Pourquoi la nourriture n’a aucun goût en vol ? (Et la gastronomie française est elle soluble à 33 000 pieds ?)

Les repas servis par les compagnies aériennes ont vraiment mauvaise presse auprès des voyageurs. On ne parle pas ici des quantités voire parfois de l’absence de repas, certaines compagnies ayant refait leur rentabilité sur le dos de l’estomac du passager, mais bel et bien de saveur et de goût.

Non le goût des aliments ne change pas en l’air

Il y a sur le sujet une idée reçue à laquelle il faut absolument tordre le cou : les aliments verraient leur goût évoluer en altitude. Et bien c’est faux. Ca n’est pas leur goût qui change mais le notre, notre capacité à percevoir les saveurs, qui se dégrade.

Vous me direz qu’à la fin ça en revient au même mais c’est important de le préciser car ça signifie une chose : les compagnies pourront faire tous les efforts qu’elles veulent elles ne pourront pas lutter contre cette dégradation quasi-mécanique. On parle d’une perte de 30% de nos capacités gustatives et olfactives.

A quoi cela est-il dû ? Il a énormément de facteurs qui font que l’expérience de repas en vol peut être cauchemardesque. Le bruit, la promiscuité, le stress que certains passagers ressentent quand ils volent contribuent à cette mauvaise expérience mais deux choses impactent la manière dont on perçoit le goût de aliments : l’humidité et la pressurisation.

Malgré les efforts des avionneurs qui ont ces dernières années fait des progrès gigantesques quant au confort des cabines il n’en reste pas moins qu’on est et restera loin de pouvoir restituer en vol les conditions du plancher des vaches. Quoi qu’il en soit s’il y a un moyen de nous redonner nos sensations terrestres la balle est dans le camp d’Airbus ou de Boeing et pas dans celui des cuisiniers qui font déjà des miracles dans un environnement fortement contraint.

Le casse-tête de la conception d’un repas en vol

Car avant même de parler du goût de ce qui est servi, il faut parler de ce qu’il est possible de servir ou pas en vol vu les conditions très particulières de réchauffage et de consommation.

On ne parle même pas de ce qui touche à la taille et au poids des plateaux. Ensuite il faut prendre en compte le risque bactériologique (pas viandes ou poissons crus), bannir les plats qui peuvent dégager des odeurs trop importantes au réchauffage, ceux qui peuvent avoir un effet peu appréciable quand le passager passe des heures dans un espace confiné (genre le cassoulet vous voyez…..), la sauce doit pouvoir « encaisser » les multiples manipulations dont le plateau repas fait l’objet de la cuisine à votre tablette. Et même si les compagnies proposent aujourd’hui des plateaux spéciaux (Casher, Hallal, sans gluten, végétarien etc) on va aussi éviter la faute et goût et proscrire les aliments qui peuvent gêner les personnes d’autres cultures (vous saviez que pour certains manger du lapin porte malheur ?).

Bref autant de raisons pour lesquelles de vol en vol on a du mal de sortir du traditionnel « poulet ou pâtes » ?

Alors bien sûr on peut se permettre un peu plus de créativité en business ou en première car il y a moins de monde à servir, on voit de plus en plus de compagnies proposer des plateaux non plus réchauffés mais dressés à l’assiette et certaines ont même un cuisinier dans les classes avant. Autant vous dire que quand on est habitués aux omelettes insipides et mal réchauffées ça fait un choc quand vous pouvez demander à n’importe quelle heure de la nuit au cuisinier de Garuda Indonesia de vous faire des œufs de la manière qui vous convient

Tous les aliments ne sont pas égaux à 33 000 pieds

Et donc puisque nous perdons une partie de notre goût et de notre odorat, les aliments qui sauvent la face en altitude sont souvent ceux qui en ont le plus au sol ou alors les plats dont on a « boosté » le goût.

