Passeport sanitaire : un beau bazar en vue !

Le passeport sanitaire sera la clé de voute de la reprise des voyages. Les choses se mettent peu à peu en place mais dans une confusion qui laisse présumer un été pour le moins chaotique. A trop vouloir jouer leur propre carte les compagnies aériennes risque surtout de complètement déboussoler les passagers sur un sujet déjà peu clair et avec des risques de dysfonctionnement à la clé.

Qu’est-ce que le passport sanitaire ?

Et nous employons ici le terme passeport sanitaire à dessein et non pas passeport vaccinal pour une bonne raison : selon les pays personne n’est d’accord sur ce qu’il contiendra.

De manière synthétique ce sera un document, numérique bien sur, qui contiendra et certifiera les documents prouvant qu’une personne ne représente aucun risque et peut donc voyager.

Ici nous serons volontairement vagues sur la notion de « document » : en effet au départ certains ont pensé de manière quasi exclusive à un certificat de vaccination alors que pour d’autres il faudrait y inclure les tests PCR ou antigéniques qui seront encore utiles pendant longtemps vu la vitesse de progresse des campagnes vaccinales dans certains pays. Et certains pays considère qu’une personne qui a déjà eu le COVID est par définition saine, d’autres non.

De la même manière le but d’un tel passeport reste encore très vague. Si dès le début il n’a fait aucun doute qu’il serait utilisé pour autoriser les gens à voyager certains pays prévoient déjà une utilisation étendue comme par exemple pour autoriser l’accès aux restaurants, aux lieux de spectacles etc…

Quels enjeux pour le passeport sanitaire

Le passeport sanitaire pose deux enjeux majeurs : la portabilité et l’authenticité.

La portabilité signifie qu’une fois testé négatif ou vacciné il doit être possible de facilement transférer le document le prouvant dans le passeport.

L’authenticité signifie que la validité et l’origine du document doivent pouvoir être certifiées. Cela a pour but bien évidemment d’éviter la prolifération de faux documents ou documents délivrés par complaisance.

Ce dernier point n’est pas le moins important vu les enjeux car se pose nécessairement la question de savoir qui est responsable si jamais une personne parvenait à frauder ou si en toute bonne foi une personne considérée comme « sûre » était en fait porteuse du virus et l’a emmené dans ses valises.

Comment faire « reconnaitre » son test ou sa vaccination ?

Commençons par le premier point : faire reconnaitre son test ou son vaccin. Aujourd’hui on présente son test PCR ou son certificat de vaccination sur papier ou idéalement en version digitale ou scannée/photographiée.

Sans même parler de passeport cela pose déjà la question de la lisibilité du document : de manière surprenante tous ne sont pas écrits ou « sous titrés » en anglais. Problématique quand on voyage.

De manière générale comment une application peut elle :

  • reconnaitre le document qu’on lui soumet est un certificat de vaccination / un test PCR ?
  • identifier les données présentes dans le document ?
  • certifier que ce certificat est authentique ?

Jusqu’à aujourd’hui et même sans passeport cela a fonctionné à petite échelle et en mode quasiment artisanal, mais il va falloir passer à l’échelle.

Cela signifierait a minima deux choses.

La première est une standardisation des documents avec pourquoi pas un QR code contenant les informations essentielles ainsi bien sur la provenance du document.

Aujourd’hui on en est loin. Et pour avoir vu dernièrement le certificat de vaccination COVID de ma mère je suis bien curieux de savoir comment celui-ci peut être reconnu par une quelconque app et encore moins certifié comme original et émis par un établissement habilité à le faire.

Muni d’un tel document je me questionnerai sur la manière dont l’utiliser et le faire reconnaitre. En plus il n’est écrit qu’en Français.

La seconde est la garantie de l’authenticité du document.

Selon ton laboratoire ta compagnie tu choisiras

Les différentes solutions qui existent sur le marché aujourd’hui l’ont bien compris et pour la plupart ne reconnaissent que les documents émis par des établissements partenaires, choisis et validés.

Ainsi le IATA Travel Pass spécifiait bien qu’il fallait que le test ou le vaccin soit pratiqué par un établissement autorisé et que ce soit l’établissement lui-même qui enregistre le document dans le système.

La solution AOKPASS utilisée en test par Air France suit la même voie en proposant d’enregistrer un test réalisé dans un laboratoire partenaire. D’accord, Cerballiance et Biogroup (mentionnés dans le communiqué de presse) ont une couverture large mais que faire si je fais mon test ailleurs ?

Est-ce que selon le laboratoire qui pratique mon test je serai « compatible » avec une solution et pas une autre ? Et donc qu’il me sera plus simple de voyager avec une compagnie qu’avec une autre ?

Et là on ne parle que des tests PCR réalisés par des laboratoires, ce qui représente un circuit connu et tracé. Mais par définition le test antigénique (lorsqu’il est autorisé c’est à dire rarement) n’entre pas dans ce cadre. Mais qu’en sera-t-il des vaccins ?

Aujourd’hui selon les pays et les stratégies vaccinales il n’y a ni circuit type ni établissement de « confiance » à faire rentrer dans un tel dispositif. En France, pour l’instant, on monte des centres de vaccination qui remettent un vulgaire carton en preuve de vaccination. A quelles normes répond il ? Comment peut on certifier qu’il correspond à une vaccination effective ? Peut on tracer la réalité de cette vaccination en deux clics ? Assurément non.

