on considère qu’en termes de capacité d’une compagnie à se réformer Alitalia est, à l’époque, Air France en pire on comprend le recul de la compagnie française déjà incapable de se gérer elle-même.
Quoiqu’il en soit, après quelques occasion de mariage manquées, la participation d’Air France dans Alitalia n’a cessé d’être diluée.
Mais le chevalier blanc a fini par arriver : Etihad, la compagnie d’Abu Dhabi, une des « Gulf Sisters » comme on aime nommer les très ambitieuses compagnies du golf même si elles ne forment en aucune manière une alliance hétérogène.
La compagnie des Emirats a ainsi mis la main sur 49% du capital d’Alitalia pour 1,7 milliards d’euros. Air France-KLM n’a pas voulu suivre à l’augmentation de capital et se retrouve dilué à hauteur de 7%.
Alitalia rentre donc dans la stratégie d’acquisitions/partenariats d’Etihad qui préfère les partenariats et les liens capitalistiques aux alliances. Une stratégie qui a mené la compagnie Emirati sinon à sa perte mais en tout cas dans une situation désastreuse. Après avoir sacrifié le produit Air France en privilégiant la densité à la qualité, choix qu’Air France continue à payer au prix fort avec un retard notoire sur son produit, Bruno Matheu avait donc encore frappé. Mieux vaut un bon partenariat qu’une prise de participation.
« Etihad Partners » explose rapidement en vol et Etihad décide en 2017 de cesser de financer une source de pertes.
Aujourd’hui cette page est encore ironiquement en ligne chez Alitalia sachant que les stickers « Etihad Partners » ont été enlevés des avions il y a plus d’un an et, qu’entre autres, Air Berlin a fait faillite entre temps.
Bref, Alitalia se retrouve exangue et est mise sous administration judiciiaire en 2017. L’Etat remet au pot mais est dans une logique de nettoyage de la situation de la compagnie. Alitalia vit donc sous perfusion en attendant d’être rachetée. Et c’est la compagnie de chemin de fer Ferrovie dello Stato, la SNCF locale qui, en plus d’être intéressée par une partipation dans le « nouvel Alitalia » est chargée de gérer le bal des prétendants.
Rachat d’Alitalia : beaucoup de curieux, peu de téméraires
Entre les supputations, les déclarations officielles et les jeux politiques, on a prêté beaucoup de prétendants à Alitalia pour peu d’offres. On a beaucoup supputé sans qu’aucune compagnie ne s’engage vraiment.
• RyanAir : un intérêt poli
• Air France-KLM : un intérêt logique pour un actionnaire historique, même s’il semble avoir lâché l’affaire depuis des années;
• Lufthansa : à condition que l’Etat italien et les partenaires publiques ne fassent pas partie du deal.
• Delta qui comme un pieuvre continue à s’étendre Europe après la coentreprise avec Air-France-KLM et….Alitalia et sa participation dans Vigin Atlantic.
• Easyjet : la low cost qui se positionne comme le meilleur apporteur de trafic des majors sur leurs hubs. Pour peu que les majors veuillent travailler avec.
L’Etat Italien : un repoussoir ?
Historiquement l’Etat Italien ne voulait pas laisser sa compagnie nationale sous un drapeau étranger et compte donc toujours un rôle majeur dans la compagnie après son rachat. Si rien n’est acté aujourd’hui l’idée serait que l’Etat et des acteurs publics comme Ferrovie dello Stato détiennent 51% du capital.
Assez donc pour décourager Lufthansa dont la rigueur ne s’accommode pas de ce type d’actionnaire, surtout lorsqu’on connait son passif. Et finalement un seul a eu à la fois le courage et les moyens de se déclarer : Delta.
Delta chef de file d’un consortium
Mais si Delta porte l’offre de rachat, la compagnie américaine ne compte pas y aller seule mais plutôt à la tête d’un consortium.
Le scénario d’un deal a deux avec Air France-KLM pour se partager 40% du capital était redevenu de l’ordre du possible ces dernières semaines avant de prendre manifestement du plomb dans l’aile. Est-ce qu’Air France préfère se concentrer sur son propre redressement sans s’encombrer d’un partenaire irréformable ? Est-ce que les tensions actuelles entre les deux gouvernements ont eu raison du deal ? Peu importe, c’est donc Easyjet qui est pressentie aujourd’hui pour avancer aux côtés de Delta.
Sous quelles conditions ? Pour quel mode opératoire ? Vont ils coexploiter la compagnie ou se répartir le long et le moyen courrier ? Chez Easyjet on s’empresse de ne pas commenter et de dire que rien est fait. Pourtant le temps presse. Même si les chiffres d’Alitalia ont l’air plutôt bons en ce début d’année, c’est en mars que le nom du repreneur, qui devait initialement être annoncé le 29 janvier, sera connu.
Et entre temps beaucoup de choses peuvent se passer. Dans un dossier aussi mouvementé on ne peut même pas exclure que les conditions posées par les pouvoirs publics italiens finissent par rebuter Delta qui n’est pas du genre à laisser la rentabilité de côté pour faire plaisir. Et on ne peut pas imaginer que la compagnie américaine n’a pas scruté le lourd passé d’Alitalia et l’expérience ratée avec Etihad et prendra donc toutes les précautions nécessaires.
Par contre, si l’opération se faisait cela confirmerait la volonté de Delta de tisser sa toile dans le ciel européen.
Un drame à l’italienne qui va encore nous tenir en haleine pour au moins 1 mois.
Photo: Alitalia De Matheus Obst via Shutterstock