Le paradoxe de la crise sanitaire : il y aura encore plus de vols !

La crise sanitaire a mis le transport aérien sur la sellette. Certains y verront au mieux un superbe tour de passe passe ou au pire une véritable escroquerie intellectuelle mais on a réussi à passer d’une crise sanitaire à une chasse forcenée au CO2 avec comme coupable désigné une industrie facile à stigmatiser alors qu’elle est très loin d’être dans les plus grosses contributrices en termes d’émissions.

Si le lien entre le pangolin (ou la chauve souris) et l’A380 est plus que ténu il n’en reste pas moins que la crise sanitaire a signé la fin des gros quadriréacteurs et la croyance, chez certains, que cela marquerait un frein à la croissance du nombre de vols.

Ils vont être déçus car la mort programmée de ces appareils va au contraire booster le trafic !

La crise n’a pas tué les gros porteurs mais accéléré leur sortie

Pour commencer il faut couper la tête à certaines idées reçues. La crise que l’on vient de vivre n’a pas provoqué la mise au rencard des gros porteurs mais d’une fraction d’entre eux : les quadriréacteurs, à savoir les A340, A380 et B747.

Et encore, la crise n’a été que l’accélérateur d’un mouvement déjà engagé, pas le déclencheur. Aujourd’hui un appareil a deux moteurs peut emmener quasiment autant de passagers et aussi loin qu’un appareil en possédant 4, grignottant peu à peu au fil des années et des progrès qu’ils faisaient en termes d’autonomie et de fiabilité le terrain qui était la chasse gardée des « géants du ciel ».

Avec deux moteurs on consomme moins de carburant qu’avec quatre et à partir du moment où est arrivés à couvrir la même distance c’était la fin programmée des gros quadriréacteurs.

Donc si vous voulez chercher le vrai coupable à la fin des A380 et B747 allez plutôt regarder du côté de la certification ETOPS ! Ajoutez à cela le fait que l’A380 ait été une erreur de casting pour de nombreuses compagnies pour de multiples raisons et vous avez les causes de la situation actuelle.

Ces appareils étaient déjà sur la sellette avant la crise, Airbus avait acté la fin du programme A380 et quand il a fallu faire des économies rapides et se projeter rapidement sur l’après ils ont été les premiers à quitter la scène. Mais cela n’est pas une décision subite de la part des compagnies aériennes, juste l’accélération d’un processus déjà écrit.

A part Emirates qui était de par sa taille et son modèle économique une compagnie idéale pour le 380 (ou plutôt le 380 était l’avion idéal pour elle) et les passagers que ces appareils faisaient rêver, personne ne les regrettera d’un point de vue industriel.

Par contre certains y ont vu un symbole : la fin d’un transport aérien long courrier à fortes capacités. Ils se sont trompés.

Vers une multiplication des fréquences en long courrier

La disparition des A380 et B747 entraine une baisse mécanique des capacité, même si chaque appareil est remplacé par un biréacteur de nouvelle génération. Si les A350-100 et B777 et 777x ont des capacités approchant celles des « géants » ils ne les égalent pas et à flotte constante on transportera moins de monde.

Qu’à cela ne tienne, les flottes grossiront. Une fois la stupéfaction de la crise terminée on verra que sur le long terme beaucoup de grosses compagnies ont davantage d’appareils en commande que d’appareils qui vont quitter leur flotte. A titre d’exemple si Lufthansa a prévu de sortir de manière échelonnée 115 appareils de sa flotte (moyen et long courrier) ce sont 175 appareils qui sont aujourd’hui en commande pour les 10 ans à venir. Et le nombre de long courriers « entrants » sera supérieur à celui des appareils « sortants ». Plus petits mais plus nombreux.

Mais que faire des routes à succès où il était pratique de mettre plus de 500 passagers sur un seul appareil quand on ne dispose principalement que d’appareil de 250/300 places ?

La réponse est à trouver chez Emirates, compagnies dont on sait pourtant qu’elle était la plus « A380 compatible ». Visiblement elle n’a aucun mal de changer son fusil d’épaule.

Dans une interview donnée à Simple Flying son PDG Jim Clark disait récemment

« Les appareils bicouloir figurent en bonne place dans nos plans […]pour notre capacité à augmenter les fréquences sur les villes déjà rentables et à introduire de nouvelles liaisons »

Autrement dit avec des appareil plus petits la compagnie pourra à la fois tenter des destinations sur lesquelles les A380 et de B777 qui composent l’essentiel de sa flotte étaient surdimensionnés et qui dit plus de routes dit plus de vols. Par ailleurs sur les destinations existantes sur lesquelles existe une forte demande la compagnie va augmenter les fréquences, offrant en même temps plus de souplesse aux passagers. Mais cela va donc mécaniquement augmenter le nombre de vols !

Conclusion

Peu importe la manière dont on prend la question le résultat est le même.

Sans croissance du nombre de passagers, des appareils plus petits signifient plus de vols.

Si le nombre de passagers continue à croitre sur le long terme, ce qui est l’option la plus sensée, des appareils plus petits signifient encore plus de vols.

Et ça n’est pas l’arrivée sans cesse repoussée du 777X qui y changera grand chose. Si sa capacité approche celle des 380 elle reste inférieure. Et tant qu’il n’est pas là il faudra faire avec des appareils de moindre capacité.

En mettant une partie des gros porteurs au rebut la crise aura eu un effet inattendu : dans quelques années il y aura beaucoup plus de longs courriers dans le ciel qu’il n’y en a aujourd’hui.

Image: jcheris/Istockphoto

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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