Comment les compagnies achètent-elles leurs avions ? Elles ne les achètent pas !

C’est une question récurrente dans le grand public quand les médias parlent des performances financières des compagnies aériennes : comment une compagnie aérienne peut elle être valorisée moins cher que sa flotte (c’est le cas de la plupart d’entre elles !) ?

Et la question s’est posée de la même manière pendant le COVID : pourquoi, pour se sauver, les compagnies ne vendent-elles pas des avions ? Dans ce cas précis ça n’aurait servi à rien car aucune n’avait les moyens d’acheter, d’autant plus qu’elles étaient toutes en surcapacité par rapport à la demande. Mais en temps normal la question aurait été pertinente. Quand on doit un milliard et qu’on a une flotte d’A320 (100 millions d’euros pièce prix catalogue) et de B777 (320M€ prix catalogue), même d’occasion il y peut être moyen de faire rentrer un peu d’argent dans les caisses.

Et bien dans les deux cas la réponse est la même : parce que la plupart du temps les compagnies ne sont pas propriétaires de leurs avions. Donc ça n’est pas un actif qui peut influer sur leur valorisation (même si c’est quand même un outil de production) et encore moins un actif qui peut être vendu !

Dans cet article :

Comment les compagnies aériennes financent leurs avions ?

Comment fonctionne le leasing pour les compagnies aériennes ?

Pourquoi une compagnie aérienne recoure au leasing ?

Wet Lease, Dry Lease : les différentes formes de leasing

La limite du leasing dans l’aérien

Quel est le poids du leasing et des lessors dans l’aérien ?

Bonus : le mode de financement a un impact sur l’immatriculation des appareils

Comment les compagnies aériennes financent leurs avions ?

Les compagnies aériennes ne sont pas si différentes de nous, elles jouent juste avec des sommes plus grandes.

Lorsque vous désirez acheter une voiture vous avez 3 possibilités :

1°) Vous la payez cash

2°) Vous allez emprunter auprès de votre banquier

3°) Vous faites un leasing, autrement appelé location avec option d’achat (LOA). Vous louez la voiture pendant un certain au bout duquel soit vous l’achetez soit vous la rendez.

Les compagnies aériennes font face aux mêmes alternatives. A quelques détails près.

Le paiement cash est exclus : quand vous devez renouveler un flotte de 50 longs courriers à 250 millions pièce cela vous fait 13 12,5 milliards à sortir. Autant oublier tout de suite même si dans les faits les avionneurs font des remises généreuses sur le prix catalogue.

La banque ? Pourquoi pas mais vous êtes sur une activité cyclique, sujette à des crises récurrentes, avec un fort besoin en capital pour des marges faibles. Partant du principe qu’on ne prête qu’aux riches… Et puis si vous ne payez pas votre banque n’a aucune envie de se retrouver avec une flotte d’A320 sur les bras. Récupérer votre appartement avec vue sur la Tour Eiffel si vous ne payez pas votre emprunt immobilier oui, une flotte d’avion non.

Reste le leasing.

Comment fonctionne le leasing pour les compagnies aériennes ?

C’est un peu comme la LOA de votre voiture. Sauf qu’on parle de dizaines ou de centaines de voitures très chères.

La compagnie va louer ses avions sur disons 20 ans. Au bout des 20 ans elle peut soit les acheter pour un prix résiduel soit les rendre au loueur (le « lessor ») pour en reprendre des plus modernes, plus performants, plus économiques. Si elle les rend l’appareil sera soit reloué soit vendu à une compagnie de second rang toute heureuse de mettre la main sur un avion âgé d’une vingtaine d’année pour un bon prix. Entre temps si notre compagnie a un revers de fortune, comme c’est arrivé pendant la crise du COVID mais également à de nombreuses compagnies en difficulté avant, rendre l’appareil au lessor ne lui apporte pas d’argent frais mais permet de diminuer ses coûts.

C’est une bonne opération pour la compagnie qui lisse son opération sur une longue période et paie souvent moins cher que si elle avait acheté l’avion elle-même. Pourquoi donc ?

Parce que si elle va voir Airbus pour lui acheter 20 avions elle aura une remise. Mais si le lessor, lui, achète 300 appareils il aura une encore plus grosse remise, ce qui se répercutera sur le loyer. Et puis cela arrange Airbus car le lessor est plus solvable et moins risqué qu’une compagnie aérienne. Une compagnie peut avoir un problème, le lessor, lui, lisse son risque sur plusieurs. Bref l’avionneur y gagne un peu de sécurité aussi.

La compagnie économise du cash en louant moins cher sur une longue durée et le lessor gagne de l’argent avec les loyers et, bien sûr, en revendant l’appareil à la fin du cycle car un appareil bien entretenu se déprécie finalement peu. Et s’il ne trouve pas preneur (essayez de vendre un A380 d’occasion aujourd’hui…) ? Et bien l’appareil sera démantelé et ses pièces revendues en pièces détachées.

Pourquoi une compagnie aérienne recoure au leasing ?

On a déjà en partie répondu à la question mais c’est important de bien comprendre les besoins des compagnies en fonction de leur contexte. Une compagnie aérienne a intérêt à avoir recours au leasing.

1°) Si elle n’a pas l’argent pour acheter ses appareils cash.

2°) Elle veut profiter de la croissance du marché. Imaginez par exemple que le tourisme se développe subitement dans une région ou encore qu’une série de faillites créent des opportunités pour des compagnies qui sauraient remplacer les compagnies défaillantes rapidement. A ce stade il est possible de passer commande chez Boeing ou Airbus et attendre des années pour être livré ou passer par un lessor qui a l’avion en stock ou en commande et livrera sous quelques semaines ou quelques mois.

