Air France quitte Orly : explications, conséquences et questions

Air France a annoncé quitter la plateforme d’Orly pour concentrer ses opérations sur Roissy. Une décision qui mérite quelques explications et pose quelques questions.

On en parlait depuis des semaines, la nouvelle avait fuité sur des forums spécialisés, et le communiqué de presse d’Air France est tombé en fin de semaine dernière pour confirmer que la compagnie allait abandonner Orly en 2026.

Pourquoi Air France quitte Orly ?

La raison principale du départ d’Air France est l’érosion du trafic, comme en témoigne le communiqué de presse de la compagnie.

« Le développement de la visioconférence, la réduction des déplacements professionnels sur le domestique et le report vers le train (sous l’effet conjugué des recommandations de sobriété et des politiques RSE des entreprises) conduisent à une chute structurelle de la demande sur le réseau domestique point-à-point d’Air France. Entre 2019 et 2023, le trafic sur les liaisons domestiques au départ d’Orly a baissé de 40%, et même de 60% pour les allers-retours journée. »

Et, bien sûr, c’est l’occasion de glisser le petit message écologiquement correct lorsqu’est évoqué le fait que Transavia est pressentie pour prendre la suite sur ces lignes.

 » Transavia poursuivra sa trajectoire de développement, notamment grâce à la montée en puissance de sa nouvelle flotte composée d’Airbus de la famille A320neo permettant une réduction de 15% de la consommation de carburant et des émissions de CO2, ainsi qu’une réduction de 50% de l’empreinte sonore. »

Des motifs qui, pour nous, cachent une réalité différente mais on en parlera plus bas.

Mais au final la compagnie nous promet que l’offre sera quasi-inchangée en termes de capacité.

L’offre domestique d’Air France en 2026

Aujourd’hui Air France opère depuis Orly des vols domestiques vers Nice, Toulouse et Marseille, Calvi, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Saint-Denis de La Réunion.

Dans la nouvelle configuration les dessertes de Nice, Toulouse et Marseille, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Saint-Denis de La Réunion seront renforcées au départ de Roissy et les dessertes vers la Corse seront maintenues en collaboration avec Air Corsica dans le cadre de la délégation de service public actuelle dont le renouvellement sera demandé.

Par ailleurs les dessertes de Toulouse, Marseille et Nice depuis Orly seront transférées à Transavia à l’été 2026.

La compagnie promet que « les capacités du Groupe entre Paris et Toulouse, Marseille et Nice seraient maintenues à hauteur de 90% de leur niveau actuel, et à 100% pour les liaisons entre Paris et les Outre-mer.« .

Une baisse de la demande qui ne doit pas cacher les vrai problèmes

Evacuons tout de suite l’argument écologique : si les A320neo de Transavia vont améliorer l’empreinte environnementale du groupe ils en auraient fait de même s’ils avaient été peints autrement.

Quant à l’érosion de la demande est est réelle même si on préfère parler de lenteur à retrouver les niveaux de 2019. Mais les chiffres avancés par Air France montrent que la compagnie est hors des tendances du marché.

En effet le gouvernement nous dépeint, pour Aout 2023, une situation dégradée par rapport à 2019 mais pas dans les proportions évoquées par Air France :

Le trafic intérieur s’élève à 88,8% de son niveau d’août 2019 (en progrès de +2,4 points sur le mois précédent), avec toujours un net contraste entre les segments touchant les Outre-Mer (104,3%) et le trafic domestique à l’intérieur de la Métropole (83,7%). En cumul annuel, l’indicateur du trafic intérieur se chiffre à 83,8% sur les huit premiers mois de l’exercice..

Pour mémoire en Aout le trafic en France était, au global, revenu à 95,7% de son niveau de 2019.

Des chiffres certainement boostés par le trafic des vacances d’été mais qui nous racontent une histoire un peu différente ce que vit Air France.

Par contre si on creuse un peu on se rend compte que pour ce qui est du trafic intérieur en France métropolitaine, si les lignes transversales sont 92% du niveau de 2019, les radiales ne sont qu’à 77,7%.

Or, au départ d’Orly, Air France n’opère par définition que des radiales. Mais là encore on voit que la compagnie souffre davantage que le marché ou, selon l’angle que l’on prend, récupère moins vite que lui.

