Pas de sauvetage exceptionnel pour la SNCF ?

En France comme à l’étranger les pouvoirs publics volent au secours du secteur du tourisme qui a souffert peut être plus que n’importe quel autre du COVID-19. L’aérien bien sur mais également l’hôtellerie, le ferroviaire, les restaurants et même les transports publics : autant d’activités indispensables à l’économie et au bon fonctionnement du pays.

Air-France, une cure de desintox réussie jusqu’à ce que…

Air France a été sauvée par une bouée de sauvetage de 7mds d’euros en attendant certainement plus, ce qui ne veut pas dire que ça sera mieux. 7mds c’est le prix de la survie à moyen terme. Reste le prix de la casse sociale dont l’Etat portera une part de responsabilité pour ses décisions présentes, ainsi qu’anciens dirigeants et syndicats pours leurs actions (ou absence d’actions) passées. Comme on le disait à l’époque il est évident que la compagnie ne pourra pas rembourser, et qu’il faudra convertir de la dette en capital et/ou recapitaliser car de là à ce que des investisseurs privés viennent aider une compagnie aérienne il faudra du temps (quoiqu’il y ait justement de beaux coups à tenter…).

Rappelons que ce prêt est principalement privé, cela va avoir de l’importance par la suite :

  • Pour Air France : 4 mds de fonds privés avec une garantie de l’Etat à 90%. Cela veut dire que l’Etat ne paiera que si Air France ne rembourse pas et pas plus haut que 3,6mds. Meme si à la fin on sait qu’Air France ne paiera pas et pas tout et qu’un tour de passe passe transformera la dette en capital.
  • Pour Air France-KLM : 3 mds de prêt d’actionnaire qui vient directement de la poche de l’Etat et est supposé être remboursable même s’il aura sûrement le même sort que les 4mds qui précèdent.

Mais même si on a peur de savoir comment cela va finir, techniquement c’est une somme que l’Etat pourra récupérer en vendant ses actions lors d’un retour à meilleure fortune (vu les cours actuels il peut même faire une belle plus-value) et non pas de l’argent dilapidé pour couvrir des coûts de fonctionnement non maîtrisés.

Car une chose est vraie, si Air France a longtemps profité de la compréhension et des largesses de l’Etat pour compenser ses infortunes ou sa mauvaise gestion c’est aujourd’hui fini. L’Europe est logiquement intervenue pour faire cesser ce type de pratiques anticoncurrentielles et la dernière fois que l’Etat a mis la main à la poche. La dernière fois, si nous souvenirs sont bons, remonte à 1994 où 20 milliards de francs (4,3 mds d’euros d’aujourd’hui en prenant en compte l’inflation) ont permis de sauver la compagnie de la faillite.

Depuis elle se débrouille seule, la question de savoir si elle aurait pu gagner plus d’argent ou être plus rentable étant intéressante mais hors de propos ici. Elle a également touché de l’argent public dans le cadre de ses obligations de service public (desservir des lignes non rentables) ce qui est logique sauf a considérer que certaines parties du territoire ne méritent pas d’être desservies dans des conditions convenables.

Voilà pour la situation d’Air France. Malheureusement pour l’instant les autres compagnies du « pavillon français » se débrouillent seules.

Mais le transport sur le territoire français continental c’est surtout et avant tout le train et la SNCF tant que l’ouverture à la concurrence ne s’est pas faite.

SNCF : patrimoine en danger

La France ne fonctionnerait pas sans la SNCF. Alors oui on peut parler d’un service aux abonnés absents quant on compare avec ses concurrentes étrangers, de son incapacité à desservir les lignes transversales et certains territoires de manière convenable, mais sans elle le pays serait bloqué. D’ailleurs on voit bien l’impact de chacune de ses grèves pour lesquelles elle a acquis une renommés internationale que ne lui contestent à l’occasion qu’Air France (tiens tiens) et son TGV (et on préférerait parler davantage de la fierté du TGV que des grèves).

Et si on a eu peur pour Air France on peut être tout aussi inquiet pour la SNCF.

La compagnie a en effet attaqué 2020 après une année 2019 marquée par des grèves qui lui ont fait très mal. 801 millions de perte nette en 2019 et une perte d’exploitation de 614 millions.

Ca c’est pour l’exploitation et le manque à gagner, heureusement le résultat net est « moins pire » : « seulement » -301 millions de résultat net.

2020 recommence sur fonds de grèves puis arrive le Coronavirus. On parle de près de 4 mds de perte de CA ! Attention : il n’est pas question de tirer à boulets rouges sur ce résultat : il n’est pas ici question de pertes financières (ou pas encore) mais davantage de ce qu’appellerai une perte d’opportunité de vendre des billets. Mais à la fin de l’année le trou sera tout de même abyssal sans que la gestion de la compagnie n’ait été à critiquer. Comme pour Air France c’est « la faute à pas de chance » sur ce coup là et il faut à tout prix éviter que la compagnie ne sombre.

Mais ça n’a pas toujours été le cas : la rentabilité n’a jamais été le point fort de la maison, COVID ou pas.

Je trouve cela en partie logique : quand deux aéroports existent ça ne coûte rien infrastructure de créer une ligne entre les deux et faire voler des avions. Et ça ne coute rien à entretenir. En matière de ferroviaire une fois que vous avez deux gares vous ne pouvez rien faire circuler sans rails, sans électrification et sans entretien. C’est inhérent à l’activité. Après on peut faire des tour de passe passe pour loger le coût de cet investissement dans telle ou telle structure pour rendre les comptes d’une autre plus présentable, le résultat est le même.