3°) Une flotte inutilisable. Par exemple vous avez une flotte de 737 Max, ils se retrouvent interdits de vol pour une durée indéterminée et en attendant vous avez vos slots et des équipages que vous payez. Dans ce cas une location courte durée vous permettra de continuer à opérer.

4°) Son activité est saisonnière. Par exemple vous opérez des vols dans une région touristique, beaucoup de demande l’été, peu l’hiver… vous avez tout intérêt à être propriétaire du minimum d’appareils nécessaires et louer les autres pour la saison.

Wet Lease, Dry Lease : les différentes formes de leasing

Contrairement à la LOA de votre voiture, le leasing aérien comporte différentes variantes, car, on l’a vu, il permet de faire face à des besoins de long comme de très court terme. Il y a donc différents types de leasing.

Tout d’abord le « Wet Lease« . Dans ce cas le lessor vous fournit tout : l’appareil, les pilotes, l’équipage et s’occupe même parfois de la maintenance. C’est la solution des compagnies ayant une activité localisée et saisonnière. Peu d’appareils et d’équipages pendant la basse saison et location d’appareils et d’équipages en haute saison ce qui leur donne une grande flexibilité et leur permet de variabiliser l’essentiel de leurs coûts.

Ensuite le « Dry Lease« . C’est la solution retenue par toutes les grosses compagnies. Elles ne louent que l’appareil car elles ont leurs propres équipages, qu’elles forment, et tiennent à assurer un niveau constant de qualité de service. Elles ne peuvent se permettre d’opérer avec des équipages qui ne sont pas les leurs. Le Dry Lease peut donc servir à long terme pour ces compagnies ou à court terme quand elles manquent d’appareils tout en ayant les équipages (crise du 737 Max par exemple).

Le « Damp Lease« . Comme son nom l’indique c’est un mélange des deux, une sorte de leasing à la carte avec parfois seulement les pilotes, seulement la maintenance, parfois l’équipage et maintenance mais pas les pilotes…

La limite du leasing dans l’aérien

Mais le leasing n’a pas que des intérêts, notamment lorsqu’il s’agit de faire face à des difficultés financières. Effectivement une compagnie ne peut pas vendre des appareils qui ne lui appartiennent pas mais ça lui empêche également d’emprunter.

Quand on emprunte on donne des actifs en garantie. Quand on ne possède rien on ne peut pas emprunter. C’est une des raisons pour lesquelles les compagnies aériennes américaines ont, pendant la crise du COVID, utilisé leurs programmes de fidélité et pas leurs avions pour lever de l’argent.

Quel est le poids du leasing et des lessors dans l’aérien ?

Selon Statista alors qu’en 2000 seuls 24% des avions étaient loués, c’est aujourd’hui 46% de la flotte mondiale qui n’appartient pas à des compagnies aériennes mais des lessors.

Une tendance qui ne fait que s’accroitre. En 2021, selon Reuters, les lessors financent plus de 50% des achats d’avions dans le monde ce qui signifie que pour la première fois dans l’histoire les lessors achètent plus d’avions que les compagnies aériennes.

Les plus gros d’entre eux dont vous n’avez surement jamais entendu le nom sont certainement les propriétaires d’avions sur lesquels vous avez volé :

AerCap1 112 appareils
GECAS1 074 appareils
Avolon582 appareils
Nordic Aviation Capital474 appareils
BOC Aviation459 appareils
SMBC Aviation Capital446 appareils
BBAM427 appareils

Note : AerCap et GECAS sont en train de fusionner.

A titre de comparaison, avant la crise, Air France et KLM réunies « pesaient » 554 avions.

Si Ryanair est propriétaire de tous ses appareils, avant la crise Air France n’en possédait qu’à peine 40%, Alitalia 10%. la moitié des A380 d’Emirates est également louée.

Et si vous voulez savoir à qui appartient l’avion immatriculé en France dans lequel vous montez vous pouvez utiliser ce site de l’aviation civile. Rentrez y l’immatriculation de l’avion et découvrez son propriétaire. Par exemple le F-GKXN Air France qui m’a ramené de Bordeaux à Paris cet automne appartient à XLease.

Pour des appareils étrangers il faudra aller chercher sur le site de l’autorité du pays d’immatriculation comme la FAA par exemple aux Etats-Unis.

Bonus : le mode de financement a un impact sur l’immatriculation des appareils

Vous verrez que toutes les compagnies françaises ont des des appareils dont l’immatricultion commence par F-xxxx. C’est parce que la France impose à une compagnie française de n’opérer que des appareils immatriculés en France. Mais ça n’est pas le cas de tous les pays.

Ainsi vous verrez beaucoup d’appareils de compagnies étrangères immatriculés EI-xxxx, c’est à dire en Irlande. Pour raisons fiscales ? Pas uniquement.

En cas de faillite certains pays protègent moins les lessors que d’autres. La convention du Cap (2001) protège les propriétaires des avions en cas de faillite d’une compagnie : ils pourront facilement les récupérer. Mais tous les pays ne l’ont pas signé (La France, l’Italie, l’Allemagne etc sont dans ce cas) donc lorsqu’une compagnie de ces pays loue un avion et, à moins que comme en France la loi l’oblige à l’immatriculer dans le pays, le lessor leur demandera de les faire immatriculer dans un pays signataire comme l’Irlande afin de les récupérer plus facilement en cas de problème. Mais on vous expliquait déjà tout cela dans un article sur les immatriculations des avions.

Conclusion

Aujourd’hui plus de la moitiés des avions acheté ne le sont plus par des compagnies aériennes mais par des loueurs (lessors) qui les louent ensuite aux compagnies aériennes en leasing.

Image : avions en file indienne de heychli via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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