D’autant plus qu’un autre chiffre nous amène à relativiser cette baisse : Orly est avec Marseille et Beauvais le seul aéroport français donc le trafic est en hausse par rapport à 2019 (110,8%). Alors bien sûr ces chiffres peuvent être dopés par le trafic estival mais tout de même.

Ajoutons à cela que le marché intérieur français reste très solide. Si l’on regarde les chiffres d’Eurocontrol pour 2022 le marché intérieur français est celui qui enregistre le plus de vols en Europe.

Il y a plus de vols intérieurs en France que dans n’importe quel autre pays mais également qu’entre n’importe lesquels des pays d’Europe.

La vérité est qu’Air France sous performe par rapport aux tendances du marché et il y a à cela une explication assez rationnelle : le marché est principalement low cost. Dans des proportions moindres que des pays comme l’Espagne mais il l’est. La preuve, la compagnie qui, aujourd’hui, dessert le plus grand nombre de destinations en France est Volotea.

Rappelons enfin qu’en 2017 (et on ne pense pas que les choses aient changé depuis), 50% des gens qui prenaient l’avion en France étaient des inactifs ou catégories socioprofessionnelles inférieures.

Le vrai problème d’Air France n’est donc pas que la baisse de la demande mais ses difficultés à pleinement saisir la demande existante. D’ailleurs le fait que que la compagnie commence par annoncer une baisse de 40% de la demande et finisse par dire que 90% des capacités seront maintenues mais avec une offre plus low cost qu’avant ne dit pas autre chose.

Un gros problème de rentabilité

Dans un tel contexte une réponse aurait pu être, pour Air France, de se renforcer sur les lignes transversales mais non seulement ça n’est pas son positionnement mais, peu importe qu’on parle de lignes radiales ou transversales, la compagnie n’a jamais réussi à être rentable sur son marché domestique, peu importe les moyens employés.

Quand on parle de vols intérieurs qui alimentent le hub de Roissy et le réseau long courrier c’est un mal acceptable qui peut être vu comme un investissement car il permet de vendre du long courrier, plus rentable, et évite que le passager ne soit tenté de prendre un vol Lufthansa, Swiss ou Turkish Airlines vers un de leurs hubs.

Par contre pour du point à point c’est un non sense économique auquel la compagnie a mis peu à peu un terme depuis plusieurs années et cette décision s’inscrit dans ce sens.

Mais disons qu’il est plus logique de relier la décision d’Air France à un soucis structurel de rentabilité et à la nature du marché qu’à une baisse de la demande.

Abandonner Orly, la meilleure décision possible ?

Du point de vue du client c’est une décision qui va, à coup sûr, faire grincer des dents.

D’abord les parisiens et banlieusards côté rivé gauche pour qui Orly est beaucoup plus accessible que Roissy, notamment avec la future prolongation de la ligne 14 du metro.

Ensuite pour les utilisateurs des lignes concernées car l’offre sur Orly, aéroport plus pratique pour rejoindre Paris, va diminuer et que, quoi qu’on en dise, même si le service Air France sur ces lignes était assez minimaliste, le produit Transavia est tout de même inférieur.

Enfin c’est beaucoup moins intéressant en termes de programme de fidélité. Vu que Transavia ne fait pas partie de Skyteam les passagers Elite ne bénéficieront pas des avantages Skypriority. Pire encore, si jusqu’au 31 mars le tarif le plus bas de Transavia ne permet pas de créditer d’XP ni de miles après cette date les vols commercialisés et opérés par les compagnies aériennes partenaires du programme de fidélité mais non membres de Skyteam ne permettront plus d’accumuler d’XP. Il semblerait que pour Transavia il faudra que le vol ait été vendu par Air France ou KLM et soit opéré en codeshare pour continuer à gagner des XP et des miles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui de tous les vols Transavia. De la même manière les passagers membres d’un programme de fidélité d’une compagnie Skyteam (hors Flying Blue) ne créditeront rien vu que Transavia n’est pas membre de l’alliance. Les touristes étrangers vont adorer !

