Une compagnie aérienne qui a de l’ambition ne peut exister hors d’une alliance. Pour les compagnies qui ne font pas partie d’une des trois grandes alliances mondiales, finir par y être accepté est un signe d’adoubement qui permet de passer à la vitesse supérieure. Et bien tout cela c’était avant.
Si les trois grandes alliances sont encore là et bien là pour longtemps elles ne semblent plus être ni un passage obligé ni le seul moyen pour une compagnie aérienne de se développer.
Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin
Les compagnies aériennes ont faites leurs ce proverbe depuis longtemps. Il est impossible pour une compagnie de prétendre desservir le monde entier seule. Cela nécessiterait bien sur trop d’appareils mais surtout des appareils qui voleraient souvent à vide. Banqueroute assurée.
Alors plutôt que faire voler des dizaines d’avions à moitié vide d’un point à un autre elles ont mutualisé le remplissage en faisant du partage de code (ou codeshare). Techniquement parlant une compagnie opère un vol avec un de ses appareils, ses équipages et son propre numéro de vol (Par exemple AFxxx) mais elle permet à des compagnies partenaires de vendre à leurs clients des places sur ce vol avec leur propre numéro de vol. Un peu comme un vol virtuel sauf que heureusement le voyage sera bel et bien réel. C’est ainsi qu’on peut acheter un billet « marketé » par une compagnie et voyager sur une autre (même si depuis quelques années cela doit être mentionné par le vendeur).
Exemple : le vol AF256 entre Paris et Singapour est opéré par Air France mais il est également vendu aux clients de Delta en tant que vol DL8492, KLM (KL2138) et Qantas (QF4222). Certains vols sont ainsi marketés par 5 voire 10 compagnies différentes.
Ce qui évite à tout ce petit monde de se livrer une guerre commerciale mais au contraire permet de mutualiser les moyens en gagnant un peu d’argent grâce aux passagers qu’on envoie aux partenaires et en se recentrant sur les routes sur lesquelles elles sont performantes.
Le codeshare pour les compagnies, les alliances pour les clients
Tout cela était très bien pour les compagnies, pas pour les clients. Les clients ce qui les intéresse c’est leur programme de fidélité. Si je suis membre Delta Skymiles voyager sur un vol Air France ne m’intéresse pas trop.
Les compagnies ont donc du aller plus loin que le codeshare en promettant (entre autres) la réciprocité des bénéfices des programmes de fidélité pour les clients des compagnies membres de l’alliance.
Platinum Flying Blue, mon statut est reconnu dans toutes les compagnies de l’alliance Skyteam. J’ai d’ailleurs été beaucoup plus souvent surclassé en moyen courrier sur un vol Delta en codeshare avec Air France que par Air France sur le même type de vol. Mais c’est encore un autre sujet.
Alliances, codeshare, co-entreprise : un inextricable sac de nœuds
Un troisième dispositif est venu s’ajouter à cela: la co-entreprise. Là on ne fait pas que partager des avions on partage les investissements et les revenus.
C’est par exemple ce qui a été fait entre Delta, Air France-KLM et Alitalia sur leurs routes transatlantiques.
Bien entendu tous ces dispositifs se surperposent...enfin plus ou ou moins.
Au sein du alliance chaque compagnie reconnait les programmes de fidélité en termes de bénéfices client des autres et le passager qui voyage sur une compagnie A peut créditer ses miles sur le programme de la compagnie B. Mais déjà là il y a des limites : toutes les compagnies ne créditent pas toutes les classes de voyage des compagnies partenaires. Exemple : un voyage sur Lufthansa en moyen courrier avec un tarif Business discounté ne sera pas crédité par Turkish mais par contre SAS le fait.
Tous les vols au sein d’une alliance ne sont pas en codeshare avec tous les autres membres.
On peut faire du codeshare avec des compagnies d’une alliance concurrente (cf Air France et Qantas par exemple). Ce qui parfois crée des imbroglios sur le crédit de miles car toutes les alliances n’ont pas la même politique sur ce point précis.
Les alliances à l’épreuve de la consolidation du marché et des low cost.
Mais le secteur du transport aérien connait ses crises cycliques qui se terminent souvent par un phénomène de consolidation, les plus forts finissant par racheter leurs rivaux mal en point. Et donc certaines compagnies se sont mises à changer d’alliances au grès des rachats, rendant le paysage illisible pour le passager qui, au passage, y perdait parfois miles acquis et avantages divers.
