Pourquoi le prix du billet d’avion ne baisse pas en même temps que le carburant ?

Pourquoi mon billet d’avion reste-t-il si cher alors que le prix du carburant baisse ? Un constat d’autant plus énervant que lorsqu’il monte et bien…le prix du billet monte.

C’est une question que vous nous posez souvent sur les réseaux sociaux et d’ailleurs que nos amis nous posent également donc on va essayer d’y répondre le plus simplement possible.

Le carburant un poste de dépense majeur et fluctuant

Le carburant représente entre 17 et 25% des coûts d’une compagnie aérienne et, selon les époques et les prix, représente leur 1er ou 2e poste de dépense. Par exemple, en 2018, Air France-KLM a dépensé 5 milliards d’euros en carburant contre un peu plus de 7 milliards en 2012.

Un poste de dépense majeur et imprévisible : le pétrole monte, baisse et ce aussi bien pour des raisons simplement liées au marché (donc en partie prévisibles) que pour des raisons géopolitiques plus difficiles à anticiper et qui peuvent rendre l’évolution du cours du pétrole pour le moins épidermique.

A titre d’information voici l’évolution des prix du carburant depuis 2013 par rapport à une base 100 en 2000, trouvée sur le site de l’IATA.

Donc, comme pour votre voiture, quand le cours du pétrole augmente le prix du plein augmente, donc celui du billet, et quand il baisse c’est l’inverse qui se passe.

Et bien pas exactement voire pas du tout.

La couverture carburant : l’arme contre la hausse du prix du pétrole

Pour une compagnie aérienne, comme pour toute entreprise il y a des couts fixes et des couts variables et le carburant fait partie des seconds. Or ce qui est variable n’est par définition pas prévisible et ça les entreprises en ont horreur.

Il y a une partie leur facture carburant qu’elles maitrisent : elle dépend du nombre d’appareils mis en circulation, de leur consommation et des distances parcourues. Mais elles ne maitrisent pas l’essentiel, le cours du baril de pétrole, et ça ça empêche les financiers de dormir.

Elles ont donc trouvé la recette magique pour se prémunir des hausses de prix du carburant : la couverture carburant.

C’est un mécanisme très simple : elles s’engagent à une date donnée à acheter un certain volume de carburant sur une période donnée, en contrepartie de quoi le pétrolier qui peut ainsi sécuriser un revenu dans la durée, lui garantit un prix fixe.

Autrement si le prix du kérozène est à, par exemple, 1,75 dollar le gallon (3,78 l) et qu’une compagnie s’engage à en acheter les x tonnes dont elle a besoin pour les 12 prochains mois, elle les paiera 1,75 dollars pendant cette période, même si le cours monte !

Certaines compagnies se « couvrent » plus ou moins, sur une période plus ou moins longue. Par exemple, comme nous le disaient Les Echos en mars dernier, « Air France-KLM a ainsi déjà couvert 60 % de ses besoins pour 2020 (et même 70 % au troisième et quatrième trimestre) à 62 dollars le baril, […]Lufthansa est couvert à 85 % sur les huit prochains mois à 63 dollars le baril. Quant à IAG, maison mère de British Airways et Iberia, le groupe a couvert, sans préciser à quel prix, 92 % de ses besoins au premier trimestre, 94 % au second trimestre, 91 % au troisième et 82 % au quatrième« .

Oui mais des fois le prix du carburant baisse !

Les compagnies menottées quand le prix du carburant baisse !

Comme vous n’avez pas manqué de le remarquer, parfois le prix du carburant baisse. Et d’ailleurs quand il baisse il a tendance à baisser plus fort et vite qu’il ne monte. Que se passe-t-il dans ces cas là ?

Et bien tout dépend de la couverture carburant de la compagnie. Une compagnie qui est peu ou pas couverte va profiter de la baisse à plein (par contre elle aurait été très exposée en cas de hausse) et pour celles qui sont bien couvertes et bien c’est l’inverse ! Elles sont pieds et poing liée et vont acheter leur carburant au prix auquel elles s’étaient engagées à le faire pendant la durée prévue. Avec quelques marges toutefois : si on prend l’exemple d’air France tel qu’évoqué plus haut, Air France pourrait acheter 40% de son carburant au nouveau prix du marché (hypothèse théorique à l’heure où j’écris ces lignes car il n’est plus question de faire voler un avion avant plusieurs semaines au mieux).

Et peut coûter très cher aux compagnies qui ayant anticipé un pétrole cher et se sont bien couvertes voient le prix du carburant s’effondrer. Si la bonne couverture pétrole d’Air France lui a fait gagner 50 millions de dollars en 2019, l’effondrement du coût du pétrole en 2020 pourrait selon Forbes l’amener à enregistrer jusqu’à 1 milliard de pertes dans son bilan !

On comprend pourquoi la politique de couverture de la compagnie se détermine au plus haut niveau de l’entreprise et est un élément clé de sa stratégie. De sa capacité à bien anticiper l’évolution du prix du pétrole dépend en grande partie sa performance financière au travers de la gestion de sa couverture carburant.

Pour l’anecdote, certains se souviennent sûrement des années 2000 quand Air France et KLM ont fusionné et que le groupe donnait des leçons de bonne performance financière à l’Europe entière. Mais ces performances étaient un trompe l’oeil : elles n’étaient dues qu’à une excellente politique de couverture carburant qui dans un contexte de forte hausse a, par exemple, contribué à hauteur de 1,4 millard d’euros à son excédent d’exploitation en 2007-2008. Un tellement beau trompe l’oeil que, malheureusement, la compagnie elle même y a cru et n’a pas engagé à cette époque, contrairement à ses concurrents, les démarches qui auraient pu la rendre vraiment opérationnellement rentable.

Mais pourquoi le prix du billet ne baisse pas quand le carburant baisse ?

Ah oui au fait c’était la question de départ.

Et bien vous avez compris qu’une compagnie qui a une couverture limitée peut quasi-immédiatement répercuter la baisse des prix du carburant sur le prix du billet alors que celle qui a une couverture forte devra attendre d’avoir « épuisé » sa couverture, ce qui peut prendre des mois, voire une année, en espérant que les prix ne repartent pas à la hausse entre temps. Ou alors elle va baisser ses prix dans une certaine proportion, mais ses coûts ne changeant pas, elle va logiquement le faire au détriment de sa rentabilité.

Par contre en cas de hausse subite, une compagnie qui a une couverture faible ou une compagnie qui a épuisé sa couverture sur une période donnée, va devoir se retrouver obligée à acheter au prix du marché. Et là elle a une arme magique pour répercuter les hausses sur le prix du billet : la fameuse surcharge « YQ » cachée dans la jungle des taxes et suppléments appliqués au prix du billet, autrement appelée « surcharge carburant ». Et celle là est tellement invisible et indolore qu’on oublie souvent de la faire baisser lorsqu’elle n’est plus de mise.

Photo : couverture carburant de MikeDotta via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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