Et demain lorsque les médecins de ville et les pharmaciens pourront à leur tour vacciner cela ne fera qu’ajouter à l’illisibilité du dispositif. Si on prend la chose à l’échelle mondiale c’est une belle gabegie qui s’annonce quand les personnes vaccinées voudront transformer leur bout de carton en certificat digital authentifié !

Passport indépendant ou lié une compagnie aérienne ?

Et pour ajouter à la complexité de la chose si le terme « passeport » vous évoque, comme le bon vieux passeport qu’on connait tous, un document unique et universel qui s’impose à tous vous pouvez oublier !

Le système proposé par l’IATA est pourtant séduisant : un système centralisé qui authentifie et certifie les documents et les rend disponibles aux différents acteurs du voyage de manière sécurisée. « Une source unique de vérité » comme on dit.

Et bien ça serait trop simple !

Parmi les compagnies qui à ce jour ont décidé de lancer des expérimentations en la matière beaucoup ont décidé de jouer solo et d’intégrer les services d’un fournisseur de solution dans leur application plutôt que se connecter à un système centralisé comme celui proposé par l’IATA.

Singapore Airlines, Emirates, Qatar Airways, Etihad ou encore COPA ont ou vont expérimenter le IATA Travel Pass.

Air France s’est lancée avec AOK PASS.

British Airways et American Airlines ont, elles opté pour Verifly.

Une complexité de plus à gérer par le voyageur qui pourra être amené à renseigner plusieurs applications.

La pire des situations, mais nulle doute qu’elle se présentera, sera celle de vols en correspondances sur des compagnies utilisant des « passeports » différents. Il serait donc logique qu’à minima le choix d’une solution se fasse au niveau d’une alliance car plus que jamais il importe de certifier le voyageur de « bout en bout » et pas « segment par segment ». Mais ça n’est pas la direction qu’on semble prendre.

Quels passeports sanitaires seront reconnus dans les aéroports ?

Mais il y a pire : non seulement les compagnies jouent leur propre carte mais les aéroports en font de même.

AOK Pass dit être en contact avec 170 aéroports prêts à utiliser sa solution.

On assiste donc également à une « spécialisation » des aéroports en fonction du passeport sanitaire utilisé.

Par exemple Verifly a fait de Denver un aéroport témoin.

Que se passe-t-il si on va à Denver avec une compagnie qui utilise AOK Pass ou IATA Travel Pass ? Aujourd’hui la question ne se pose pas car on est dans une phase d’expérimentation où chacun essaie des choses dans son coin et la possibilité de voyager est très réduite. Mais qu’en sera-t-il demain ?

Quand l’Union Européenne s’en mêle (s’emmêle ?)

Et ça n’est pas tout. Désireuse de ne pas saborder la prochaine saison touristique, l‘Union Européenne veut mettre en place un passeport sanitaire, un « certificat numérique vert » afin de faciliter les voyages en son sein. Vert ? Ca fleure bon la démagogie mais bon.

Si tests PCR et vaccin devraient l’intégrer sans aucun doute, une contamination antérieure et la présence d’anticorps dans l’organisme devrait également être prise en compte pour pouvoir voyager. Mais sur ce dernier point tous les pays ne sont pas d’accord.

Et bien sûr cela va prendre la forme d’une…application numérique. Une de plus. Encore un système différent qui va se superposer à ceux précédemment évoqués…à condition que les pays Européens tombent d’accord, légifèrent assez vite, que chacun l’adopte et que les autorités nationales en charge de la protection des données personnelles (comme la CNIL en France) ne retoquent pas le dispositif.

Sinon…ça sera certainement un outil par pays qui viendra se juxtaposer à ce qui est mis en place par les acteurs du tourisme.

On ne voit pas ce qui aurait empêché l’Union Européenne de se baser sur le IATA Travel Pass mais non…

Une normalisation des passeports sanitaires est urgente

Aujourd’hui les possibilités de voyages sont rares et on est en phase de découverte, d’expérimentation. Il est donc logique de voir se multiplier les initiatives de manière pas nécessairement compatible ou cohérente.

Mais cela ne va pas pouvoir durer longtemps et il va falloir qu’un standard émerge et qu’il soit partagé par tous.

Pour le passager tout doit être transparent et il ne doit pas avoir à renseigner plusieurs fois la même information, il doit avoir un statut sur la totalité de son voyage en une seule fois et ne pas se retrouver coincé à mi chemin pour des raisons de complication administratives.

A défaut on risque deux choses. Tout d’abord un système trop complexe qui rebute les clients. Ensuite, et c’est encore pire, un système compliqué donc faillible, dont le premier dysfonctionnement constaté rejaillira sur toute l’industrie.

Et nous ne parlons même pas du respect des données personnelles que nous préfererions voir confiées à un seul acteur de confiance que dispersées auprès de tous.

Nulle doute que tout rentrera vite dans l’ordre. Mais le plus vite serait le mieux.

Image : passeport sanitaire de Robert Avgustin de via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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