Et puis il y a les low cost. Elles ont proposé une nouvelle forme de voyage à laquelle elles ont amené des gens qui ne voyageaient pas ou ou peu ou converti des passagers des compagnies traditionnelles. Elles excellent sur le « point à point » alors que les compagnies traditionnelles fonctionnent davantage autour de leurs hubs et attirent des clients qui se moquent bien des programmes de fidélité (ce en quoi ils n’ont pas totalement tort mais on en reparlera une autre fois). Les deux modèles sont bien sur concurrents mais il faudrait aussi être aveugle pour ne pas voir qu’ils sont complémentaires. Les appels du pied de certaines low cost vers les majors pour leur proposer de prendre en charge l’alimentation de leur hub en sont la preuve tout comme le partenariat entre Emirates et easyjet.
Et si le cadre d’une alliance se prête mal à ce type d’arrangements et bien il n’y a qu’à construire des partenariats.
Le partenariat, la solution aux limites des alliances
Et on a donc vu fleurir les partenariats et solutions permettant de réserver des combinaisons de vols sur des majors et des low cost ou entre compagnies ne faisant pas partie de « schémas » établis.
La semaine dernière on parlait de « Worldwide by easyJet » que venait de rejoindre Cathay Pacific mais le pionnier en la matière est « Star Alliance Connecting Partners » lancé en 2015, OneWorld Connect vient de voir le jour et on attend toujours la réponse de Skyteam.
Une approche beaucoup plus flexible, moins engageante qui correspond à l’impératif de flexibilité et de réactivité qu’impose le marché aujourd’hui.
Oui à l’union libre, non au mariage
D’autres suivent une autre voie pour se construire un écosystème : celle de la prise de participation et avec des succès plus que mitigés. Tout le monde a en tête la stratégie erratique, hasardeuse et finalement ruineuse d’Etihad qui après avoir fait des prises de participation à tour de bras s’est retrouvée obligée de tout solder massivement, laissant parfois des compagnies sur le carreau. Et Etihad ne s’en est toujours pas remis.
Sur fond de guéguerre avec American Airlines, Qatar envisagerait de sortir de OneWorld en se disant que ses participations dans IAG, LATAM et d’autres seraient une bonne base pour construire son propre écosystème. Mais l’intérêt de pouvoir s’appuyer sur IAG dans cette configuration dépendra de l’issu du brexit.
Le modèle qui semble donc prévaloir relève donc de l’union libre davantage que des approches plus engageantes et rigides comme l’entrée dans une alliance ou la prise de participation. D’autant plus qu’il n’interdit pas les partenariats multiples.
Une compagnie peut-elle survivre seule ?
En tout cas une chose reste sûre : si la manière dont s’organise les écosystèmes prend de nouveaux visage, il est impossible pour une compagnie de survivre seule.
Déjà, et c’est évident, tout le monde pratique le codeshare, que ce soit dans le cadre d’une alliance ou d’un simple accord bilatéral.
On a peu d’exemples de compagnies prétendant jouer un rôle majeur hors d’une alliance. Regardons du côté du Golfe. Qatar fait partie de OneWorld. Etihad ne semble pas en mesure de continuer seule plus longtemps et deux solutions s’offrent à elle : rejoindre une alliance (après avoir longtemps flirté avec SkyTeam il semblerait que Star Alliance tienne la corde) ou se marier avec Emirates. Quant à Emirates, si elle semble en mesure de continuer à très bien se porter hors d’une alliance, ce qui ne l’empêche pas de multiplier les partenariats bilatéraux (easyJet, Qantas hier, Malaysia aujourd’hui).
Il reste aujourd’hui au moins trois compagnies à potentiel qui sont « seules ». Virgin Atlantic, qui devrait logiquement intégrer SkyTeam prochainement, et les très prometteuses Oman Air et Hainan Airlines dont on regardera les choix avec attention.
Les alliances ne sont pas mortes
D’un point de vue très opérationnel les modèles les plus avantageux pour les compagnies sont le partenariat pour sa flexibilité et la co-entreprise pour les capacités de développement qu’elle offre. Solution médiane, les alliance ont surtout du sens du point de vue du programme de fidélité. Elles sont surtout valorisées par les voyageurs fréquents et c’est pour cela qu’elles vont encore durer. Jusqu’à ce que les compagnies inventent un nouveau modèle ?
Photo : Star Alliance De Olaf Schulz via Shutterstock