Et quand, en plus de cela, on n’a pas l’habitude de devoir être rentable sous peine de mourrir cela fait des trous abyssaux.

En 2018 la dette de la SNCF était de 50 milliards d’euros. Pour un service moyen, des retards légendaires et des prix que les clients trouvent trop élevés pour le service rendu (sur ce point je pense juste que le client ne réalise pas tous les frais de structures qui se cachent derrière le train et que l’aérien évite en partie même si les taxes d’aéroport sont tout sauf neutres).

Mais heureusement l’Etat est là. Et pas que pour une circonstances exceptionnelle comme le COVID. 35 milliards de cette dette ont été ainsi repris par l’Etat : 25 en 2020 et 10 qui le seront en 2022. Des mesures extrêmes décidées en 2018, avant les grèves, avant le COVID. Un montant qui correspond peu ou prou justement à l’investissement de l’Etat dans le réseau qui est si vital donc pas si critiquable que cela mais qui montre surtout que jusqu’à aujourd’hui le modèle économique du ferroviaire n’existe pas contrairement à celui de l’aérien qui est auto-suffisant.

Peut être que demain on rentabilisera le réseau avec des droits de péage plus élevés et en profitant de l’ouverture du marché à la concurrence. Mais on n’y croit guère : d’abord parce que cela serait répercuté sur le prix du billet ce qui serait inacceptable pour le passager et ce qu’autant plus qu’il n’y aura plus la concurrence de l’avion sur certaines lignes et ensuite toujours pour des questions d’infrastructures. On ne peut pas empiler les trains sur des rails comme on empile les avions en l’air. A tire d’exemple ce sont 520 000 passagers qui empruntent le Lyon-Paris en avion chaque année. Peut on faire rouler assez de trains pour absorber ce traffic ? Compliqué.

A côté de cela la SNCF c’est également 15 milliards de dotations publiques chaque année. Deux Air France sauvées chaque année ! Là encore pour de bonnes et de mauvaises raisons, mais parlant d’argent public il faut en avoir conscience.

La question n’est pas tant de regarder les montants mais de se demander ce qu’on a pour ce prix là. N’importe qui peut refuser de voler sur Air France et ne pas lui donner d’argent. La SNCF même quand on ne voyage pas en train c’est 208 euros par français.

Mais quoi qu’il en soit il faut avoir conscience d’une chose : il n’y aura pas de sauvetage « exceptionnel » de la SNCF car pour la SNCF le sauvetage c’est tout le temps. Indispensable pour le fonctionnement du pays sur le fond, mais à un prix qui mérite qu’on se pose la question de sa gestion, de ses coûts de fonctionnement et de sa charge bureaucratique.

Maintenant on fait quoi ?

Il est essentiel d’avoir tous ces chiffres en tête mais surtout de comprendre d’où ils viennent. Tout n’est pas tout blanc ni tout noir, il y a des choses qui doivent être rentables, d’autres pas car elles relèvent d’un intérêt collectif supérieur. La question c’est de savoir pour quoi et jusqu’où.

Ce que tout cela nous dit également c’est que bien qu’on ait un ministre des transports qu’on aime appeler historiquement le ministre de la SNCF pour des raisons qu’on comprendra facilement, il n’y a pas de politique de transport globale, concertée et organisée en France. On en reste à comparer deux moyens de transport, à les opposer sans jouer les complémentarités.

Comment organiser de meilleures synergies écono-écologiques entre le « vertical » et le « transversal » ? Si cela se fait c’est par hasard.

Des TGV vont à Roissy. Mais trop peu. C’est mal fichu pour un provincial. Et il n’y a que des TGV. Merci pour ceux qui habitent Limoges ou Clermont.

Parlons des lignes long-courrier au départ d’Orly. Comme le disait Marc Rochet, président d’Air Caraïbes et de French Bee.  » Nous, nous sommes dans un système, Air Caraïbes et French Bee, qui s’appelle le TGV Air, on connecte avec toute la France à Massy-Palaiseau, mais entre Orly et Massy, c’est nous qui payons le bus, et notre bus il est stationné à plus de 500 mètres de la gare, ça montre le manque de préparation, de structuration, l’écologie c’est fondamental, mais ça se prépare, sans faire n’importe quoi « 

La France a besoin de trains et d’avions. De trains à grande vitesse et d’avions qui consomment moins. De connecter le local et le mondial (quoiqu’on en dise aujourd’hui, parlez en aux PME de Province mal desservies…). Mais cela doit se faire au travers de logiques globales qui feront grandir, articuleront et renforceront ensemble l’aérien et le ferroviaire là où on a besoin de chacun.

En fait de logique globale l’Etat arrose à droite et à gauche comme on urinerait au hasard sur un mur en espérant dessiner un Picasso.

Ca ne fonctionnera jamais, cela coûtera de plus en plus cher et ne résoudra rien en termes environnementaux. On parle d’avions et de trains. De gares, de réseau ferré et d’aéroports. Personne ne parle de transporter des gens de où ils partent à où ils veulent aller le plus efficacement possible d’un point de vue économique, environnemental et temporel.

La seule certitude c’est qu’on sauvera toujours le train. Au point auquel on en est c’est déjà ça mais ça se suffira pas à long terme.

Photo : TGV de Leonid Andronov via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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