Par contre pour la compagnie c’est indéniablement le choix le plus rationnel possible. L’offre est maintenue à 90% de son niveau d’avant, une partie passe en low cost, cela correspond à la fois aux chiffres du marché en termes de demande mais aussi en termes de nature de demande.

Bien sûr d’autres auraient aimé une autre solution mais de notre point vue aucune autre n’était possible en tout cas pas avec la structure de coût d’Air France qui ne bénéficie pas de la chance de certaines de ses concurrentes.

Ailleurs, les vols intérieurs vont bien

Afin de vérifier s’il s’agissait juste d’un problème franco-français nous avons regardé ce qui se passe dans certains pays voisins de taille à peu près comparable.

L’Allemagne pour commencer.

Pour le directeur des ventes de Lufthansa « Les voyages d’une journée à l’intérieur de l’Allemagne ont diminué, mais la demande est toujours là« . Le constat d’Air France est donc en partie partagé mais en partie seulement.

Mais la réponse de la compagnie allemande aux évolutions du marché et aux visioconférences (un autre argument d’Air France) est radicalement différente. Comme le rapporte cet article, « Lufthansa […] souhaite augmenter le nombre de ses vols intérieurs afin de concurrencer le transport ferroviaire et les services de vidéoconférence« . Le directeur des ventes ajoute même « Nous voulons redonner de l’attrait aux vols court-courriers« .

Une approche plutôt offensive mais qui s’explique peut être par une structure de coûts plus favorable et, peut être, un marché un peu plus verrouillé par rapport aux low costs que le marché français.

Quant à l’Angleterre la situation y est encore plus surprenante puisque que le gouvernement a décidé de réduire l’APD (Air Passenger Duty), une taxe aéroportuaire, afin de dynamiser le marché des vols intérieurs.

Des problèmes mais également des opportunités pour Roissy et Orly

Cette décision d’Air France ne sera bien sur pas sans impact et soulève certaines questions.

La première est celle du devenir des slots d’Air France à Orly. A priori ils devraient échoir à Transavia mais qui sait si le régulateur ne l’obligera pas à en rendre quelques uns à la concurrence.

La seconde est celle de la viabilité du terminal 2F à Roissy s’il doit accueillir une partie des vols précédemment opérés depuis Orly. On ne sait pas à ce stade combien de vols seront transférés mais une chose est certaine c’est que le 2F est déjà difficilement vivable pour les passagers et il nous semble difficile d’imaginer qu’il puisse accueillir beaucoup plus de vols dans des conditions de confort acceptables pour les passagers.

D’autant plus que le jour où le partenariat commercial avec SAS deviendra effectif il est fort probable de voir les vols de la la compagnie scandinave transférés au 2F. D’accord ça ne fait qu’une dizaine de vols par jour, peut être plus si Air France décide de vraiment mettre le paquet pour alimenter son long courrier depuis les pays Scandinaves mais on va vite toucher aux limites du 2F.

Il y a bien le 2G mais ça n’est qu’un pis aller pas pratique du tout.

Un jour il faudra peut être enfin se reposer la question de rendre le 2E-L hybride Schengen-non Schengen. Il a été conçu dans ce sens mais cette possibilité n’a jamais été exploitée.

On peut également se demander si certaines compagnies ne seraient pas tentées de lorgner sur les slots d’Air France à Orly. En effet, comme on l’a dit, Orly est beaucoup plus facile d’accès que Roissy et beaucoup plus intéressant pour une compagnie qui n’a pas besoin de l’effet hub de Roissy. C’est à dire à peu près toutes les compagnies non Skyteam, que ça soit pour du moyen ou du long courrier. Bien sur la limitation du nombre de vols et le couvre feu en vigueur à Orly sont un réel handicap pour son développement mais une compagnie proposant des vols d’un aéroport beaucoup plus simple d’accès que Roissy aura certainement beaucoup à y gagner.

Conclusion

Air France rationalise son réseau domestique et s’adapte à la nouvelle donne du marché en abandonnant Orly au profit de Transavia et en centralisant ses opérations à Roissy. La meilleure des décisions possibles dans le contexte qui est le sien.

Une décision qui pose à terme la question de la saturation du 2F à Roissy et ouvre potentiellement des opportunités pour d’autres compagnies à Orly.

Image : Avion Air France à Orly de EQRoy via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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