Les chiffres du trafic passagers sont à nouveau à la hausse cet été : il fait plaisir de voir que les voyageurs sont désormais de retour dans les aéroports et dans les avions, et que la plupart des vols ont un taux de remplissage acceptable voire très bon.
Alors que la crise du Covid n’est toujours pas terminée, et qu’elle dure désormais depuis plus de 18 mois, il est temps de faire un bilan des impacts de cette crise notamment sur des compagnies plutôt fragilisées, à savoir les trois grandes compagnies du Moyen-Orient : Emirates, Qatar Airways, et Etihad.
Mais pourquoi donc ces trois compagnies sont-elles plus touchés que les autres ? Qui s’en sort le mieux parmi ces trois compagnies, y a-t-il un outsider en dehors de cette zone qui puisse tirer parti de cette crise ? C’est tout l’enjeu de l’article que nous vous proposons aujourd’hui.
Une crise qui touche fortement les compagnies du moyen-orient
Les compagnies du Moyen-Orient sont particulièrement sensibles aux crises en tous genres affectant le transport aérien.
En effet, ces compagnies comptent sur un flux de passagers Est-Ouest, flux de passagers largement interrompu lors de la mise en place des restrictions de voyage très importantes notamment dans les pays d’Asie et en Océanie. Contrairement à la plupart des compagnies aériennes européennes, américaines ou asiatiques, le trafic régional est plutôt limité. Limitation renforcée par le fait que les déplacements professionnels depuis l’apparition de cette crise du Covid ont été totalement stoppés, et maintenant sont fortement ralentis.
En effet, selon une récente étude de la Montpellier Business School, 70 % des voyageurs d’affaires indiquent réduire très fortement leurs déplacements dès maintenant. D’ores et déjà, l’ensemble des acteurs du secteur compte sur une baisse de 40 % à long terme des déplacements professionnels.
Il a donc fallu que ces compagnies trouve des stratégies pour subsister pendant cette crise et, attendre que le temps passe.
Le concept de super-hub renforce les difficultés de ces compagnies
La notion de hub est apparue dans les années 90, et a été implémentée par l’ensemble des grandes compagnies européennes et américaines : Il s’agit de proposer des plages de correspondance entre des vols moyen-courrier et long-courrier pour assurer le transport du passager d’un point A à un point B en passant par un point C qui est ce fameux hub de correspondance. Si ce concept a été créé dans les années 90, il a été utilisé de manière extensive par les compagnies du Golfe pour développer leur réseau à partir du début des années 2000.
Dans un grand hub comme Dubaï ou Abu-Dhabi, les passagers arrivent de beaucoup d’endroits différents, se mélangent, pour repartir sur d’autres vols qui vont dans un autre endroit. C’est ce phénomène, par exemple, qui pousse le Royaume-Uni a laisser les Émirats Arabes Unis ou le Qatar dans leur liste rouge, non pas pour la diffusion du virus domestique dans ces pays mais pour ce brassage à cause du hub.
L’autre point est la peur des passagers de voyager sur des vols avec correspondances, qui favorisent potentiellement le mélange de personnes et la propagation du virus, par peur d’être infecté. Cela fait conduire à des routes aériennes point-à-point, desservies moins souvent, et avec de plus petits appareils.
Une atteinte des ME3 très variable, avec des stratégies de gestion de crise très différente
La compétition entre les trois grandes compagnies du Moyen-Orient a été très dure ces 10 dernières années s’est encore renforcée a minima entre Emirates et Qatar Airways pendant la crise du Covid-19.
Pendant la pandémie, Qatar Airways a maintenu nombre de vols et nombre de destinations pendant que ses concurrentes pliaient quasiment boutique. La semaine dernière, c’est Qatar Airways qui tenait le haut du pavé avec près de 450 vols par jour tandis que sa concurrente Emirates plafonnait à 230 vols. Etihad est loin derrière avec un peu moins de 130 vols.
Qatar Airways
Depuis le début de cette crise internationale, Qatar Airways a trouvé sa place de plus grande compagnie aérienne internationale en sièges-kilomètres parcourus : la compagnie à non seulement maintenu la plupart des lignes ouvertes, mais également ouvert de nouvelles en pleine pandémie, notamment sur l’ensemble des destinations américaines qu’Emirates a laissé de côté pendant cette crise : Seattle, Toronto, San Francisco.
Cet été notamment, la plupart des destinations américaines sont desservies deux fois par jour. Énorme !
Outre ce point, Qatar Airways a assuré énormément de vols de rapatriement de citoyens bloqués à l’étranger vers leur pays d’origine.
