Faut-il avoir peur pour Norwegian ?

2018 a été une année difficile pour Norwegian et 2019 ne semble pas démarrer mieux. Faut il pour autant s’inquiéter pour la survie de la low-cost ?

Norwegian, un OVNI sorti de nulle part

Norwegian a démarré en 1993 de manière très modeste comme une compagnie régionale. En 2001 elle se reconvertit dans le low-cost et commence une croissance à un rythme plutôt normal pour une compagnie en plein développement. Et puis en 2012 tout s’accélère.

Coup sur coup la compagnie passe la plus grosse commande historique pour une compagnie européenne (222 appareils, des Boeing 737, 737 MAX et des Airbus A320 Néo) puis en 2015 elle passe la plus grosse commande de Boeing 787 pour une compagnie européenne. Fin 2018 Norwegian exploite 163 appareils et en a 124 en commande. Une croissance jamais vue sur le continent.

Et c’est un succès. Les prix sont attractifs, la flotte est moderne, et pour une low cost le confort et le service sont bons comme le montre cette étude Flight Report qui place Norwegian en tête des compagnies low cost et hybrides avec des scores à faire pâlir certaines compagnies traditionnelles (même si sait qu’on ne note pas une low-cost en fonction des mêmes standards qu’une traditionnelle, même inconsciemment).

Classement des low cost
Source : Flight Report

Et d’un seul coup Norwegian a envahi le ciel européen, s’est lancé dans le long courrier, le tout avec une belle image et une cote d’amour intéressante dans le grand public.

Et la machine Norwegian se grippa

Et d’un seul coup la machine a semblé s’enrayer. La compagnie a du énormément s’endetter pour financer une croissance forcenée et peine à faire face au poids des remboursements. Elle tout d’abord commencé à vendre des avions qu’elle avait commandé et qui n’étaient pas encore livrés puis vient d’annoncer la fermeture de bases en Italie, en Espagne et aux Etats-Unis. De manière surprenante la low-cost la plus « successful » du moment, la plus appréciée des passagers se retrouve en difficulté. Pourquoi cela ?

Les causes des difficultés de Norwegian

Norwegian souffre de deux maux. L’un est commun à toutes les low-cost, l’autre lui est propre.

Le premier problème est celui qui a causé la perte de certaines low cost ces derniers mois (Primera…) et risque de faire encore d’autres victimes dans un avenir proche (Wow Air…). En développant leurs flottes a marche forcée les low-cost ont fini par créer de la surcapacité, une offre trop importante par rapport à la demande. S’en suit une logique baisse des prix à laquelle elles peuvent faire face, n’ayant que peu de « gras » à enlever contrairement aux compagnies traditionnelles donc la structure, ironiquement, si elle les pénalise en période de forte croissance leur permet d’encaisser plus facilement ce genre de situations.

La seconde lui est propre : l’augmentation des prix du carburant. Bien sur elle touche tout le monde mais le taux de couverture des besoins en carburant de Norwegian est beaucoup plus faible que celui de ses concurrents. Les compagnies négocient leurs conditions d’approvisionnement en carburant à long terme avec les pétroliers avec donc des prix garantis pour une partie de leurs besoins sur une certaine durée : c’est ce qu’on appelle la couverture. Si, entre temps, les prix baissent la compagnie y perd, si ils montent elle y gagne. La plupart des compagnies européenne ont déjà couvert entre 60 et 80% de leurs besoins de l’année donc seuls 20% sont impactés par une éventuelle évolution des prix du carburant alors que seuls 27% des besoins de Norwegian sont couverts. D’où son exposition au « risque carburant » supérieure à ses concurrentes.

Norwegian à la recherche de partenaires

Logiquement Norwegian s’est mise à la recherche de partenaires et il faut reconnaître que malgré un endettement abyssal (on parle de 2 milliards d’euros), la proie est plutôt séduisante.

