Tout laisse à penser que Riyadh Air sera une compagnie qui comptera dans le paysage mondial à plus ou moins long terme et, logiquement, la question se pose de savoir si elle peut faire basculer l’équilibre des pouvoirs entre les alliances au niveau mondial.
Lorsque les pays du Golfe décident d’exister sur l’échiquier mondial d’une manière ou d’une autre ils ne font que rarement les choses à moitié. Les compagnies aériennes ont notamment été un outil de « soft power » qui les a aidé à exister comme des carrefours incontournables entre l’Europe et l’Asie avant, ensuite, d’exister comme destinations en tant que telle.
Emirates pour Dubaï, Etihad pour Abu Dhabi, Qatar Airways au Qatar, Oman Air à Oman dans une moindre mesure et Saudia en Arabie Saoudite ont joué ce rôle, même si ce sont surtout les trois premières qui ont vraiment acquis une aura internationale.
En Arabie Saoudite Saudia peinait à franchir un cap et c’est pour cela quel le gouvernement à décidé de lancer plusieurs compagnies pour réaffirmer son ambition.
Riyadh Air : la nouvelle étoile du Golfe ?
Le problème de Saudia ? Elle était trop « saoudienne ». Bien qu’ayant intégré une alliance majeure, Skyteam, et proposant un service de qualité très correcte, elle n’arrivait pas à se dépêtrer de son image de « compagnie des pèlerinages où on ne sert pas d’alcool ».
Insuffisant pour un pays qui veut exister sur la carte du monde, accueillir une Exposition Universelle, une Coupe du Monde de Football et devenir une destination de tourisme et d’affaires attirante pour les occidentaux. Le pays s’est ainsi lancé dans un long et difficile processus de modernisation pour renforcer son attractivité et, logiquement, sa compagnie aérienne a été mise sur la sellette.
Plusieurs compagnies ont alors été crées par le gouvernement saoudien dont Riyadh Air, sans pour autant que l’existence de Saudia ne soit remise en cause. Notre analyse de l’époque s’est avérée juste : les deux allaient viser deux clientèles différentes afin à la fois de pouvoir séduire une clientèle occidentale et, en même temps, conserver une offre pour une clientèle plus traditionnelle voire traditionaliste.
On imaginait Riyadh Air comme une compagnie semblable à Emirates ou Qatar Airways, avec notamment l’abandon du dogme de l’interdiction de l’alcool, et Saudia comme une compagnie « muslim friendly ». La première utilisant le futur « méga aéroport » King Salman à Riyadh, la seconde gardant son ancien hab de Jeddah idéalement placé pour les pélerinages.
Et ça n’est pas pour rien que, dans la foulée, Saudia a annoncé un changement d’identité visuelle avec l’adoption d’une livrée verte, la couleur de l’Islam.
Si ça n’est pas avec les 72 Boeing 787-9 en commande pour l’instant que Riyadh Air va révolutionner le paysage aérien, on n’ose pas imaginer une seule seconde que le pays va se contenter de jouer les seconds rôles dans la région et on s’attend qu’à terme elle pèse au moins autant que ses deux voisines, à savoir Emirates et Qatar Airways.
Et logiquement l’émergence d’une nouvelle puissance aérienne dans le Golfe ne peut que susciter l’intérêt des grandes alliances.
L’importance du Golfe dans le monde de l’aérien
Inutile de rappeler ce qui a fait le succès des compagnies du Golfe et ce qui fait que les alliances leur font les yeux doux : le positionnement idéal de leurs hubs entre l’Europe et l’Asie voire l’Océanie.
Mais, justement, cette position de force les incite à préserver leur indépendance autant que faire se peut. Car toutes n’ont pas les moyens et la taille critique de leur ambition.
Si Emirates peut faire cavalier seul, Qatar Airways a rejoint OneWorld non sans quelques accrochages avec ses partenaires même si la situation semble s’être normalisée et Etihad multiple les partenariats mais sans vouloir s’enferme dans une alliance, au grand dam de Skyteam. Trop limitée pour rester seule, Saudia avait quant à elle rejoint Skyteam mais sans pour autant en être un membre différenciant qui pèse.
Il était donc logique de se demander ce qu’allait devenir Riyadh Air.
Riyadh Air se rapproche de Turkish Airlines
Saudia étant membre de Skyteam il aurait été facile de penser que Riyadh Air allait suivre le même chemin. Oui mais Riyadh Air n’est pas Saudia et son objectif est justement d’éviter les erreurs commise par sa soeur ainée.
Donc à l’époque nous lui imaginions soit un destin à la Emirates, en solo, ce qui correspondrait bien à la fierté locale, soit s’adosser à une alliance majeure pour accélérer sa croissance car le temps presse.
Skyteam ? Pour suivre le chemin de Saoudia et avoir une stratégie commune entre les compagnies du pays.
OneWorld ? Oui mais il y a déjà Qatar Airways et Oman Air dans la région.
Star Alliance ? Le plus logique mais il y a Turkish Airlines a proximité de la région.
Et à la surprise générale Riyadh Air vient d’annoncer un partenariat stratégique avec…Turkish Airlines. Il est question d’accord d’interligne, de partage de code, de gain réciproque de miles sur les programmes de fidélité des deux compagnies et des accords d’intégration plus poussée des programmes sont à l’étude.
Un partenariat a priori surprenant puisque pour des raisons de proximité géographique ces deux compagnies ont davantage vocation à être concurrentes que partenaires. Peut être parce que, justement, cette proximité permettra à la compagnie Saoudienne de profiter du gigantesque réseau de la compagnie turque au grâce à des vols de correspondance courts avant d’avoir elle même atteint une taille critique ?
Ryiadh Air vers Star Alliance ?
Est-ce un premier pas vers Star Alliance ? Comme nous disons à propos des récents mouvements d’Etihad vers des compagnies membres de Skyteam, un partenariat ne veut rien dire en soi et il est tout à fait envisageable que Riyadh Air préfère, comme sa voisine d’Abu Dhabi, faire cavalier seul en multipliant les partenariat bilatéraux hors alliance.
D’ailleurs c’est ce que son CEO, Tony Douglas (l’ancien d’Etihad…) disait il y a peu : la compagnie n’a pas de plan immédiat pour rejoindre une alliance et désire des partenaires répartis sur l’ensemble du globe désireux de travailler avec la compagnie d’un pays du G20 à l’économie en forte croissance.
La raison est très simple : aucune compagnie ne peut faire face seule à la demande actuelle (et encore moins une compagnie qui démarre avec une flotte réduite). Donc si on ne peut capter le marché seul, captons le à plusieurs et partageons.
Une manière de dire « on est ouvert à tout mais c’est vous qui êtes demandeurs alors faites le premier pas ».
Rien n’est donc acquis ni exclus mais le fait que Riyadh Air tisse des liens avec la compagnie de Star Alliance qui serait la plus susceptible de ne pas apprécier son entrée dans l’alliance est peut être un très bon moyen de déminer le terrain.
Conclusion
Si Riyadh Air a annoncé un surprenant partenariat avec Turkish Airlines cela ne signifie en rien qu’elle aurait l’intention de rejoindre Star Alliance. Cela peut n’être que la première étape de la constitution d’un réseau de partenaires hors alliance mais également un moyen de s’attirer les faveurs de la compagnie qui dans Star Alliance verrait son entrée dans l’alliance du plus mauvais œil.
Image : 787 Riyadh Air de Aerospace Trek. via Shutterstock