Toutes ces expansions mettent néanmoins le doute sur la viabilité commerciale de ces ouvertures de ligne, doute contrecarré par le Directeur Général de la compagnie depuis 24 ans, Akbar Al Baker, qui indique vouloir « utiliser toutes les opportunités possibles pour générer du chiffre d’affaires pour sa compagnie », indiquant également qu’il s’agit sûrement « de la compagnie qui a eu le moins d’injection de fonds de la part de ses actionnaires, aucune subvention, et que tout l’argent reçu représente une augmentation de capital qui profitera à l’ensemble des actionnaires ». Pan dans les dents de beaucoup de compagnies européennes !
Emirates
Pendant très longtemps, l’atout majeur d’Emirates était sans conteste l’Airbus A380. Mais depuis le début de la pandémie, lorsqu’il a été beaucoup plus difficile de remplir les avions en raison de la peur des passagers et des restrictions de voyage, l’A380 est devenu une vraie plaie pour la compagnie, et il y a très peu de marchés existants aujourd’hui qui permet de supporter un appareil tel que le très gros porteur de la firme européenne : Paris, New York et peut-être San Francisco. Tous les autres marchés sont soit fermés soit très fortement restreints en terme d’immigration.
La compagnie est néanmoins obligée de continuer d’opérer ses A380 sur certaines routes, avec des vols parfois quasiment vides, pour continuer la formation des quelques pilotes qui restent (90% des pilotes ont été licenciés entre mars et septembre 2020), et la maintenance des appareils.
L’A380 était déjà quasiment mort avant la pandémie, mais cette dernière l’a tuée… Emirates pourra-t-il réopérer comme auparavant, rien n’est moins sûr !
Emirates garde néanmoins un avantage considérable sur Qatar Airways, c’est le trafic origine/destination plus important que dans les autres villes du Moyen-Orient, drivé à la fois par le marché local, et par le marché de visite de Dubaï, ville qui est restée ouverte quasiment de manière constante depuis l’été 2020.
Etihad
La compagnie d’Abou Dhabi avait déjà commencé à réduire la voilure depuis 2016. Notamment en raison de son manque de cash, généré par la stratégie d’alliance désastreuse mise en œuvre par certains dirigeants de la compagnie émiratie.
En avril 2021, ils ont même annoncé la sortie de la flotte de l’Airbus A380, fleuron de la compagnie, qui possède notamment l’un des meilleurs produits en première classe de l’industrie, qui s’appelle La Résidence, et dont nous vous avons déjà parlé sur TravelGuys. Plus grave, ils ont également annoncé la sortie de la flotte du Boeing 777, pourtant assez agile à opérer.
Cela veut donc dire que le produit first d’Etihad sera seulement présent sur une partie réduite de la flotte, à savoir les Boeing 787-9 équipés d’une suite mais beaucoup moins prestigieuse que celle présente dans l’A380.
Le directeur général de la compagnie a déjà annoncé être un transporteur de taille moyenne, plus en mesure de conquérir contre Emirates ou Qatar Airways.
L’arrivée de l’A350-1000 (avec First) dans les prochaines semaines va-t-il changer la donne ? Pas sûr.
Conclusion : Le salut viendrait-il d’une autre compagnie ?
Nul sait quel acteur du Moyen-Orient sortira grandi de cette crise du Covid, mais clairement, Qatar Airways a pris l’ascendant sur les deux autres compagnies du Golfe. Etihad reste en survie, et le destin d’Emirates est intimement lié à la reprise du trafic et à l’utilisabilité des Airbus A380, sachant que ces derniers ne sont pas prévu de sortir de la flotte de sitôt.
Néanmoins, une autre compagnie pourrait bien tirer son épingle du jeu. Elle n’est pas techniquement située au Moyen-Orient, mais à quelques milliers de kilomètres au nord. Il s’agit de Turkish Airlines. Avec Bertrand, nous avons une certaine expérience de cette compagnie, et nous pouvons vous dire qu’elle est excellente, aussi bien du point de vue hard que soft product.
Spécifiquement, le service en long en très long courrier d’excellente qualité, équivalent à celui d’une compagnie du Golfe.
Stratégiquement, elle est le grand avantage d’avoir une flotte beaucoup plus variée que celle des compagnies du Golfe, à la fois avec des appareils moyen-courrier et long-courrier, et un réseau européen, asiatique et moyen-oriental très dense, offrant d’innombrables possibilités de correspondance. D’ailleurs, la compagnie propose des itinéraires depuis l’Europe vers les États-Unis, ce qui ne proposent généralement pas les compagnies du Gofle.
Tout cela permet de générer un trafic beaucoup plus important, et la compagnie a résisté de manière impressionnante pendant cette crise du Covid. Sera-t-elle le nouveau mega-hub ?