Cardamome, curry ou citron boosteront par exemple de goût de vos plats en altitude.

Une saveur comme l’unami est encore très bien perçue en altitude. Raison du succès du jus de tomate dans les avions car il a le même goût qu’au sol.

Pour autant tout n’est pas si négatif et je me souviens de plats très goûteux que j’ai pu manger ces dernières années.

Un agneau remarquablement assaisonné sur Garuda…

Menu Business Garuda

Ou cet agneau à l’harrissa….

Ou ceci sur du moyen courrier…

Ce « petit déjeuner » servi en milieu d’après midi :

Sans oublier les brochettes satay…

Repas Business Garuda

Ou encore ce vol KLM avec un plateau d’entrées qui « ose » les choux de Bruxelles.

Et un poulet à la mexicaine très gouteux.

Poulet à la mexicaine

Alors vous allez me dire « oui c’est facile, il ne montre que des plats de business ou de first ». Bien sur c’est un peu plus recherché et évolué, mais le résultat, niveau goût, est absolument le même en éco.

Pourquoi ? La réponse va nous amener à porter un regard critique sur la gastronomie française.

La gastronomie française est elle soluble à 33 000 pieds ?

Tous ces menus avaient un point commun : des plats très relevés et épicés par nature. Résultat : on sent vraiment le goût, on a l’impression que nos papilles se réveillent à chaque bouchée. Et là on se rend compte qu’à l’instar des aliments, toutes les cuisines ne sont pas égales au dessus des nuages.

Je passerai sur les compagnies asiatiques voire moyen orientales dans lesquelles plats épicés et autres curry font partie du fond de commerce. Ensuite vous avez les pays sans grande culture gastronomique notoire (sans faire offense à mes amis bataves par exemple) qui a côté d’un plat local peuvent se permettre de proposer une cuisine internationale adaptée au transport aérien. Donc en allant souvent emprunter à la cuisine asiatique, moyen-orientale ou sud-américaine.

Et puis vous avez les pays à très forte culture gastronomique, dont la cuisine fait indéniablement partie de l’image, de la proposition de valeur, de la promesse d’expérience de leurs compagnies aériennes. Et au premier rang de ceux-ci : la France.

La cuisine française se distingue par sa finesse, sa subtilité, pas par la puissance de ses épices et de ses assaisonnements. En économie bien sur mais encore davantage en première (comme en ce moment avec Michel Roth) comme en business (aujourd’hui avec Anne-Sophie Pic) on y voit des menus très recherchés, fins.

Veau Verveine par Michel Roth

 

Joue de bœuf, consommé de café, céleri, marron, billes de carotte

Une cuisine très aérienne dont le paradoxe est souvent de nous laisser gustativement sur notre faim en vol.

Si elle est une des meilleures, sinon la meilleure à terre, la cuisine française nous semble profondément inadaptée au plateau-repas aérien. Un boulet pour les compagnies françaises qui sont pieds et poings liés, de par leur image et leur statut d’ambassadeur de notre patrimoine culturel, à une cuisine que l’altitude est loin de valoriser.

Alors d’accord pour le « Pâtes ou poulet ? »…pourvu que le poulet soit au curry.

Un ami m’a récemment « mon prochain long-courrier en éco sur Air France je tente le menu Hindou...on va voir ». Et bien sûr chez TravelGuys on attend son feedback avec impatience.

Photo : repas en avion De Aureliy via Shutterstock

Bertrand Duperrin
Bertrand Duperrinhttp://www.duperrin.com
Voyageur compulsif, présent dans la communauté #avgeek française depuis la fin des années 2000 et passionné de (longs) voyage depuis sa jeunesse, Bertrand Duperrin a cofondé Travel Guys avec Olivier Delestre en mars 2015. On peut le retrouver aussi aussi sur http://www.duperrin.com où il parle depuis plus de 10 ans de la transformation digitale des organisations, son métier quand il est au sol.
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