IAG (propriétaire entre autres de British Airways et Iberia) s’est positionné en prenant 3,93% du capital de Norwegian en avril 2018 et se donnant le temps de réfléchir. Et alors que beaucoup pensaient qu’IAG allait mettre la main sur la low-cost le groupe a annoncé la semaine dernière ne plus être intéressé et qu’il allait même prochainement vendre sa participation.

Une très mauvaise nouvelle pour Norwegian dont le cours en bourse a dévissé de 21%.

Il se dit que d’autres compagnies seraient intéressées, que Norwegian aurait rejeté d’autres offres au début des discussions avec IAG mais pour l’instant la compagnie scandinave se retrouve seule et dans une situation délicate.

Les raisons du désistement d’IAG ? Aucun commentaire n’a été fait. Le redressement de la compagnie a-t-il été jugé trop difficile ? Attendent ils que Norwegian continue à décliner pour les racheter pour une bouchée de pain ? Est-ce que la perspective d’un hard brexit les a incité à se reconcentrer sur des enjeux plus immédiats ?

On se demande aujourd’hui qui pourrait venir au secours de Norwegian. Lufthansa aurait les moyens mais pourrait elle conduire de front la reprise du moyen courrier d’Alitalia sur laquelle elle est positionnée et celle de Norgewian ? Cela semble compliqué. Delta ? Ils ont les moyens mais comme Lufthansa sont également positionnés sur le dossier Alitalia (mais sur le long-courrier). Etihad n’a plus les moyens et est surement échaudée par sa désastreuse stratégie de prise de participation passée. Air France ? Pas assez de cash. Qatar ?

La liste des prétendants potentiels n’est pas infinie et une stratégie attentiste visant à attendre que Norwegian soit exangue pour la reprendre à vil prix voire en négociant un apurement du passif avec les créanciers n’est pas à exclure.

En attendant Norwegian devra trouver autre chose et pourquoi pas rentrer sinon dans logique d’alliance au moins dans une logique de partenariats.

En attendant les 353 millions de dollars levé au début de la semaine vont lui donner un peu d’air mais juste de quoi survivre. Une issue industrielle reste indispensable.

Des raison d’y croire pour Norwegian ?

Pour autant il y a des raisons d’y croire. La première est que la compagnie a pris des décisions difficiles mais a eu le courage de les prendre et de les prendre au bon moment sans tergiverser.

En plus de ce qui a déjà été cité :

• Arrêt des routes non rentables.

• Augmentation progressive des prix (courageux et risqué pour une low cost mais vital).

• Allongement des délais de paiement des indemnités dues au client (moins sympa mais vital pour le cash flow).

• Vente possibles d’avions dans le futur.

Le pilotage de la compagnie ressemble davantage à celui d’une start-up avec des virages serrés et je ne doute pas qu’à un moment ils finissent par trouver la bonne carburation. En tout cas prendre vite des décisions sans états d’âmes est déjà un signal rassurant.

Un second élément qui incite à l’optimisme est la résilience de l’entreprise et de son personnel. Il semble que le personnel aime vraiment l’entreprise et que celle-ci ait même été jusqu’à le consulter sur des décisions l’impactant directement. Cela peut sembler anecdotique mais je ne pense pas que le personnel de RyanAir soit prêt à beaucoup de sacrifices pour son employeur. Et plus près de chez nous on a trop eu l’habitude de catégories de personnels prêts à mettre une compagnie sur la paille.

Et enfin une vraie côte d’amour auprès du public. Là où certains subissent l’expérience de certaines low cost, l’expérience Norwegian, sur ce créneau, semble plutôt recherchée et la compagnie renvoie une belle image, une image moderne.

Si tout cela ne sauvera peut être pas Norwegian cela peut lui permettre de tenir jusqu’à l’arrivée d’un sauveteur et sera la preuve, pour celui-ci, que la compagnie est adaptable et réformable.

La suite au prochain numéro.

Photo : Norwegian De Nieuwland Photography via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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