L’aérien doit il adopter de nouvelles modalités de paiement ?

Pour rassurer voire attirer les clients, le transport aérien va-t-il devoir inventer de nouvelles modalités de règlement et ne plus uniquement proposer de payer lors de l’achat du billet ? C’est un une réflexion qui trouve sa source dans la crise du COVID mais qui, si on regarde un peu plus loin, peut être plus structurante à long terme pour le secteur.

Le COVID a mis le passager aérien dans l’insécurité financière

Frontières qui s’ouvrent et se ferment, vols reportés et annulés, la crise du COVID a plongé le passager dans le doute le plus total.

Sans même parler de la première phase de fermeture des frontières aussi stricte que violente, il s’est ensuite retrouvé dans une zone de fortes incertitudes.

Alors qu’en termes de possibilité de voyager la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain alors que les conditions d’accès à un pays donné peuvent varier d’une semaine à l’autre et alors que le programme de vol des compagnies aériennes change en permanence, il lui était impossible de se projeter.

A quoi bon réserver des semaines ou des mois à l’avance quand on ne sait pas si on pourra voyager et dans quelles conditions on pourra, ou non, se faire rembourser ses billets ?

L’attitude des compagnies aériennes mal comprise et mal vécue

Pourtant les règles sont simples : si un vol est annulé la compagnie doit rembourser. Pourtant le passager sait par expérience que ça n’est pas aussi évident que cela et les premiers mois de la crise lui ont laissé un souvenir amer.

Dans un premier temps les compagnies ont préféré transformer le montant des billets en avoirs (vouchers) à réutiliser plus tard plutôt que rembourser. Comportement anticommercial et illégal ? Dans un premier temps non. Il faut juste comprendre qu’elles n’avaient simplement pas la trésorerie pour rembourser massivement alors elles ont privilégié leur survie dans un premier temps.

Dans un second temps les aides sont arrivées et elles ont pu enfin remplir peu à peu leur obligation de remboursement. Mais de manière très inégale. Pour prendre deux cas proches de chez nous, si les passagers d’Air France ont finalement été remboursés dès que la compagnie en a eu les moyens cela a été beaucoup plus compliqué chez Lufthansa voire impossible chez certaines low cost.

Les compagnies ont bien sûr entre temps adopté leurs politiques commerciales : tous les billets sont devenus totalement flexibles, échangeables et remboursables. Une mesure indispensable pour rassurer le voyageur et lui donner envie de réserver dans un contexte de totale incertitude. Un des rares effets positifs de la crise mais dont on sait qu’il ne durera pas car totalement orthogonal avec le modèle économique du transport aérien.

D’ailleurs en fait de retour à la normale, on commence à voir du mouvement de ce côté. Si chez Air France on continue à prolonger ces mesures d’exceptions favorables aux passagers ça n’est pas le cas partout. Désormais chez Lufthansa on considère que la crise n’est plus un événement soudain et imprévisible donc le passager qui prend un billet non flexible ou ne prend pas d’assurance ne devra s’en prendre qu’à lui même s’il doit annuler son voyage pour motif personnel, si par exemple les conditions d’entrées change et qu’il ne les remplit pas.

Car désormais un autre phénomène est à prendre en compte : on ne parle plus que de fermetures de frontières empêchant au vol d’avoir lieu, mais aussi de l’impossibilité pour un passager donné de rentrer dans un pays alors que le vol a lieu.

Pour Amadeus la confiance passe par le « pay when you fly »

C’est dans ce contexte qu’au début de l’été Amadeus a produit une étude qui expliquait que pour rassurer les clients et les faire revenir la solution résidait dans le « pay when you fly ».

Qu’est ce que le « pay when you fly » ? Cela consiste pour le passager à ne payer que lorsqu’il a effectivement voyagé. Selon Amadeus :

« 81 % des voyageurs déclarent que le risque accru d’annulation constitue un obstacle à la réservation de voyages cette année, l’incertitude liée au remboursement étant la principale préoccupation.
62 % des voyageurs sont susceptibles d’opter pour les nouvelles options « Payez lorsque vous prenez l’avion » afin de réduire les risques liés au processus de remboursement.
« 

Une approche salutaire dans le prolongement de la crise du COVID mais qui devrait selon nous amener le secteur à regarder un peu plus loin et repenser ses pratiques à long terme.

Le paiement « upfront », frein majeur à l’achat de billets d’avion

Lorsque nous en parlons autour de nous, le fait qu’un billet d’avion se paie à l’achat, parfois des mois avant de voyager et non lors de la consommation du service est un véritable frein.

Déjà parce que plus le terme est lointain plus des impondérables peuvent rendre entre temps le voyage impossible et ce même hors COVID. Et pas nécessairement dans des conditions rendant possible un remboursement.

