Une compagnie aérienne n’est jamais meilleure que son plus mauvais produit

Classer les compagnies aériennes, dire qu’une est meilleure que l’autre est un exercice pour le moins compliqué, voire impossible. La preuve, les conversations souvent passionnées entre passagers, fans et autres « haters » sur les forums spécialisés. La preuve, l’incompréhension qui suit souvent la publication annuelle du classement Skytrax. La preuve, les compagnies aériennes qui tombent des nues quand on leur dit que malgré leurs efforts nous ne sommes toujours pas convaincus, et que les commentaires des clients semblent plutôt aller dans notre sens.

D’où vient le fait que personne ne semble d’accord et, a fortiori, que les compagnies elles-mêmes ne comprennent pas pourquoi le client ne valorise pas à leur juste valeur leurs produits et leurs efforts ?

Un vol est unique, une compagnie est un ensemble

Tout d’abord il est difficile voire de mauvaise foi de juger une compagnie sur un vol. Non, Air France c’est pas nulle parce qu’un Paris-Marseille en éco s’est mal passé et Emirates n’est pas géniale parce qu’on a vécu une expérience de rêve en First entre Dubai et Singapour.

Certaines compagnies sont meilleures sur le long que sur le moyen courrier. Parce que c’est un choix, parce que le bon sens économique le demande, parce que c’est leur culture, peu importe.

Ensuite il y a l’avion. C’est sur que voler sur un 767 ou un A350 ça n’est pas pareil.

Vient ensuite la cabine. Déjà au sein d’un même appareil. Vous ne serez pas surpris que naturellement on trouve plus confortable les business et les first que les écos. Mais aussi au sein d’une flotte d’appareil. Vous adorez la cabine business d’Air France sur certains 777 ? Vous allez détester celle des destinations dites « COI » (Caraïbe Océan Indien), vieilles, défraichies et bringuebalantes. Sur un modèle d’appareil donné certaines compagnies peuvent proposer plusieurs cabines, d’âge et de qualité différentes. Roulette russe pour le passager.

Puis l’équipage. En fonction des protocoles, du training reçu, de la liberté qu’on leur laisse ou non dans l’exécution de la partition, de la culture d’entreprise, de l’humeur du jour….certaines compagnies sont très régulières (à haut, moyen ou bas niveau) et d’autres vous promettent une vraie loterie.

Les aéroports de départ et d’arrivée comptent aussi dans l’expérience passager même si la compagnie n’a finalement que peu de leviers pour améliorer les choses.

Enfin vient le contexte de chaque vol et les impondérables. Phénomènes climatiques, grèves, pannes…une foule de choses peuvent influencer sur le bon ou mauvais déroulement d’un vol. La compagnie n’est pas responsable de leur survenance mais sera tenue pour responsable de la manière dont elle a géré.

Trop de facteurs pour juger sur un vol. Un vol c’est une histoire, une compagnie c’est des millions d’histoires qui s’entremêlent. On peut tirer des tendances, juger de la consistance (régularité) du service mais difficile de tirer des généralités.

Une compagnie peut valoir, en moyenne, 15/20, mais pour le passager la vérité d’un vol sera peut être 19/20 ou 3/20 et c’est justement cette amplitude que les compagnies doivent combattre avant même de penser à améliorer les meilleures notes. Car peu importe qu’on monte de 15 à 16 si on continue à avoir des 3 !

Et c’est l’objet de mon second point.

La compagnie sait ce qu’elle propose, le passager sait ce qu’il vit

On a franchement l’impression que les compagnies sont dans le déni par rapport aux retour des clients. Quand l’un parle du service indigent vécu sur un vol l’autre lui rappelle les progrès significatifs effectués ces derniers temps.

J’en reviens à ce que je disais : si un vol vaut 3/20 il vaut 3/20 pour le passager même si en moyenne la compagnie vaudrait 15. Il n’a pas de chance s’il est tombé le mauvais jour mais c’est ainsi !

Je mentionnais dans ma review d’un vol Lufthansa entre Paris et Francfort que c’est la première fois que j’avais un « bug » de service et un plateau repas aussi moche sur cette ligne avec eux. Pas de chance, c’est le jour que j’avais choisi pour faire ma review et même si ça ne rend pas hommage à ce que j’ai pu avoir sur ce vol c’était bel et bien la réalité de ce vol.

Vous savez ce que ça lui fait au passager Air France qui vient de vivre les affres d’un vol de 10h en éco sur les dramatiques cabines « COI » de savoir que sur les autres 777 la cabine est top et le service bien meilleur ? Ca ne le rassure pas plus que ça ne le calme, au contraire il a l’impression d’être pris pour un imbécile. Alors oui je confirme qu’en Première Air France a sûrement la meilleure expérience au sol du monde et qu’en vol c’est quand même de haut niveau. Et alors ? Il en pense quoi le passager éco ? Pour le passager Air France (ou Lufthansa ou….) la vérité c’est ce qu’il vit, c’est un long courrier en éco dans la pire cabine de la flotte, c’est un moyen courrier à service minimal. La réalité d’une correspondance à Francfort ça n’est pas le Senator Lounge voir le First Class Lounge auquel ont accès les « HON Circle », c’est le speed d’une correspondance en moins d’une heure dans un aéroport immense. La réalité de United ça n’est pas la cabine et le service Polaris, c’est une des pire classe éco et le pire personnel d’une « major ». Eux d’ailleurs leur président l’a bien compris qui disait qu’à partir du moment où vous montez dans un de leurs avions vous êtes furieux contre la terre entière. Et c’est ça qui fait la réputation d’une compagnie sur le marché ! Le plus mauvais produit auquel sont confrontés 80% des clients, pas le meilleur qui concerne entre 1 et 10% d’entre eux.

Et que font les compagnies pour améliorer les choses ? Elles écoutent le client, créent des « focus group » dans lesquels elles invitent le client. Quel client ? Celui qui voyage le plus, qui est facile à identifier voire qu’elles veulent valoriser, remercier. Donc celui qui ne vivra jamais l’expérience du « pire produit ». Donc celui qui dira « ok ils peuvent s’améliorer mais soyons tolérants, en business ou en first c’est très bien »...Non il ne faut pas être tolérant car cette expérience « très bien » n’est vécue que par une infime minorité des passagers. On l’écoute le passager qui fait un long courrier à prix mini et 2 vols intérieurs dans l’année ? Non car il ne voyage pas assez pour avoir un avis fiable. Il n’empêche que c’est lui qui fait la réputation de la compagnie, que c’est lui le passager le plus représentatif.

Alors oui, le vrai « disconnect » entre les compagnies et leurs clients c’est que les unes ne regardent que ce qu’elles font de mieux alors que les autres ne vivent que ce qu’elles font de moins bien.

Une compagnie aérienne n’est pas meilleure que son pire produit et c’est tout.

Image : passager furieux De Elnur via shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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