Ensuite parce que pour une famille c’est souvent un budget conséquent, non pas dans l’absolu mais sur le moment. Payer les billets de 2, 3 ou 4 personnes est possible mais pas toujours d’un seul coup. Raison pour laquelle nous connaissons des personnes qui continuent à passer par des agences car entre l’accompte et le paiement final il leur est possible d’étaler le paiement sur 2 mois voire plus si on connait bien son agence et en s’arrangeant un peu.

C’est d’ailleurs l’intérêt majeur d’une carte de crédit co-brandée comme l’Amex Air France. Si nous lui préférons aujourd’hui une « vraie » American Express nous ne l’avons pas abandonné pour autant car elle permet de payer tous ses billets d’avion achetés chez Air France en 3 fois sans frais !

Un dispositif qui permet à certaines familles de lisser l’achat des billets ou à certaines personnes désireuses de faire plaisir de lisser l’achat d’un billet business trouvé à un bon prix sur 3 mois et le rendre ainsi cette option envisageable.

Même si on s’éloigne ici du sujet lié au COVID il existe une demande

  • Repousser le paiement à la date du voyage pour ne pas avoir à s’inquiéter des imprévus ou avoir le temps de de mettre de côté d’ici là.
  • Lisser le paiement pour le rendre plus digeste.

Des pratiques en vogue dans le monde de la grande consommation mais pas ou peu dans le monde du tourisme à moins de financer ses vacances avec un crédit à la consommation ou pire un crédit revolving, chose que nous déconseillons à tout prix.

Une spécificité du transport aérien

On est ici face à une spécificité de l’aérien : c’est un des seuls secteurs où on paie intégralement et longtemps en avance pour un produit / service qu’on a pas encore reçu.

Dans la grande consommation il y a en général quasi-simultanéité entre le moment ou on paie et le moment où on reçoit le produit ou le service.

Dans l’hôtellerie on peut choisir de payer sur place. Les prix sont bien sûr moins cher si on décide de payer en avance car cela constitue une trésorerie souvent bien venue pour l’hôtelier (il encaisse aussi parfois en basse saison quand il a moins de monde pour une prestation à venir en haute saison).

Dans l’aérien impossible sauf :

  • Lorsqu’une carte de crédit co-brandée vous permet un étalement des paiements sans frais(comme l’Amex Air France)
  • Si vous vivez totalement à crédit, dans ce cas votre carte de crédit, co-brandée ou non ne vous permet pas du x fois sans frais mais vous prend des intérêts astronomiques tant que vous n’avez pas payé.
  • Vous arrivez à optimiser un peu votre trésorier sur le dos de votre agence de voyage.

Un nouveau modèle est il possible pour l’aérien ?

Que le fait de pouvoir décaler ou lisser son paiement lève un frein à l’achat de billets d’avion peut être considéré comme un fait acquis. Mais ce modèle est il raisonnablement applicable à l’aérien ?

Le secteur aérien a ceci de particulier qu’il a des couts structurels lourds et quasi permanents. Le personnel n’est pas saisonnier et n’est aussi « variabilisable » que dans l’hôtellerie ou dans la restauration. Les avions se paient et s’entretiennent tout le temps. Il doit donc rentrer du cash en permanence et pas uniquement lorsque les gens voyagent. Il lisse ses rentrées là où le passager aimerait lisser ses dépenses.

Et puis le risque de « no show » deviendrait plus important, entrainant soit une augmentation des prix soit un recours encore plus intensif au surbooking avec comme conséquence que le passager y serait au final perdant.

Mais dans des proportions moindres tout le monde pourrait en dire autant. L’hôtelier paie son loyer même en basse saison, le commerçant a un stock qu’il a payé et pas encore vendu…

Repenser la flexibilité dans l’aérien

Donc plus que ne voir la chose que du point de vue des flux de trésorerie du client ou de la compagnie il s’agirait peut être d’élever le débat et de repenser la notion de flexibilité du billet d’avion en introduisant, en plus des nombreux mécanismes existants (plus on paie cher plus le billet est modifiable et remboursable) la notion de décalage de paiement au moins jusqu’à quelques jours avant le vol afin de laisser le temps aux compagnies de se retourner.

Et là on voit déjà les nombreux problèmes que cela peut poser avec une multiplication des réservations qui ne seraient que des options, une catastrophe pour le taux de remplissage des avions et les finances de la compagnie etc.

Ou alors un système mixte : plus on paie tard plus un supplément vient s’ajouter au prix avec au final une pénalité si on décide de ne pas prendre le vol.

Amadeus pose une question à laquelle on aurait tort de ne pas réflèchir mais rien ne dit que sa réponse soit réaliste, que le rapport coût/bénéfice soit supportable pour les compagnies aériennes ni même au final que le client n’y perde pas.

Et vous, en tant que client ou que professionnel de l’aérien, que pensez vous du « pay when you fly » et de manière générale des conditions de réglement de vos billets d’avion ?

Image : passager qui paie son billet d’avion Par fizkes via Shuttertock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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